Chapitre 6 - Lever le camp

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Sans plus attendre, nous nous attachâmes à regrouper et emballer nos affaires. L'atmosphère du manoir semblait nous peser de plus en plus, comme si le fait d'avoir triomphé du coffre avait aussi déclenché quelque obscur procédé jusqu'ici contenu par ses sortilèges de protection. Le moindre meuble, la moindre pierre du moindre mur semblait à présent exsuder de sombres maléfices. Chacun avait à cœur de ne point trop trainer à l'écart des autres, ni de s'aventurer dans les recoins les moins éclairés de la pièce principale.

Rien de clairement identifié n'éveillait mes instincts de défense, pourtant je ressentais de désagréables picotements à la surface de ma peau. Il me semblait que de minuscules araignées y couraient, trop vives pour que je puisse les apercevoir. Parfois quelques éclats de lumière indiquaient un début de métamorphose que je ne maitrisais pas, et de minuscules écailles argentées apparaissaient de façon sporadique et aléatoire, sur mes mains, mes bras ou même mon visage. Une vive démangeaison accompagnait chaque apparition, me signalant la progression de cette armure partielle, probablement aussi peu efficace que discrète.

L'état de stress de mes compagnons ne se trahissait pas aussi nettement, mais les regards crispés et les soupirs d'agacement que certains ne parvenaient pas à réprimer totalement étaient sans équivoque : personne n'échappait aux influences délétères du manoir. Au plus vite nous quitterions les lieux, au mieux cela serait. Moins d'une demi-heure nous fut nécessaire pour lever le camp.

Nous prîmes la direction du château, qui n'était qu'à quelques jours de cheval, au sud. L'après-midi était déjà bien engagée, mais la perspective d'une nuit supplémentaire à la belle étoile ne pesait pas bien lourd face à l'impatience qui était nôtre : mettre le plus de distance possible entre nous et le manoir était tout ce qui occupait nos pensées.

Même nos montures semblaient ressentir ce besoin prégnant, à moins que ce ne fût tout simplement notre nervosité qui se communiquait à elles... Des bêtes pourtant réputées pour leur calme paraissaient à peine débourrées, et mettaient à rude épreuve la patience et la maîtrise de leurs cavaliers. Caracolant, piaffant et parfois même cabrant ou ruant, notre petite troupe s'éloigna rapidement des murs épais qui nous avaient abrités jusque-là. Le sol gorgé d'eau chuintait désagréablement sous les sabots, chaque pas s'arrachant à la terre argileuse avec un bruit de baiser humide. Le brouillard ambiant était si épais qu'il nappait toute chose d'un voile assez dense pour masquer les formes, ne laissant perceptible à l'œil que les couleurs brouillées d'une aquarelle automnale, ternes et fades. Une petite brise presque glaciale l'animait par instant, accentuant d'avantage encore le flou du paysage, et j'avais l'impression alors de respirer de l'eau bien plus que de l'air. Le jour tombait lentement, sans pour autant que le ciel ne se dégage...

― Mais c'est quoi ce temps dégueulasse, bordel ! On est au printemps, oui ou merde !?! s'écria soudain Evil, tout en s'ébrouant sur sa selle.

Il avait parfaitement résumé le sentiment de tous, car son commentaire ne déclencha que des approbations enthousiastes, assorties de divers commentaires colorés. Après ce silence pesant, c'était presque agréable de les écouter se défouler et échanger des banalités sur cette météo si peu de saison.

Je chevauchais aux côtés d'Athar, et nous fermions la marche. S'éloigner du manoir semblait rendre un peu de sérénité aux humains comme aux bêtes. En tout cas je ne subissais plus de micro-métamorphoses involontaires, pour ma part...

Après deux bonnes heures de chevauchée majoritairement au pas, nous atteignîmes le premier col et au moment de le franchir, je me retournai sur ma selle pour jeter un dernier regard sur la vallée que nous nous apprêtions à quitter. Les nuages surplombant nos têtes étaient à présent d'un gris clair presque bleu, mais le paysage en contrebas semblait lui de plus en plus hivernal, noyé dans un brouillard qui ne se dissipait pas. Plus haut, le ciel était d'un anthracite orageux, parfois zébré de vifs éclairs rougeoyants qui n'émettaient aucun son perceptible de là où nous étions. Ils plongeaient vers le sol et le brouillard les avalait, en silence. J'aurais pourtant cru qu'à cette distance, le tonnerre serait audible...

― Ce n'est pas un orage ordinaire, murmura Athar, qui avait bien vu ce qui m'intriguait. C'est une bonne chose que nous soyons partis aussi vite. Ce qui est à l'œuvre dans la vallée relève certainement de la magie la plus sombre, car même la nature environnante en a été corrompue. Tu sens comme les températures se réchauffent, à présent que nous nous sommes éloignés ? Et pourtant le col est bien plus haut en altitude, ce devrait être l'inverse si aucune magie n'était à l'œuvre...

Nos compagnons ne s'étaient pas arrêtés pour nous attendre, sans doute impatients de trouver un site de bivouac confortable avant que la nuit ne tombe, mais je n'arrivais pas à me détourner du spectacle hypnotique qui se jouait sous mes yeux.

Athar tendit la main pour caresser ma joue, et lentement, la chaleur de sa paume se diffusa à ma peau, effaçant l'engourdissement qui m'avait gagnée.

― Sia... murmura-t-il.

Et je n'eus besoin d'aucune autre parole ; à ce moment précis, qu'il prononce mon nom suffisait.

Nous restâmes ainsi quelques instants, puis nos montures s'ébrouèrent, rompant le charme. Leur désir de suivre le reste de la troupe s'était fait pressant, l'instinct du troupeau dominant celui de la créature domestiquée. Il ne faisait pas bon cheminer en solitaire, par ces temps troublés...

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