Le visage du passé

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Dissimulé dans un renfoncement du porche qui s’ouvrait sur la fameuse galerie de pierre, Kuro observait les alentours. Plus il avait avancé vers la tour nord, moins il avait rencontré de gardes. À vrai dire, il n’en avait évité que deux, qui patrouillaient dans les couloirs, à moitié endormis. Aucun n’était en poste devant le corridor qu’il venait de passer pour arriver ici et, chose étrange, aucun non plus ne se tenait de l’autre côté de la galerie. Après une ultime seconde à scruter chaque ombre, l’assassin s’élança dans la galerie suspendue entre le promontoire et le rocher où s’élevaient les ruines de la tour nord. Les vagues s’éventraient, loin en dessous de lui. De longues minutes s’étaient écoulées depuis ses acrobaties sur les poutres surplombant la salle de bal du château. Mais Kuro ne s’était pas encore totalement remis du choc. Une étrange sensation qu’il ne parvenait pas à identifier enflait dans sa poitrine.

Une violente bourrasque glaciale traversa les ouvertures répétitives en arc brisé qui formaient les flancs de la galerie, ramenant l’assassin au présent. Oui. Il avait une mission. Une cible. Il n’avait pas de temps à perdre avec le passé.

C’est fort d’une toute nouvelle détermination qu’il parvint de l’autre côté. Le jeune homme se retrouva en haut d’un large escalier qui descendait abruptement dans les profondeurs de la tour. Le plafond était bas et constitué de planches à moitié pourries. Une trappe en trouait la surface, sur sa droite, un fantôme d’échelle y était encore accroché.

L’elfe tendit l’oreille, à l’affût du moindre bruit de pas. Mais, hormis le bruit des vagues et le chuintement furtif de quelques rats, il ne perçut rien.

Bien… allons-y.

L’assassin entama sa descente, qui lui parut interminable. Au fur et à mesure, l’air se faisait plus froid et humide. Kuro arriva enfin en bas des marches. Une allée de pavés, large de plusieurs pas, encadrée de part et d’autre par des cellules aux barreaux rongés par la rouille. Voilà à quoi se résumait la prison. Une prison vide depuis des siècles.

La galerie n’était pas gardée, soit. Idem pour l’entrée de l’escalier, passe encore. Mais il n’y a vraiment pas un seul soldat, même pas un geôlier. La tour nord a été abandonnée, je le savais, toutefois, puisqu’un prisonnier s’y trouve, je pensais que ce n’était qu’une rumeur et que la reine l’utilisait toujours…

Un mauvais pressentiment commença à s’enraciner dans le cœur de Kuro, lui faisant oublier définitivement la prestation du chat-garou. S’infiltrer dans le château ne lui avait posé aucun problème. Cependant, c’était normal : il avait soigneusement évité les gardes et encore n’avait-il pas eu à le faire à de nombreuses reprises. Or, puisqu’il devait atteindre un prisonnier, il s’était attendu à devoir au moins en assommer un ou deux, dans les catacombes et à l’entrée de la tour. Mais ce n’était pas le cas.

Le client se serait-il trompé ?

Le jeune homme avança, aussi silencieux qu’une ombre. En tant que membre des Serres Assassines, il devait aller jusqu’au bout.

Ses yeux d’elfe lui permettaient de percer l’obscurité qui, pour un humain normal, aurait été insondable. Il atteignit bientôt le fond de la prison.

L’assassin s'arrêta et fronça les sourcils. Aucun prisonnier ne se trouvait dans les cellules du fond. Elles étaient toutes vides.

— Il n’y a… aucun prisonnier.

Qu’est-ce que cela signifie à la fin ?

Kuro examina le mur qui lui faisait face. Il y avait forcément autre chose. Il passa ses mains gantées de noir sur les pierres. Leur humidité imbiba tout de suite ses gants, mais il continua son examen tactile. Ses doigts rencontrèrent finalement une petite fissure, à hauteur d’homme, sur la droite. Elle se prolongeait sur tout un côté et était à peine perceptible à l’œil nu. Le jeune homme nota néanmoins qu’elle était bien trop droite pour être naturelle. Une des pierres était également à moitié délogée. L’assassin l’observa un long moment, avant de la pousser. Elle reprit sa place au sein du mur, suivit d’un léger « clic ». Tout un pan du mur disparut alors dans le sol, dans un espace lui étant spécialement aménagé.

Les passages secrets… une vraie perte de temps, songea Kuro avec un sourire satisfait.

La pièce que le pan de mur venait de révéler était relativement grande, comparée aux cellules, et très haute de plafond. Une modeste fenêtre quadrillée de barres de fer s’ouvrait dans la paroi de droite, à dix bons mètres de hauteur, laissant filtrer la pâle lueur d’Artémis. Quelques restes de livres à moitié désagrégés gisaient ici et là. Et, au fond de la pièce, sa cible. Pratiquement nu, le corps maigre, le prisonnier était allongé contre le mur. Ses longs cheveux blonds, sales et gras, ruisselaient en masse informe sur le sol, masquant son visage. Sa respiration était pourtant calme ; elle seule permettait à notre assassin de savoir qu’il vivait encore. Car, à part cela, le captif gardait une immobilité toute cadavérique.

Bah, mort il le sera bientôt.

Kuro avança. L’heure était venue d’accomplir sa mission. Sa main gauche se posa sur la garde de son poignard, qu’il dégaina d’un geste vif. La lumière de la pleine lune se réfléchit sur l’acier découvert.

S’agenouillant devant le prisonnier, il empoigna sa chevelure dans sa main droite et le força à relever la tête d’un mouvement brusque, en levant son couteau de l’autre, prêt à frapper. Son regard croisa alors celui de sa cible. Et son arme lui échappa. Elle tomba sur le sol avec un assourdissant crissement métallique.

— P-prince… souffla Kuro, incrédule, en dévisageant son ancien maître.

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