Coup de foudre?

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Le jour se consumait, à l’ouest. Sa lumière rasante couvait Capcorn d’un rouge flamme. Elia entoura distraitement une des mèches qui dépassaient de son capuchon autour de son index gauche. Elle était parvenue à s’éclipser du château à la fin du dernier conseil et, déguisée en fille du peuple, elle profitait d’une ballade bien méritée. En tant que simple habitante la ville se révélait sous un jour très différent que lorsqu’elle l’arpentait dans son rôle de reine. Les gens lui parlaient simplement, sans manière ni hésitation. Elle pouvait aller où bon lui semblait, au gré de ses envies et caprices. Tout était plus intense, plus proche, plus accessible. La barrière du rang et du devoir tombait.

— Si je n’avais pas été reine, aurai-je déjà trouvé l’amour ? s’interrogea la jeune femme à mi-voix.

Haussant les épaules et secouant la tête, elle chassa bien vite cette triste pensée. Peut-être. Peut-être pas. Pourquoi s’en soucier maintenant ? Elle était libre ! Le pas léger, presque dansant, elle trottina un moment dans les rues, s’arrêtant devant certaines vitrines pour admirer tantôt les coffres sculptés d’ébénistes, tantôt les pâtisseries colorées des boulangers. Elle s’émerveillait aussi des fleurs. Partout il y en avait. Aux balcons, sur les rebords des fenêtres, accrochées en couronne aux portes d’entrée ou aux lampadaires, emplissant des fontaines inutilisées ou s’étalant dans de petits parterres au pied des arbres des quelques parcs de Capcorn.

Les escapades de la reine étaient connues de tous, elle le savait pertinemment. C’était du reste pour cela que Wildrom n’envoyait plus personne la chercher lorsqu’elle disparaissait. Mais le déguisement la rapprochait de son peuple et, avec tous ces étrangers, mieux valait ne pas trop montrer son visage. Elle n’avait pas envie de se faire accoster par un noble d’un pays voisin désirant s’entretenir avec elle pour x raison et perdre ainsi le peu de liberté qu’elle avait.

La nuit approchait. Il lui faudrait bientôt rentrer, mais Elia était heureuse. Autour d’elle la foule bougeait, souriait, riait, parlait. L’atmosphère était festive, enjouée.

La souveraine déambula encore une petite heure, avant de finalement se résigner à reprendre le chemin du château. Elle emprunta des rues moins fréquentées mais plus directes afin d’arriver plus tôt. Son absence ne serait évidement pas passée inaperçue et, même en étant une reine, on ne faisait pas ce que l’on voulait, surtout à une période aussi chargée. Wildrom allait sans doute la réprimander, pour la forme. Elle répondrait, comme d’habitude, qu’il était nécessaire pour elle de voir incognito le bon déroulement des préparatifs, puis se retirerait dans ses appartements. Là elle rêverait à de grandes romances aventureuses pour en fin de compte se réveiller et recommencer une éprouvante et interminable journée de réunions… Toute à ses pensées, elle ne remarqua que trop tard l’obstacle qui se trouvait sur sa route, et lui rentra dedans. Coupée dans son élan, Elia poussa un petit cri de surprise en se retrouvant le nez dans une masse douce et chaude à l’odeur d’épine de pin. Elle mit une bonne fraction de secondes avant de se rendre compte qu’il s’agissait de quelqu’un et non de quelque chose. Elle avait en effet le visage collé contre un dos recouvert d’une ample chemise blanche.

— Par…don, bredouilla-t-elle, confuse, en reculant de deux pas, tête baissée.

— Ce n’est rien, belle demoiselle, lui répondit une voix jeune.

Elia sursauta. La voix était douce, mais indéniablement masculine. Relevant timidement la tête, elle croisa le regard noisette d’un jeune homme d’une petite vingtaine d’années. La reine de Froidelande eut le souffle coupé par la beauté de l’inconnu et par l’aura qu’il dégageait. Un peu plus grand qu’elle, il avait les cheveux aile de corbeau, mi-longs, et un visage d’ange qu’aucune imperfection ne venait gâcher.

L’homme de ma vie se tient devant moi, pensa la jeune femme sidérée.

— Il est rare de voir une albinos, fit l’inconnu, souriant.

— Une… ?

Elia réalisa alors que la collision avait rabattue sa capuche, exposant son visage.

— Wou…wouaaa !

Elle remit son capuchon précipitamment, avant de jeter des coups d’œil affolés de part et d’autres. Les rares passants de la ruelle ne s’étaient pas arrêtés et ne lui prêtaient pas la moindre attention. Tant mieux, c’était déjà ça.

Reportant son attention sur le jeune homme, elle le dévisagea, attendant une autre réaction. Mais il continuait de lui sourire, d’un air ravageur qui lui fit monter le rouge aux joues. Même s’il n’avait pas un accent très prononcé, son manque de réaction prouvait qu’il n’était pas d’ici. N’importe quel citoyen de Capcorn connaissait le visage de la reine. De plus, il ne faisait apparemment pas partie du corps noble d’un tierce pays, auquel cas il l’aurait sans doute reconnue.

— Quelque chose ne va pas ? demanda subitement le damoiseau. Un de ses sourcils formait un accent circonflexe au-dessus de son œil, interrogateur.

Se ressaisissant soudain et, se rendant compte qu’elle dévisageait le jeune inconnu depuis un petit moment, elle fit hâtivement une courbette et s’enfuit à toute jambe, les oreilles en feu, le cœur battant la chamade. Oui, elle était une romantique inconditionnelle, mais elle était également la souveraine de ce royaume ! Elle avait une réputation, une image à tenir !

Mais il était si beau… qu’est-ce que je risque à me retourner ?

Profitant qu’elle devait bifurquer à droite, elle marqua un temps d’arrêt et jeta un regard en arrière… pour croiser une nouvelle fois l’envoûtant regard noisette du jeune homme. Il lui souriait chaleureusement, ne la quittait pas des yeux. Troublée, elle s’élança à toute allure, ignorant les coups d’œil curieux que lui lancèrent passants et marchands qu’elle croisait. Toute sa vie, Elia avait rêvé d’amour. Au cours de ces deux dernières années, elle avait même rencontré plusieurs prétendants, car elle avait pour devoir de perpétrer la lignée de Froidelande. Son cœur s’était déjà emballé pour un ou deux jeunes nobles avec lesquels elle avait dansé, mais jamais cela n’avait été aussi intense que ce qu’elle venait de vivre avec ce parfait inconnu…

C’est cela qu’on appelle le coup de foudre ? Je suis tombée amoureuse ? Si vite ? Cela ne prend-t-il pas plus de temps ? Ne faut-il pas d’abord connaître une personne pour l’aimer ? Oh… ses yeux ! Et ce sourire !

Un large sourire étira ses lèvres.

Après plusieurs minutes d’une course effrénée, elle se glissa par l’une des portes cochères du château. Bien entendu, Wildrom l’attendait dans le hall, la mine renfrognée.

— Votre escapade s’est-elle bien déroulée ? lâcha-t-il durement.

Enlevant sa capuche pour dégager ses traits, elle le toisa avec toute la force qu'elle pouvait mettre dans son regard.

— Très bien, répondit la jeune femme, ironique.

Puis, sans laisser à l’autre le temps de poursuivre, elle lui assena sa longue tirade mûrement préparée (toujours la même depuis près de six ans) :

— Voir la ville en étant rien de plus qu’une simple fille du peuple est plus enrichissant que n’importe quel exposé sur la vie quotidienne de mes sujets. Pour améliorer leurs existences, je dois être au cœur de leur vie, et non pas sur un piédestal. Par ailleurs, j’ai besoin de ces moments de liberté. Je suppose que vous avez reporté les rendez-vous de cet après-midi à demain matin, n’est-ce pas ? Je vais donc me retirer dans mes appartements. Prévenez-moi, lorsque le souper sera prêt.

Elle dépassa son majordome d’une démarche autoritaire et s’en fut. Une fois seul, l’homme poussa un soupir et marmonna :

— Décidément, elle ne changera jamais !

Il partit ensuite vaquer à ses occupations.

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