Chapitre 57 : La bataille des cinq rois (partie 3)

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Albert

… Dans mon repli j’aperçus un groupe de fantassins se faire balayer avec autant de facilité que nous, bien qu’un sursaut se produisit lorsque Renaud rentra dans la mêlée. Je peinais à croire qu’un seul homme puisse produire un tel effet sur ses hommes. Sa seule présence les avait comme ressuscités. Je voyais des hommes mourir debout qu’il fallait encore frapper pour les faire chuter. Malgré cela gagner la bataille était chose impossible. Il semblait que la présence du roi était surtout là pour assurer un repli au gros des troupes.

Ainsi Godefroy se mit à organiser la retraite. Voyant cela j’ordonnai à toute la cavalerie de le rejoindre. Notre vitesse permit à la plupart d’entre nous de rejoindre l’infanterie sans trop de pertes. Les fantassins n’eurent pas cette chance. Je les regardait courir pour leur vie. Immanquablement ils se faisaient rattraper par quelques vampires désormais hors de la nasse. J’aperçus alors les premières redditions se produire et bientôt tous les hommes de notre flanc droit étaient morts ou capturés. Seul les semblables avaient réussi à former un dernier carré, résistant avec succès aux assauts ennemis. « Ils font bien » me dis-je. Non pas que la victoire était possible mais il était au combien préférable de se battre jusqu’à la mort que de se rendre à ces êtres… Demain tous ceux qui se sont laissé capturés regretteront de ne pas avoir combattu jusqu’au bout.

De toute évidence la foi ne faisait pas tout. Si elle motivait les hommes dans la victoire, elle n’immunisait pas contre la panique en cas de défaite imminente. Le soldat parfait est sans doute le fanatique entrainé. Ce dernier point avait été assez minime pour trop d’hommes ici. Ils en payaient désormais le prix…

Malgré tout, si l’infanterie excentrée ne pouvait clairement pas fuir il n’en était pas de même pour nous. Les chevaliers qui nous pourchassaient étaient bien plus lents et nous arrivâmes finalement à rejoindre la colonne menée par Godefroy. Ce reste d’armée fut bientôt rejoint par le détachement de Louis qui avait également fini par céder sous les coups de boutoir des trop nombreux chevaliers qu’ils affrontaient. C’est ainsi que nous quittâmes à huit-mille ce champ de bataille où nous arrivâmes trente-mille.

Volodia

… Alors que nous continuions notre œuvre, nous essuyâmes une contre-attaque de ces vils humains osant monter des bêtes plus nobles qu’eux. Le combat fut vite réglé. Leur charge était suffisamment bien exécutée pour faire chuter certains chevaliers mais le corps à corps qui s’en suivit fut à sens unique. Leurs mouvements étaient patauds et leur force ridicule. Cela confirma le vieil adage « à moins de deux-cents ans, nul ne peut se prétendre bretteur ».

Je tuais ou mettais en fuite ceux qui s’opposaient à moi. Bientôt la petite troupe de cavaliers se replia après avoir perdu près de la moitié de ses effectifs. Ce ne fut que pour être remplacé par des fantassins qui accoururent vers nous. Trop tard ! La brèche dans le cercle était de plus en plus large : de plus en plus d’hommes et de vampires s’en échappaient. Bientôt une pluie de flèches surgit des collines pour se diriger vers là où les fantassins ennemis menaient leur attaque.

Heureusement j’étais en retrait de cet endroit-là car si les armures préservaient des flèches, il n’en était pas de même pour le bout de tissu que je portais. Après que les derniers traits furent tombés, notre infanterie chargea nos ennemis. Le corps à corps tourna bien vite à notre avantage sous l’effet du nombre. Il n’y eut qu’un bref moment de sursaut lorsque leur roi s’avança pour redonner de l’espoir à ses troupes.

Voyant ceci, je me précipitai à sa rencontre pour avoir le privilège de le capturer mais un de ses gardes m’intercepta. Après avoir évité une de ses attaques, je feintai à gauche puis le décapitai d’un seul coup. Atteindre le roi Renaud semblait plus ardu que prévu tant tous les humains formaient un véritable bouclier vivant autour de lui. C’est alors qu’un chevalier d’Orania, le seigneur Vlassov, brisa la partie du cercle qui le retenait encore et fonça sur Renaud par derrière, ce dernier para maladroitement le coup porté par le vampire et dévia la lance du chevalier pour qu’elle se fiche dans son torse au lieu de son épaule.

Renaud tomba de son cheval. Tous les humains accoururent alors pour le protéger et le venger mais le seigneur en question était intouchable. Il tint aisément en respect toute cette vermine en faisant tournoyer sa lance autour de lui.

Après encore quelques heures de combats les derniers humains avaient été occis, s’étaient rendus ou avaient fui. Le triomphe de Nikolaj III était complet. Tous les vampires, dont moi, nous étions agglutinés autour du « roi » Renaud gisant au milieu de ses hommes, à moitié mort. Nous nous demandions tous ce que Nikolaj III allait réserver à cet esclave et nous reprochions au passage au seigneur Vlassov le mauvais coup qu’il avait porté à cet homme, l’empêchant de fait d’endurer pleinement le châtiment qu’il avait mille fois mérité…

Pour ce qui est des autres humains capturés, ils n’eurent pas cette chance, tous les vampires s’en donnèrent à cœur joie, ce fut là une véritable nuit de folie. Même les hommes de notre armée se terraient de peur dans leur tente devant l’étendue de la sauvagerie dont nous faisions preuve. Ce banquet fut des plus réjouissants et ce n’est là que le premier pas dans la reconquête de notre royaume mais, si ce fut le premier, ce fut également sans nul doute le plus difficile.

Christina

… Après le contact, la valse des manœuvres commença et, par Valass, qu’elles furent belles ! Le centre ennemi s’affaissa après les premiers échanges de coups. Rapidement toute notre ligne s’y engouffra et fut bientôt rejoint par la réserve. C’est alors que nos troupes furent prises dans le dos par un détachement ennemi surgissant là où devait arriver le roi Boris II. Nous fûmes dès lors pris en tenaille et l’étreinte qui en découlait allait nous être fatale.

C’est alors qu’une armée de secours arriva et, dans une charge digne des plus beaux romans de chevalerie, brisa le cercle et nous fit remporter la victoire ! Nikolaj III semblait pleinement satisfait, pour ma part je l’étais également bien que c’était davantage dû à la beauté de cet affrontement qu’à son dénouement. Nikolaj III doit être béni par Valass lui-même pour recevoir ainsi au moment le plus opportun pareil renfort… Lui et tous les seigneurs qui s’étaient faits encerclés.

Une fois les derniers combats achevés Piotr IV, Nikolaj III et moi-même nous approchâmes alors du charnier qu’était devenu cette verte prairie. Nous avions fait plusieurs milliers de prisonniers mais aucun des semblables ne s’était laissé capturé. Renaud lui-même qui gisait devant nous semblait également plus mort que vivant.

Nikolaj III s’exclama alors :

« Messires, nous avons aujourd’hui remporté une grande victoire contre un ennemi qui n’avait jamais connu la défaite. Il va falloir qu’il s’y habitue ! Nous ne pouvons pas nous permettre de le laisser se reprendre, dès demain nous marcherons sur Arnov, puis sur Urnia et enfin sur Altmar. Pas un des humains ne devra être épargné ! Tuez-les tous et soyez sans pitié car ils auraient été sans pitié avec vous ! Gloire à Valass ! »

Les discours n’étaient visiblement pas son fort mais l’euphorie de la victoire déclencha néanmoins des applaudissements nourris. Toute la nuit les vampires jouèrent avec les humains capturés. Certains moururent d’autres, moins heureux, furent mis en cage pour continuer à servir les prochains jours. Pour ma part je repris mes bonnes habitudes en pratiquant quelques jeux avec de beaux mâles avant de les déguster. Sans Vassilissa le plaisir n’était plus le même… et je doute que Branislav soit friand de ce genre d’activité. Il est plus que temps que je me trouve à mon tour une favorite.

Dès le lendemain nous partirons pour reprendre Arnov, les humains capturés seront disposés sur notre route, tantôts vivant tantôt morts, sur des croix, des roues ou des pâles en fonction des goûts de leur bourreau. Seul Renaud aura un traitement particulier : bien qu’encore agonisant des vampires se démènent pour le maintenir en vie. Il sera crucifié et placé à l’avant de notre armée tel un étendard afin que chaque humain sache ce qui était arrivé à son roi.

Irina

… Mais il sembla bien vite que non. L’armée des hommes se fit charger et détruire, malgré quelques contre-attaques… Je ne comprenais pas comment un tel désastre avait été possible… Je ne comprenais pas d’où venait cette armée… Je n’arrivais pas à réaliser que Renaud avait été vaincu… Mon désespoir fut encore aggravé lorsqu’on vint annoncer que le roi des hommes avait été capturé.

Une fois la bataille terminée, j’accompagnai les souverains vers le corps du malheureux. A la vue de mon bien aimé Renaud, embroché par une lance, face contre terre respirant péniblement, je partis en courant me réfugier dans ma tente en pleurant. Le soir venu je ne sortis pas. j’entendais néanmoins les hurlements de douleurs des soldats capturés que les vampires étaient en train de supplicier. Les cris de souffrance, les bruits des os qui craquent et les supplications des hommes liés au explosions de rire des vampires étaient véritablement cauchemardesques.

Je commençai alors la rédaction de cette journée, qui fut sans nul doute la plus terrible et la plus malheureuse de ma vie.

Mais alors que je pensais cette dernière terminée, Nikolaj vint me rejoindre dans ma tente. Je séchai péniblement mes larmes afin qu’il ne remarque pas ma tristesse et cachai mon carnet. Il sourit un instant et me demanda pourquoi j’étais malheureuse. Je répondis alors :

« Sire, la souffrance d’autrui m’importune, sans doute est-ce dû à une trop grande empathie indigne d’une vampire de mon rang. »

A ces mots Nikolaj se mit à rire et dit d’un ton plus léger :

« Avez-vous ressenti la même chose lorsque votre amie Veronika a été violée et tuée sous vos yeux ? »

Une frayeur me saisit. Je fis mine de ne pas comprendre mais il renchérit :

« Voyons ma dame, ne faites pas cette tête, il est inutile de le cacher, cela fait fort longtemps que je suis au courant de votre lien avec les humains, en fait cela fait depuis que vous êtes arrivée à Urnia ! »

Ces dires sonnaient comme des bruits à mes oreilles, je ne parvenais pas en comprendre le sens. Ce n’est qu’en me répétant ces sons plusieurs fois que je commençai à réaliser la situation…

« Vous avez l’air fort perdue, laissez-moi vous éclairer un petit peu sur tout cela, nul doute que vous mourrez d’envie de savoir ce qui vous a mené à cette journée. Lorsque vous êtes arrivées à Urnia j’ai été assez intrigué qu’une vampire ait été épargnée par des rebelles humains et qu’elle ait pu ainsi s’échapper saine et sauve. Ainsi après vous avoir conduit à vos appartements et que vous aviez rejoint mon frère, je repris une vieille habitude qui me venait tout droit de la cour : fouiller les chambres des personnes suspectes. Jamais je n’aurai pensé trouver un tel descriptif de chaque évènement… Votre carnet fut en effet tout à fait plaisant à lire, non pas que le style ait été magnifique, mais ce qu’il y avait d’inscrit était des plus intéressants. Un idiot vous eut dénoncé et fait exécuté mais, comme vous finissez par le savoir, j’ai une assez haute opinion de moi-même.

Je décidai donc de vous accompagner à Valassmar afin de tirer parti de la précieuse information que je venais de découvrir. Ayant lu ce que vous disiez à propos de ce Renaud, je n’avais que peu de doute sur ses capacités à mener à bien ses hommes et puis, s’il perdait, et bien je n’aurais fait qu’un voyage pour rien à la capitale. Mais, comme je l’avais supposé, il engrangea victoires sur victoires contre des vampires trop sûrs d’eux et qui ne connaissaient pas leur ennemi. J’espérais au départ que l’on me donne le commandement d’une armée afin que je mate moi-même ce rebelle en me servant de vous pour obtenir quelques titres. Il s’avéra que le destin en avait décidé autrement.

A la place je fus nommé ministre et je dus aider le nouveau roi à mener ses guerres. Evidemment il ne fallait pas qu’un autre seigneur défasse les hommes. Ainsi, sous divers prétextes, je vous donnais, et donc à Renaud, toutes les informations pour qu’il vainque ses ennemis les uns après les autres. J’étais gagnant quoi qu’il arrive. Si l’on m’envoyait secourir Urnia, je me serais servi de vous et aurais écrasé la rébellion, si je n’y allais pas je provoquais la défaite du nouveau général. Ainsi je n’hésitai pas à sacrifier mon frère et devins par la même occasion comte, ce qui était déjà un beau succès, vous en conviendrez. Ne me regardez pas ainsi, encore une fois je ne le détestais pas, loin s’en faut, mais voyez-vous je me préfère moi. J'aime mieux être comte fils-unique que rien du tout membre d’une fratrie. En réalité le plus dur dans cette histoire fut de vous protéger vous. Vous étiez gourde au possible. Au départ je pensai que mettre un garde à votre porte pour m’assurer que je serai le seul à connaître votre petit secret serait suffisant. Mais voilà que vous vous laissiez embobiner par Luna et que vous la preniez en pitié… Quelques jours de plus et elle eut pu tout découvrir et vous faire exécuter… Cela m’aurait beaucoup dérangé j’ai donc dû la faire taire.

Ensuite vous commenciez à porter bien trop d’intérêt à cette compagnie des semblables et me voilà obligé de vous exiler, toujours avec un garde, pour que nul ne découvre votre petit carnet que je lisais dès que je le pouvais avec grand intérêt.

Toutefois il y a une chose sur laquelle je ne vous ai pas menti, vous avez véritablement été mon porte bonheur car jamais je n’eus pensé pouvoir devenir prince héritier par adoption… Il était évidemment hors de question que je laisse passer cette chance de devenir le souverain d’Orania. Vous savez déjà comment j’ai procédé pour cela.

Il ne me restait dès lors plus qu’à signer la paix avec Isgar et Aartov et à enfin vaincre ces humains, ce pourquoi je vous avais accompagné au départ en fait. Pour ce faire je vous ai laissé assister à toutes les réunions du conseil afin que vous décriviez précisément à ce cher Renaud toutes mes actions. Plus j’y pense plus je me demande comment vous avez pu ne rien soupçonner. Enfin, on croit ce que l’on veut croire, vous vous imaginiez sans doute que quelqu’un avait confiance en vous et vous protégeait. Vous paraissiez même assez fière de vous en croyant me duper tout ce temps durant. Toujours est-il que durant cette campagne je m’assurais personnellement que vous alliez bien au pigeonnier après chaque réunion et jamais vous ne m’avez déçu. Pendant ce temps, en mettant le seul comte de Gamar dans la confidence, j’avais ordonné au grand-duc d’Ortov de laisser la régence à ma femme et d’accourir avec l’armée de dix-mille hommes que nous avions laissé à Ortov.

De cette façon, sans que quiconque ne soit au courant, pas même les autres souverains, le comte de Gamar coordonnait en secret cette armée pour qu’elle intervienne au meilleur moment durant la bataille. Ainsi, sûr des informations que vous lui aviez toujours données, Renaud se précipita dans le piège. Après avoir parfaitement paré le plan prévu au conseil de guerre de la veille, il se retrouva piégé dans la bataille par l’armée prévue à cet effet !

En tout cas je vous remercie pour votre aide, ainsi commencer sans titre et en cinq ans à peine devenir roi, voilà qui ne s'était encore jamais vu ! En fait, il n’y a qu’une seule chose où vous avez vu juste dans vos écrits, je suis en effet très orgueilleux et adore savoir mon génie reconnu ! Je dois bien avouer que la tête que vous affichez en cet instant me satisfait davantage que toutes les lignes que vous auriez pu écrire à mon sujet… Oui que vous auriez pu car je ne compte pas laisser en vie la seule personne au courant de ma compromission, cela pourrait affaiblir ma position de roi… »

Sans réfléchir je hurlai alors :

« Mais si vous avez lu mes notes, vous connaissez la vérité sur Valass et Himka, vous savez pourquoi nos deux races sont faites ! Nikolaj, soyez ce grand roi que les dieux attendent, arrêtez cette folie meurtrière ! »

Il me regarda alors d’un air dédaigneux et me répondit :

« Voyons… Vous-même vous l’admettiez au début, vous y croyez car vous voulez y croire mais rien ne prouve ces dires. Peut-être est-ce vrai, peut-être pas mais cela ne change rien, je détruirai les humains non pas car cela est juste ou parce que Valass le désire mais parce que je le veux et que je le peux. Chacun a son idée de la justice, pour certains sacrifier son royaume est juste, pour d’autres non. Cela n’a pas d’importance, seules comptent la volonté et la force dont on dispose pour la mettre en pratique. En ce qui me concerne je préfère avoir des esclaves à mon service que de laisser à ma porte un peuple libre ne rêvant que d’exterminer ma race… En réalité je suis même bien plus modéré que les humains ! »

Je le regardais pétrifiée… Moi qui croyais avoir aidé les hommes tout ce temps, je n’avais fait que les accompagner jusqu’à leur chute que j’avais moi-même provoquée… Nikolaj sortit alors Brise-l’âme et me l’enfonça dans le cœur. Je sentis alors mon esprit être aspiré par cet espadon, comme l’eut été mon sang avec Buve-Sang.

Enfin, c’est sans doute ce qu’elle aurait écrit si elle en avait eu l’occasion…

Nikolaj III, comte d’Urnia, grand-duc de Valassmar et roi d’Orania.

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