Chapitre 56 : La bataille des cinq rois (partie 2)

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Irina

… Malgré tout, la pression exercée par les armées coalisées ne parvenait pas à briser la ligne humaine. Tandis que cet immense corps à corps se poursuivait j’aperçus soudain à ma gauche débouler depuis les collines, non pas le corps du roi d’Aartov mais bien des troupes humaines, composées de fantassins et de cavaliers.

J’eus à peine le temps de me demander ce qui était arrivé aux troupes de Boris II que déjà les fantassins percutèrent la gauche de la ligne et commencèrent à encercler la nasse qui s’était formée pendant que les cavaliers se positionnaient dans le dos des innombrables hommes et vampires composant l’armée des quatre royaumes. Avant que toute manœuvre n’ait pu être effectuée, ils chargèrent l’immense amas de soldats qui s’offrait à eux.

Même de loin je voyais le cercle se refermer et se resserrer sur les malheureux soldats pris au piège. Les vampires étaient bloqués dans la marée humaine qu’ils étaient en train de traverser pour arriver au contact avant que le piège ne se referme sur eux. Ils tentaient désormais de faire demi-tour, sans que cela ne soit possible. Rapidement la discipline céda à la panique. Certains vampires hurlaient des ordres, d’autres frappaient leurs hommes pour se dégager. Seul le grand nombre de chevaliers présents dans la poche empêchait cette dernière de se rendre d’un coup. Au lieu d’être une question de secondes c’en serait une de minutes.

En effet il était impossible de se mouvoir. Inéluctablement les hommes de Renaud avançaient, réduisant petit à petit l’armée ennemie sans qu’elle ne puisse résister.

Soudain j’entendis sur ma droite résonner un cor. J’aperçus alors sur une colline une centaine de chevaliers brandissant l’étendard d’Ortov ! A l’écoute de ce son, les combats semblèrent s’arrêter un instant. L’espoir qui semblait avoir déserté le camp des vampires réapparut. Immédiatement les cavaliers descendirent de la colline. Lorsqu’ils furent assez proches de l’ennemi, ils chargèrent le cercle qui entourait leurs frères d’arme et le rompirent. Au même moment je vis des milliers de fantassins apparaître sur la butte d’où venaient les cavaliers.

Je ne comprenais pas la situation, jamais une telle armée n’avait été ne serait-ce qu’évoquée dans les conseils de guerre. Pourtant elle était là, me prenant totalement au dépourvu… Devant l’évolution de la situation mon dernier espoir demeurait dans le génie de Renaud qui avait peut-être été mis au courant de pareil renfort…

Volodia

Aujourd’hui comme les autres jours nous patrouillions à l’est du dispositif principal… Des rumeurs laissaient entendre que la bataille serait pour demain. Etant à plus d’une journée de marche et n’ayant reçu aucun ordre, il semblait que nous n’y participerions pas. Toutefois, alors que mes camarades et moi étions en train de désespérer de pouvoir de nouveau verser le sang des hommes durant cette campagne, nous vîmes poindre à l’horizon ce qui semblait être une armée.

Pensant avoir face à nous des renforts humains, nous nous approchâmes afin d’avoir davantage d’informations. C’est là que nous réalisâmes qu’il s’agissait en fait d’une armée de dix-mille hommes et cent-cinquante vampires dirigé par le grand-duc d’Ortov en personne.

Nous accourûmes à sa rencontre afin de lui demander ce qu’il faisait là. Le grand-duc nous reçut et, sans interrompre la marche, il clarifia la situation :

« Bien le bonjour messires, sa majesté le roi Nikolaj III m’a chargé d’accourir depuis Ortov avec toutes les troupes qu’il n’avait pas pu faire stationner à Vanov. Nous avons pour mission d’arriver par surprise lors de la bataille qui se tiendra demain. C’est pour cette raison qu’il a fait placer nombre d’éclaireurs à l’est ; afin que les hommes ne soient pas au courant de notre approche et que nous puissions les prendre par surprise. »

Après nous avoir expliqué cela, il nous informa que l’armée allait progresser toute la nuit afin d’arriver vers midi sur le champ de bataille. Nous allions donc avoir pour rôle d’éclairer la marche jusqu’aux collines est du champ de bataille pour nous assurer que nous n’allions pas être repérés jusqu’au dernier moment.

Nous fîmes ainsi. Nous avançâmes vers le lieu où la bataille prendrait place, sans rencontrer le moindre opposant ni la moindre sentinelle. Nous attendîmes alors sous le couvert d’une colline que le reste de l’armée nous rejoigne. Pendant des heures nous pûmes entendre les fracas des combats, contempler l’armée du grand-duc qui avançait inéluctablement vers le lieu de l’affrontement et voir les messagers se diriger vers le camp des vampires, probablement afin de renseigner le roi sur la bonne avancée des renforts.

Lorsque l’armée fut au niveau de la colline, le grand-duc ordonna qu’une ligne d’une centaine de chevaliers se prépare à intervenir. Il avait en effet eu il y a peu un message lui expliquant la situation sur le terrain. Il s’agissait donc pour nous de briser un encerclement dans lequel était pris le gros de nos effectifs.

Ainsi la quasi-totalité des chevaliers de l’armée, moi compris, formâmes une ligne sur deux rangs en haut de la butte. Lorsque nous fûmes prêts, nous fîmes sonner le cor puis nous dévalâmes la pente et chargeâmes les humains qui, se croyant en sûreté, se voyaient désormais encerclés.

En une charge nous brisâmes la ligne adverse et commençâmes à tuer tous les êtres qui se trouvaient à notre portée. La réaction de notre ennemi face à l’imprévu ne sembla pas des plus promptes. Tandis qu’il essayait tant bien que mal de s’organiser, nous continuions d’élargir la brèche que nous avions ouverte dans le cercle…

Albert

… La charge que je menai avec mes hommes fut magnifique. Grâce à leur manque de réactivité, nous réussîmes à jeter l’effroi et le désarroi dans le cœur de nos opposants au moment même du contact. Je tranchai tout soldat montrant quelque signe de résistance que ce soit et nous nous enfoncions dans la horde de fantassins de plus en plus dense à mesure que nous la pénétrions.

Les quelques vampires qui arrivaient à notre niveau étaient isolés et promptement abattus. Il sembla que la victoire n’était plus qu’une question de minutes jusqu’au moment où j’entendis un cor vrombir sur ma droite. J’arrêtai un instant de tuer tout ce qui était en face de moi et aperçus en haut de la colline une ligne de chevaliers, tantôt en armure, tantôt en haillon foncer vers le cercle que formait notre infanterie. Je voyais cette dernière réagir comme elle pouvait. Pourtant, si le peu d’entrainement qu’elle avait reçu lui permettait de suivre efficacement un plan prévu à l’avance, elle ne réussit pas à faire face à l’imprévu.

Le choc entre nos hommes et les vampires fut brutal. Au moment où le cercle fut percé un immense cri de joie retentit dans la nasse et les hommes qui paraissaient battus il y a quelques instants commencèrent à redonner des signes de combativité. Ce premier choc allait de plus bientôt être suivi par un second mais cette fois porté par plusieurs milliers de fantassins qui déboulaient à leur tour de la colline.

Ne cherchant pas à comprendre comment pareille armée avait pu nous échapper et arriver ainsi sur notre flanc, je commençai alors à regrouper le maximum de cavaliers possible sans pour autant briser la partie du cercle où je me trouvais. Je pus ainsi former un groupe de quatre-cents hommes et tandis que je laissai le commandement sur place à Joachim, j’ordonnai qu’on charge et défasse ces vampires, afin de refermer la poche au plus vite avant l’arrivée des fantassins ennemis.

Nous nous dirigeâmes donc à quatre-cents vers la centaine de vampires arrivée de nulle part. Après avoir marché dans leur direction, nous chargeâmes de façon compacte sur les derniers mètres. La charge permit de désarçonner une dizaine d’opposants mais ce fut bien là le seul résultat de cette action. Une fois le choc passé, un corps à corps au sabre se mit en place. Il était évident que nous ne faisions pas le poids contre des chevaliers à la force titanesque, aguerris par des siècles d’entrainement et d’expérience.

Leurs coups étaient puissants et précis. Je vis nombre de mes hommes tomber à terre à la première passe d’arme. Je me concentrai pour ma part sur un chevalier en haillon que je supposais plus facile à blesser. Mais il para ma première attaque et après m’avoir assené un coup d’estoc que je déviai, il lança une taillade que je parai sans réussir à garder mon épée en main sous l’impact du coup. Ainsi désarmé, voyant mes troupes se faire massacrer et l’infanterie ennemie avancer à grand pas dans notre direction, j’ordonnai la retraite…

Godefroy

… Cependant, au moment où tout semblait gagné, j’aperçus à ma gauche une troupe de chevaliers, bientôt accompagnée par le son caractéristique des cors vampiriques. A peine ce dernier eut retenti que les cavaliers commencèrent à marcher puis galoper en direction de notre flanc gauche. Voyant ceci je me retournai pour examiner la réaction de Renaud. J’aperçus à cet instant quelque chose que je n’eus jamais pensé possible :

Renaud était plus pâle qu’un vampire et semblait totalement désemparé. Ces yeux semblaient faire des aller-retour dans toutes les directions mais pas un ordre n’émanait de lui. Ce visage me terrifia bien davantage que la charge des vampires ou l’armée de fantassins qui la suivait. J’ordonnai alors au maximum de fantassins possible d’accourir vers l’endroit où le choc avait eu lieu. Pour se faire je piochai en priorité dans les troupes expérimentées des débuts de notre révolte, afin d’amaigrir le cordon retenant l’armée ennemie au maximum sans qu’il ne cède.

J’allai donc me battre dans la mêlée avec mes hommes pour la première fois depuis la bataille du chemin de Tussola. Nous arrivâmes au niveau de la brèche au moment où la cavalerie d’Albert se repliait. Je ne savais pas s’il s’agissait de couardise, de trahison ou bien d’une action réfléchie mais ce repli au moment de notre arrivée démoralisa d’emblée les quelques centaines d’hommes que j’avais réussi à amasser. Les chevaliers ennemis se retournèrent alors contre nous et le corps à corps qui s’en suivit fut terrible. La redoutable cavalerie vampirique tranchait quiconque s’avançait vers elle. vétérans comme nouvelles recrues tombaient sous leurs coups. Pour empirer la situation, les troupes contenues dans la nasse commencèrent à s’en extirper via la large brèche ouverte par les vampires, tandis que l’armée de fantassins dévalait la colline dans notre direction, décochant de nombreuses flèches sur nous, profitant du fait que presque tous les vampires ainsi que leur monture étaient si cuirassés qu’ils ne risquaient rien sous pareil déluge.

Le petit millier d’hommes que j’avais réussi à regrouper pour contre-attaquer se fit massacrer en quelques minutes à peine et je ne réussis pour ma part qu’à échanger une passe d’arme avec un vampire avant qu’une flèche ne se fiche dans mon épaule. Le désastre était total et seul un miracle pouvait nous sauver. C'est à ce moment moment, tandis que les hommes, malgré leur foi, commençaient à plier, tant de fatigue que de désespoir, que Renaud arriva dans la mêlée avec ses gardes et se mit à rallier les troupes démoralisées. En un instant nos soldats, assaillis de toute part et en infériorité numérique, reprirent confiance et commencèrent à se battre avec une ardeur que je n’avais jamais vue. J’aperçus un homme se faire briser son épée par un vampire, puis se faire couper les bras en se protégeant, puis encaisser un coup sur le crâne et malgré tout toujours se tenir debout face à son opposant qui dut lui asséner une ultime estocade pour le faire chuter.

Aucun homme ne ployait et il me sembla que le miracle était en passe de se réaliser. Renaud chevaucha alors dans ma direction et me dit :

« La bataille est perdue ! Jamais ces hommes, aussi motivés et fanatiques soient-ils, ne pourront retenir pareille armée. Regroupe et sauve ce qui peut l’être. Fuit le champ de bataille, nous ne pouvons pas nous permettre de tout perdre ici ! »

J’étais certain d’avoir mal entendu mais l’expression qu’affichait Renaud me persuada du contraire. Je lui répondis alors :

« Sire, la bataille peut encore être gagnée, de toute façon, jamais nous ne partirons sans vous, vous êtes notre roi ! »

Son visage laissa alors apparaitre une immense colère et il hurla :

« Non, la bataille est perdue ! Je ne sais comment mais une armée de plusieurs milliers d'hommes est arrivée de nulle part ! Non je ne partirai pas ! Si je pars tout notre armée se débandera et s’en sera fini de notre rébellion ! Oui tu vas organiser le repli comme je te l’ordonne ! Je suis ton roi alors cesse de réfléchir et obéis ! Je n’ai d’autre choix que de rester ici afin de maintenir le front pour garantir le bon repli des troupes. La survie de l’armée est plus importante que la mienne. Ce soir je ne serai plus, je te charge de ramener autant de monde que possible à Arnov et de continuer la lutte. Par-dessus tout je te charge de faire couronner Louen et de le protéger, l’humanité doit avoir un roi ! Tant que ma dynastie perdure, l’espoir de notre race perdurera avec elle ! Alors maintenant pars d’ici, tu ne sers à rien avec cette flèche plantée dans ton épaule ! »

A ces mots, et devant une telle fureur, je me repliai du point chaud des combats, ralliai un maximum d’hommes afin d’organiser un repli en bon ordre ou du moins sans trop de confusion ni de panique…

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