Chapitre 53 : Le corps des éclaireurs

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Christina

Les dires du comte de Similinmar ainsi que les aveux de prêtres humains capturés dans diverses villes nous en apprirent plus sur notre ennemi. Il s’agissait donc d’un certain Renaud, roi des hommes que certains prenaient pour un dieu, d’autres pour l’élu ou encore pour le grand forgeron… Visiblement chaque prêtre avait sa propre version des faits. Toujours est-il qu’il était adulé par son peuple et qu’il était selon toute vraisemblance bon stratège.

Nous voilà donc en campagne contre ce Renaud. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que les problèmes se fassent remarquer. Le simple fait de déplacer une armée de cinquante mille hommes est un véritable défi en soi mais cela l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un conglomérat d’armées de quatre royaumes différents. Afin éviter d’incessantes divergences, le commandement général de l’armée fut donné d’un commun accord au comte de Gamar, qui avait fait forte impression à Boris II lors de sa campagne contre lui. Il avait de plus l’expérience des guerres de Boleslaw et était pressenti pour être le futur porteur de Buve-Sang. Malgré tout, des dissensions demeuraient entre les chefs de guerre.

Le comte d’Or n’obéissait qu’à contre-cœur à chacune des directives du général oranien et si Boris II menait bien son armée selon les consignes qui lui étaient données, le duc de Lopioumar semblait bien moins compétent que les autres généraux. Il faut dire que cela faisait de nombreux siècles qu’Ishka n’avait pas guerroyé. Cela se ressentait clairement sur les compétences des commandants de son armée. Ainsi il y avait dans cette vaste coalition une armée qui obéissait à reculons et une autre qui éprouvait moult difficultés à accomplir ce que les autres faisaient sans effort.

Cette situation ne me dérangeait guère puisque quel que soit le résultat de cette campagne, celui-ci me satisferait. Je ne réprimandais donc que peu mon principal général, malgré son manque évident de bonne volonté.

Notre armée avança de cette façon fort lentement. Ce fut seulement après dix jours de marche que les éclaireurs oraniens aperçurent l’armée ennemie. Nikolaj avait, sur les conseils de son ministre de la guerre et de son corps d’observateurs, créé une unité de cavalerie légère spécialisée. Alors qu’auparavant cette mission était laissée à des chevaliers lourdement cuirassés, elle fut désormais confiée à des vampires sans armure mais simplement encapuchonnés pour se protéger du soleil afin de se mouvoir plus rapidement et de suivre l’armée avec davantage de souplesse.

Nous pouvions donc voir ce qui se trouvait à trois jours de marche devant nous au lieu de deux voire moins auparavant. Il était malgré tout évident que nous avions également été repérés par les éclaireurs ennemis. A chaque fois que le comte de Gamar voulait déplacer son armée, celle des hommes avait déjà décampé, se trouvait à l’opposé de notre position et en profitait pour piller de petits villages. Nous pratiquions ainsi un jeu du chat et de la souris, durant lequel le manque de discipline de nos troupes se faisait sentir jour après jour. Nous nous embourbions en marches et contremarches afin de tenter d’accrocher l’armée adverse, tandis que cette dernière attaquait des baronnies, se repliait, prenait un fortin, se dispersaient puis se regroupaient pour menacer nos lignes de communications, tant et si bien que nous commençâmes nous-même à reculer sous la pression adverse du fait de leur célérité.

Devant ces nombreuses petites défaites hors du champ d’action de nos troupes un conseil de guerre fut réuni. Les troupes étaient apparemment épuisées, les désertions étaient pour le moment limitées du fait du bon approvisionnement en nourriture et de la vigilance des vampires mais le moral tant des hommes que des vampires faiblissait. Le roi Nikolaj III exigea du comte de Gamar qu’une bataille soit livrée au plus vite sans quoi nous perdrions la campagne sans avoir combattu. Ce dernier se voulu rassurant et expliqua sa stratégie :

« Messires, calmez-vous… je sais qu’il parait que la campagne tourne pour l’instant en notre défaveur néanmoins Renaud n’aura bientôt plus de fief à piller. Certes son armée marche plus vite que la nôtre mais notre corps des éclaireurs menace son approvisionnement. De petits groupes ont étés envoyés sur les arrières de ses lignes et mènent une véritable guérilla contre laquelle les hommes ne peuvent rien. Ses convois sont pillés dès que possible sans que leurs maigres escortes ne puissent rien contre une dizaine de vampires motivés. Pour le moment Renaud se contente de consommer ses réserves, de se ravitailler grâce à de gros convois très escortés et de vivre sur le pays. Toutefois sous peu il devra soit se replier et subir un siège à Arnov, soit livrer bataille. Le siège serait long mais nous avons une bien plus grande expérience que lui dans ce domaine. Si nous capturons Arnov, tout son approvisionnement s’effondrera et il devra abandonner la moitié de son territoire. Il se verra donc contraint de livrer bataille. Laissons-le piller tant qu’il veut, nous lui rendrons bientôt au centuple tous ces torts ! »

Si le comte de Gamar est en effet un expert pour mener une campagne Il avait une faible expérience des batailles. Il préfère de loin la guerre de siège et d’attrition. Pourtant en l’occurrence il semblait absolument rechercher la confrontation avec un expert dans le domaine que même les vampires avaient appris à craindre. Sans doute compte-t-il sur sa supériorité numérique ou peut-être sous-estime-t-il notre adversaire à moins que ce ne soit Nikolaj III qui lui force la main… Enfin qu’importe, la bataille tant attendue aura bientôt lieu.

Volodia

La campagne a commencé et me voilà éclaireur… Il faut bien dire que personne ne voulait être éclaireur… Qui troquerait sa belle armure contre un haillon digne des plus démunis des hommes… Afin d’encourager quelques vampires à rentrer Nikolaj III a dû promettre bien des réductions d’impôts pendant bien des années… Pour ma part j’ai réussi à négocier auprès du roi lui-même que mon titre de co-baron soit enfin transformé en celui de simple baron à la fin de la campagne en échange de mon volontariat. Il n’était même pas au courant qu’un tel titre existait sur ses terres mais cela le fit bien rire. Enfin, j’ai l’habitude à la longue ; et puis la fille de mon frère n’ira pas se plaindre, grâce à moi elle a quand même échappé au statut de co-baronne qui l’aurait sans nul doute condamné à un éternel célibat. En fait elle me remerciera sans doute quand je lui apprendrai la nouvelle ! Ainsi les plus pauvres des seigneurs ont à contre-cœur rejoint ce nouveau corps… Même les observateurs se rient de nous…

Me voilà donc co-baron avec une enfant de quatorze ans d’un fief détenu par des humains et membre du corps des éclaireurs, reconnaissables à leur haillon les recouvrant de la tête au pied et à l’odeur qui s’en dégage… Je dois être le plus pathétique des chevaliers de toute l’histoire d’Orania…

Enfin au moins pendant que le reste de l’armée s’épuise et s’ennuie à marcher toute la journée, j’ai pour ma part un peu d’action. Avant-hier nous avons ainsi pris par surprise une caravane humaine remplie de pain. Nous avons donc brûlé le ravitaillement, mangé les humains et laissé un subtil message à l’adresse de ceux qui découvriraient le larcin en plantant la tête des misérables sur des piques… Parfois une image vaut mieux que mille mots.

Il règne une assez bonne ambiance dans notre groupe d’éclaireurs, nous sommes tous seigneurs sans terre ou avec un titre des plus obscurs, bien que je sois le vainqueur absolu en ce qui concerne la déchéance sociale et ce de l’avis de tous.

Les embuscades se font de manière régulière et il semble que les hommes n’aient pas vraiment préparé de parade à des attaques éclairs de vampires encapuchonnés… J’imagine que même les humains ne s’attendaient pas à nous voir nous avilir ainsi nous-même. Au moins ma lame goutte-t-elle le sang avant tous ces grands nobles. Grâce à cela l’humiliation que je ressens à porter pareil accoutrement est en partie compensée par l’immense plaisir que j’ai à torturer les humains ayant le malheur de croiser mon chemin. Il existe là aussi un concours entre mes amis vampires et moi mais cette fois-ci je suis loin d’être le dernier. Il y en a même un qui ne comprend pas bien les règles puisqu’il se contente à chaque fois de décapiter son prisonnier sous prétexte que faire souffrir des humains ne lui provoque nulle satisfaction… Quel rabat joie, enfin du coup on ne lui laisse plus de prisonnier et on s’amuse sans lui à ce jeu-là.

Mais alors que je commençais à oublier mon lamentable état, voilà qu’on nous ordonne d’aller à l’est afin de traquer d’éventuels éclaireurs ennemis, qu’évidemment nous peinons à trouver… Nous sommes donc là, à parcourir des régions déjà pillées à la recherche d’éclaireurs qui n’existent pas… J’espère au moins que la grande bataille que tout le monde annonce ne se fera pas sans nous !

Albert

Pendant les deux premiers mois de campagne il n’y eut pas de grands affrontements, nous nous contentions de libérer les villages alentours, d’assiéger de petites forteresses visiblement males entretenues ou encore de tendre de petites embuscades ici et là. L’ennemi n’était pas inactif pour autant : Le gros de l’armée adverse continuait de vouloir nous accrocher et de petits détachements harcelaient nos lignes de ravitaillement.

Renaud avait espéré pouvoir mener une campagne d’usure sans bataille en attendant que la coalition adverse s’effrite mais il refusait d’abandonner Arnov. Il ne pourra bientôt plus mener cette guerre indirecte en profitant de la plus grande vitesse de son armée à cause des problèmes logistiques. Le roi demeure confiant malgré tout, son armée est bien plus entrainée et expérimentée que celle de nos opposants, notre motivation est incomparable et il y a toujours cette Irina qui a réussi à se glisser au plus près des vampires et qui nous renseigne sur chaque manœuvre d’importance.

Renaud pense donc que cette bataille sera menée sous peu, hier déjà il a donné des directives pour que notre armée se rapproche de celle de notre ennemi afin qu’on lui barre la route. Il est fort probable que l’affrontement, que tout le monde ici espère décisif, aura lieu dans les prochains jours… Je pense l’espérer plus que quiconque… Si cette bataille pouvait au moins s’achever sur un compromis entre les hommes et les vampires je pourrais peut-être finir mes jours paisiblement avec richesse, gloire et reconnaissance en prime…

Mais peut-être me berce-je d’illusions… ? Après tout, à chaque campagne j’ai toujours espéré que ce serait la dernière et qu’une vie d’oisiveté ou du moins sans guerre s’ouvrirait à moi… Je fus à chaque fois déçu… Quand bien même Renaud pourrait éventuellement se contenter d’un royaume humain, son peuple belliqueux au possible le pousserait rapidement à reprendre les hostilités… Rares sont ceux guerroyant mieux que moi, peu ont davantage tué que moi et pourtant nul n’a jamais davantage désiré vivre en paix que moi.

Qu’on en finisse avec cette histoire et que je puisse enfin me reposer un peu après une vie de massacres !

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