Chapitre 49 : " On croit ce que l’on veut croire "

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Irina

10 novembre de l’an 5006 après la guerre des sangs.

Jour après jour je vois Nikolaj se démener pour obtenir sa paix avec Isgar et Aartov. Je me demandais ce qu’il pouvait penser. Il semblait tantôt satisfait, tantôt agacé, comme si le titre de roi lui avait permis de cesser de jouer la comédie en permanence et d’enfin pouvoir afficher d’autres expressions qu’un perpétuel sourire affable.

Après bien des mois sans réelles discussion, si ce n’est quelques échanges en coup de vent, Nikolaj accepta enfin de diner avec moi comme à mes débuts à la cour. Cela éveilla en moi bien de la nostalgie tant les évènements s’étaient succédés depuis. A l’époque il n’était qu’un seigneur sans titre avec et dénué d’expérience. Le voilà désormais souverain d’Orania. Pour ma part j’avais fini par me faire à cette ambiance et avais continué à aider les hommes du mieux que je pouvais. C’est pourquoi lors de cette soirée je me devais d’essayer de glisser en lui l’idée d’accepter de laisser les hommes vivre en paix pour parachever mon œuvre !

Le repas commença. Il m’expliqua rapidement que ses pourparlers de paix étaient fort compliqués. Apparemment Aartov est tout à fait favorable à ses propositions mais ce n’est pas le cas de la reine Vassilissa qui exige qu’on lui livre le duc de Cracvonia :

« C’eut été n’importe quel autre noble cela aurait été faisable mais elle exige que ce soit le duc de Cracvonia, le détenteur de Buve-sang, le général le plus respecté du royaume… Hélas cette paix est plus que nécessaire. Comme les deux familles royales qui s’opposent à moi sont liées, Boris II refuse d’abandonner son allié et ne signera rien sans que ce ne soit d’un commun accord avec Isgar, quand bien même les conditions de paix que je lui ai faites lui conviennent tout à fait… Cette Vassilissa déteste le duc au plus haut point parce qu’il a tué sa doublure qui devait sans doute être son amante pour qu’elle tienne ainsi à la venger… De plus la destruction de Joltourmar a rangé tous les seigneurs derrière leur souveraine… Assurément le duc est bon général mais bien piètre stratège pour ainsi penser que massacrer des vampires par centaines allait faire se fissurer le royaume d’Isgar… Du coup j’ai dû une fois encore être retors… A l’heure qu’il est le duc doit être en chemin vers Isgar officiellement pour y présenter des excuses quant au sort de Joltourmar et ouvrir le processus de paix. En réalité il va se faire enlever, lui et son escorte, par des agents de la reine. Elle fera croire qu’il s’agit là d’une manigance de son frère pour prendre le trône avant la naissance de son enfant qui ne devrait plus tarder. Cela fait, elle nous dédommagera en nous rendant Buve-sang ainsi que dix-mille écus de bronze et autant d’argent. La paix sera ainsi faite, nous allons nous enrichir, la reine pourra enfin se débarrasser de son encombrant frère qui n’a toujours pas renoncé au trône et accomplir sa vengeance sur le duc… En fait cette reine, bien que sadique et fort émotive, est tout à fait intelligente. De cette façon nous règlerons tous nos problèmes respectifs d’un seul coup ! Evidemment ce que je vous dis-là ne sort pas de cette pièce. En Orania je suis le seul au courant, avec vous désormais. »

Je finissais par être aussi habituée par le fait que Renaud remporte ses batailles que par le fait que Nikolaj arrive à faire tomber les gens qui le gênent. Je ne pus malgré tout m’empêcher de lui demander :

« - Mais ne craignez-vous pas que je révèle quoi que ce soit ? Si je venais à parler, même par accident, toutes vos manœuvres tomberaient à l’eau !

- Assurément pas ! Je vous en parle parce que j’apprécie ce regard plein d’admiration que vous me portez malgré vos tentatives de le cacher, qui s’améliorent d’année en année je le reconnais. Pour ce qui est d’un malencontreux mot de trop de votre part, je n’aurai qu’à nier, je suis le roi après tout et vous n’êtes que baronne. Par contre je puis vous assurer que, bien que cela me fera beaucoup de peine, je vous ferai exécuter. Moi roi personne ne mettra en danger les intérêts du royaume, même par mégarde. Regardez le duc. Ce vampire n’a rien fait de mal et pourtant son existence et son statut nuisaient grandement au pays. Ai-je hésité à l’envoyer subir un sort pire que la mort ? Pas un instant ! Je fais ce qui est raisonnable. Il faut savoir lier la sagesse à la force lorsqu’on est roi. Force et sagesse, tels seront les mots qui guideront mes actions de souverain ! Il faut être fort pour vaincre ses ennemis et être libre d’accomplir ses projets et il faut être sage pour utiliser cette puissance à bon escient et savoir reconnaître sa défaite le moment venu. Continuer la guerre contre Isgar et Aartov comme le voulait Miroslaw était une folie. La défaite de Beauruisseau nous a définitivement empêché de sortir victorieux de ce conflit. Heureusement qu’il est mort en réalité, sans quoi le royaume eut pu s’effondrer ! »

Un doute m’assaillit, la façon dont il parlait de la mort du roi… Je n’osais y croire mais il fallait que je le demande :

« Vous parlez étrangement de la mort de Miroslaw… mais… vous n’y êtes pour rien n’est-ce pas ? »

Un sourire s’afficha sur son visage et après un petit moment il me demanda :

« - Qu’en pensez-vous ? Y suis-je pour quelque chose à votre avis ?

- Et bien il y a encore quelques instants j’aurai répondu non assurément mais votre expression et ce sourire me font penser l’inverse… Vous en avez tiré grands avantages après tout ; vous ne risquez plus de mourir assassiné, la reine vous soutient et surtout vous êtes roi !

- Formidable ! Vous avez raison sur presque tout ! Mais je ne suis pas le seul à en tirer avantage, il y en a un autre… Piotr IV a ainsi pu s’assurer que sa fille serait reine tout en se débarrassant de la compagnie des semblables qui faisait la honte de son royaume. Lors des festivités je lui ai glissé qu’il se réjouissait pour rien, que je serai mort dans des circonstances suspectes bien avant Miroslaw et que sa fille ne serait probablement jamais reine. Quand bien même Miroslaw aurait eu un prince, il ne l’aurait en aucun cas marié à une vampire déjà déflorée, fusse-t-elle une princesse. Ce brave Piotr IV n’est certes pas des plus fins mais il aime sa fille plus que tout au monde, je m’en étais assuré à force de discussion avec lui tout au long de la semaine qui a précédé le mariage. Je lui ai donc glissé qu’il serait dommage que le chef de la compagnie des semblables tue Miroslaw. Cette dernière serait alors dissoute, l’exception de non hiérarchie pourrait être abrogée et sa fille serait instantanément reine… Ce serait vraiment fâcheux. Ainsi, sans me compromettre directement et en le persuadant que le plan venait de lui, je lui dictai toute la marche à suivre. Une fois l’affaire entendue je n’avais plus qu’à attendre et feindre la surprise. Un de ses hommes a sans doute tué le comte Drago dans la forêt, enterré le cadavre, enfilé son armure, puis tué le roi avant de s’enfuir dans les bois. Voyez-vous, ce qui est bien avec les sentiments c’est qu’ils obstruent bien souvent toute raison. Les vampires étaient trop heureux de croire que les semblables avaient commis ce régicide, ils n’ont donc pas cherché plus loin. Les quelques-uns qui eurent pu en douter se rangèrent du côté de la majorité par effet de groupe. Le fait que la compagnie s’échappe est plus dû à la malchance et à son expérience du combat mais s’ils avaient été pris ils auraient sans doute été torturés jusqu’à avouer leur crime… Si un jour vous complotez avec quelqu’un soyez sûr que tout le monde ait intérêt à vous suivre. N’agissez pas par la contrainte, la haine à votre égard qui en résulterait pourrait vous desservir. La reine Vassilissa a beaucoup gagné à participer à ma mascarade, le roi Piotr IV aussi d’ailleurs. Même ceux qui n'étaient pas impliqués furent plus que satisfaits. Les seigneurs d’Isgar ont eu leur vengeance et verront le renégat Dmitri châtié pour son manque de patriotisme tandis que les chevaliers d’Ishka n’auront plus à supporter la compagnie des semblables. Ainsi, même si des rumeurs de la vérité venaient à se propager, les gens refuseraient d’y prêter attention car cela les desservirait. On croit ce que l’on veut croire. En l’occurrence que Dmitri était un traître et les semblables des régicides. Ma seule peur était la réaction de la reine mais si elle s’était opposée à mon règne je l’aurai poussé à se révolter ouvertement contre moi et l’aurais faite exécuter une fois l’appui des grands seigneurs acquis. Heureusement il n’en fut rien, elle a été sage et s’est rangée de mon côté. »

Plus je parlais avec lui moins je le comprenais, certes il était brillant manipulateur mais quel était donc son but ? Servait-il le royaume ou bien se servait-il lui-même ? Je lui demandai donc, sachant que sa plus grande source de satisfaction et sa seule faiblesse à ma connaissance était ce plaisir qu’il éprouvait en me racontant ses coups tordus et ses motivations. Cela flattait son égo. Il me répondit :

« Et bien les deux en réalité… Bien que servir le royaume ne soit qu’un moyen de me servir moi-même. C’est parce que j’ai su m’attirer la sympathie de bon nombre de seigneurs que j’en suis là, parce que j’ai empêché Orania de sombrer dans des guerres fratricides. A vrai dire le destin de ce royaume est lié au mien. Aujourd’hui plus que jamais étant donné que je suis roi ! »

Il est vrai que quand bien même dans le passé le royaume n’ait pu être pour lui qu’un tremplin, désormais il l'incarne… Son destin y est lié… L’inverse est aussi vrai d'ailleurs. Il n’a pour le moment aucune descendance et s’il venait à mourir il n’y aurait plus de roi légitime à Orania… Cela ouvrirait sans doute une période de guerres comme on n’en a pas vu depuis des millénaires… Depuis la guerre des sangs en fait… Enfin, pour le moment le problème le plus pressant était le même que pour moi, je ne pus donc m’empêcher de l’interroger :

« Il reste toutefois encore le problème des hommes à régler et cette fois-ci il est peu probable que vos manigances vous tirent d’affaire… Pensez-vous pouvoir les vaincre ? »

Il afficha encore un sourire et répondit d’un ton fort simple :

« Honnêtement, je suis plus à l’aise dans l’ombre, une plume à la main ou en tête à tête avec quelqu’un fusse-t-il mon ennemi, que sur un champ de bataille où je n’ai jamais mis les pieds. Nous devrions pouvoir amasser énormément d’hommes mais si nous subissions une défaite comme à Beauruisseau je crains que l’alliance des quatre royaumes ne résiste pas. Isgar et Aartov risqueraient de se retirer trop contents de voir Orania durablement affaibli et peu enclins à subir de nouvelles pertes. Ensuite les problèmes d’effectifs et d’impôt resurgiraient bien vite… Je pourrai même me voir contraint de négocier une paix avec les hommes… Enfin, espérons que cela n’arrive pas mais si cela devait advenir… Les petits seigneurs seraient sans doute de mon côté contre les grands pour arrêter les frais à temps. Je ne tiens pas pour autant à voir émerger le premier royaume humain depuis des millénaires sous mon règne ! La prochaine confrontation avec les hommes sera décisive, d’ailleurs je tiens à ce que vous m’accompagniez pour cette campagne, après tant de temps sans passer un seul dîner avec vous, j’avais oublié combien votre compagnie m’était plaisante ! Nous partirons cet hiver pour Vanov afin d’y réunir les armées des quatre royaumes, d’y signer formellement la paix entre nous pour enfin proclamer l’alliance des vampires contre les hommes ! »

J’obtempérai avec grande joie… J’allai ainsi pouvoir aider Renaud du mieux que je pouvais. Bientôt un royaume des hommes allait naître… Ce n’était pas encore la fraternité entre les races mais si un souverain non vampire était reconnu, ce serait sans nul doute un immense pas vers mon idéal… Je vais peut-être même voir de mes yeux le triomphe de Renaud !

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