Chapitre 41 : La bataille de Beauruisseau (partie 1)

7 minutes de lecture

Godefroy

Nos éclaireurs suivaient l’armée ennemie à la trace depuis qu’elle avaient quitté Arnov. Cela faisait deux semaines que nous attaquions tous les villages de la région mais la plupart des vampires s’étaient réfugiés dans de petites forteresses que nous n’avions pas le temps d’assiéger et dont l’assaut nous aurait coûté bien trop d’ hommes.

Toutefois le but principal ayant été d’attirer l’armée ennemie, l’opération fut néanmoins un succès. Au fur et à mesure des jours nos campements se rapprochaient jusqu’à ce qu’au soir du dix-huit mai, il ne fasse plus de doute que la bataille aurait lieu le lendemain.

La nuit se passa dans le recueillement ; après le souper chaque homme pria pour la victoire et sa survie, puis nous nous endormîmes sous les étoiles sachant que le lendemain se livrerait la plus grande bataille à laquelle les hommes n’avaient jamais participé, du moins depuis cette fameuse guerre des sangs dont parlent les livres. A l’aube, le clairon nous réveilla et en une heure nous fûmes prêts et en rang face à l’ennemi, qui n’était pas encore parfaitement formé. Chacun des hommes de ma compagnie feignait l’assurance mais je les connaissais, je savais qu’ils avaient peur. L’un avait une femme, l’autre déjà des fils. Et même ceux qui n’avaient rien de tout cela ne craignaient pas tant de mourir que de recevoir un mauvais coup les laissant à l’agonie pendant des heures et à jamais estropiés en cas de survie.

Nous étions sept-mille soldats plus toute la cavalerie légère à attendre sur une petite colline devant laquelle se dessinait une plaine légèrement vallonnée ; avec en son milieu une ferme abandonnée ainsi qu’un ruisseau ridiculement petit que tout humain pouvait aisément enjamber.

L’armée ennemie devait peut-être contenir deux-fois plus d’hommes, sans compter les vampires. Lorsqu’enfin la ligne adverse fut en place, nous vîmes s’approcher peut-être deux mille soldats. Une fois à mi-distance, nous réalisâmes qu’il s’agissait en fait d'archers qui commencèrent immédiatement à faire pleuvoir leurs traits sur notre position.

Tous les hommes n’avaient pas de bouclier et chacun tachait de se protéger comme il pouvait tandis que nos archers ripostaient. La mort pleuvait sur nous et à chaque volée que nous encaissions, des dizaines des nôtres tombaient tandis que des blessés se roulaient à terre dans des hurlements de douleur. D’autres restaient stoïques en dépit de leur blessure. Bien que nos archers tiraient plus vite et plus précisément, leur faible nombre ne permettait pas de rivaliser avec les tireurs ennemis et après quelques échanges de flèches, Renaud ordonna que nous avancions et que la cavalerie légère disperse ces tirailleurs.

Nous commençâmes donc à marcher sur l’ennemi pendant que notre cavalerie fonçait sur les tireurs qui se replièrent après s’être à leur tour fait harcelés par nos archers montés. Petit à petit, notre armée se rapprochait de celle nous faisant face. Nous avions une ligne de six-mille hommes très étendue pour ne pas permettre aux vampires de nous déborder soutenue par une réserve d’un millier de soldats à l’arrière, avec Renaud. Une fois le ruisseau passé et l’armée ennemie à quelques mètres seulement, nous chargeâmes dans un hurlement de fureur, tandis que nos adversaires firent de même. Le choc fut très violent mais notre entraînement compensa notre infériorité numérique. Petit à petit la mêlée s’engagea sur toute la longueur du champ de bataille tandis que les hommes s’échangeaient des coups avec fracas. Plus le temps passait plus c’était évident ; nous étions bien meilleurs qu’eux : lorsqu’un des nôtres tombait, trois des leurs s’effondraient…

Volodia

En ce dix-neuf mai de l’an cinq-mille six la plus grande rébellion des hommes allait s’achever ! Le comte de Similinmar avait beaucoup étudié le déroulement des précédents affrontements à Tussola et Urnia. Il en avait déduit que la stratégie de nos opposants était en fait assez simple.

Elle reposait sur la trop grande confiance des vampires ; ces derniers chargeaient alors pour percuter l’armée adverse de front mais avant que leur ligne ne s’effondre, un prompt renfort dissimulé intervenait pour renverser le cours de la bataille. Ainsi des dispositions avaient été prises en vue de cet affrontement. En premier lieu, nous n’attaquerions pas les premiers. Pour se faire des milliers d’archers furent envoyés pour harceler l’armée ennemie et les pousser à l’assaut. Je les voyais décocher leurs traits. Même à grande distance on pouvait distinguer cette pluie d’acier s’abattre sur l’armée ennemie qui répondait à hauteur de ses effectifs.

Comme prévu, notre adversaire marcha alors dans notre direction et envoya sa cavalerie disperser nos archers. Nous vîmes alors apparaître une réserve de mille hommes de derrière la colline, que ces imbéciles d’humains avaient sans doute cachée pour appliquer leur martingale habituelle. Je vis nombre de nos tirailleurs se faire transpercer par quelques traits tirés par les cavaliers les poursuivant mais les hommes ne risquèrent visiblement pas leurs précieux chevaux dans un corps à corps.

Bientôt le gros de l’infanterie adverse s’avança au contact. La mêlée était sauvage mais leur entraînement faisait clairement la différence. Bien que nous soyons presque deux fois plus nombreux, notre ennemi ne perdait pas pied. Cela aussi était prévu. Alors que la bataille était indécise, nous aperçûmes la réserve adverse charger notre centre. La célérité de cette attaque couplée au déchainement de fureur des troupes en ce point, comme si elles s’étaient retenues jusque-là, faillit nous emporter d’un seul coup. Le comte ne paniqua pas et envoya alors sa propre réserve de trois-mille hommes bloquer cette poussée et, après une dizaine de minutes, la situation était stabilisée. Petit à petit l’armée adverse semblait se fatiguer et bientôt ils se mirent à reculer.

C’est alors que nous, les chevaliers, entrâmes en action. Nous passâmes sur les ailes et bien que constamment sous les flèches des archers montés adverses nos armures nous protégeaient. Sur mon flanc je ne vis qu’un seul vampire s’effondrer à cause d’un mauvais trait d’arbalète logé dans un défaut de l’armure au niveau du coup. Hélas, ce n’était pas mon frère. Qu’importe, nous chargeâmes alors violemment les flancs ennemis. Au premier contact toute l’armée adverse se débanda. Nous en reçûmes l’ordre mais ce n’était nullement la peine tant la poursuite était un choix naturel. Nous galopions à travers les rangs défaits de l’ennemi et tailladions tous ceux qui passaient à portée. De temps à autre, comme preuve supplémentaire de leur entraînement, de petits groupes de soldats se formaient pour repousser les charges de notre cavalerie qui avait rompu toute formation afin de mieux poursuivre. Je vis un vampire charger seul un groupe de six hallebardier, qui réussirent à tuer sa monture malgré son armure et à faire chuter son cavalier. Ils ne l’achevèrent pas par manque de temps, d’autres vampires se rapprochant déjà. Au lieu de cela ils reprirent leur fuite.

Ainsi dans cette désorganisation se formaient des petits îlots de résistance, limitant pour le moment les pertes adverses. Ces restes de discipline n’allaient pas résister longtemps à la fatigue. Plus nous gagnions du terrain, plus je voyais de cadavres ennemis… Je me disais que c’étaient là les plus chanceux ! Même notre piétaille leur courrait après quoique le manque d’entraînement se faisait de nouveau sentir : nos hommes se fatiguaient vite et leur formation étant également brisée, les duels qui en résultaient ne tournaient que rarement en leur faveur.

Notre ruée se poursuivait néanmoins et je fondais et tuais chaque humain isolé et exténué que je trouvais…

Godefroy

… Renaud envoya alors sa réserve au centre aux côtés de ma compagnie. J’ordonnai donc à mes hommes de donner tout ce qu’ils avaient pour percer ! Un nouvel hurlement de fureur se fit entendre et bientôt nous nous enfonçâmes dans la ligne ennemie, comme le couteau dans la viande.

Alors que nous pensions pouvoir percer puisqu’il ne devait rester plus qu’un ou deux rangs à la ligne adverse, je vis l’immense réserve de nos opposants colmater la brèche. Malgré leur faible réactivité, ils avaient réussi à arriver à temps. Quelques instants à peine après que la situation se fut stabilisée ici, je réalisai que notre armée commençait à fuir. Les chevaliers ennemie avait dû entrer en action sur les flancs. Voyant cela j’ordonnai le repli. Chacun courrait alors pour sa vie et seules de petites formations éparses parvenaient à empêcher les vampires de tous nous cueillir comme des fruits mûrs. Je voyais les éléments les plus faibles de notre armée tomber les premiers, suppliant les chevaliers qui arrivaient à leur niveau, sans succès.

Tandis que certains individus abandonnaient, d’autres se battaient. Je vis certains groupes repousser quelques vampires isolés ayant abandonné toute discipline pour avoir le plaisir d’achever eux–mêmes le plus d’humains possibles. J’essayais tant bien que mal de coordonner ces petits îlots, qui devaient se former dès qu’un cavalier arrivait et fuir immédiatement après qu’il eut été repoussé pour qu’on ne soit pas rattrapé par l’immense marée humaine à nos trousses. Plus nous avancions, plus je voyais la formation ennemie se disloquer mais la nôtre faisait de même. Quelques soldats adverses, sans doute les plus rapides, arrivaient à nous rejoindre mais étaient généralement vaincus par un de nos hommes.

Les armées encore bien organisées d’il y a une demie heure faisaient maintenant place à une bande de fuyards, poursuivie par une immense masse d’hommes et de chevaliers qui faisaient davantage penser à un amas de fous furieux qu’à un ost discipliné.

Dans notre retraite, les cavaliers légers jouaient également un grand rôle en criblant de flèches les chevaliers ennemis avançant trop vite. J’étais pour ma part exténué, tantôt j’hurlais des ordres, tantôt je courrais, tantôt je m’arrêtais pour évaluer la situation, puis je me remettais à détaler… Il n’a jamais été plus vrai qu’en ce moment de dire que la sueur épargne le sang. Sans tous ces poursuivants voulant me tuer, je me serais sans doute écroulé de fatigue depuis longtemps. Cette course pour la survie n’était plus une question de physique mais de mental, il fallait vouloir survivre plus que tout. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions de notre position de départ, de plus en plus d’hommes abandonnaient ou trébuchaient. Les pertes relativement limitées du début commençaient à se faire plus nombreuses.

Mais chacun d’entre nous voyait notre colline de départ comme le salut…

Annotations

Vous aimez lire Antoine Zwicky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0