Chapitre 37 : Une naissance cruciale

9 minutes de lecture

Irina

18 août de l’an 5005 après la guerre des sangs.

Alors que je m’attendais à ce que mon séjour ici soit des plus rébarbatifs, il n’en fut rien. En effet je découvris qu’il y avait dans la ville la plus grande bibliothèque du royaume ! Je passais donc le plus clair de mon temps dedans, lisant et relisant l’histoire du pays. J’avais beau ne pas aimer la conduite des vampires vis-à-vis des humains, je n’en éprouvais pas moins la passion des grands rois ! Au fond en lisant toutes ces biographies, j’espérais un jour pouvoir y voir celle de Renaud en tant que premier humain digne de figurer dans ces ouvrages ! Peut-être d’ici quelques siècles, qui sait ?

Pour le moment je me contentais de me remémorer comment Stanislas « le fondateur » avait créé Orania, avec quelle maestria Nikolaj II « le conquérant » avait assimilé le royaume d’Ortov, dont la lignée royale aux cheveux blancs devint celle des grands-ducs et comment, avec la complicité d’Aartov et d’Isgar, il avait détruit le royaume de Kuros. Je sanglotais en imaginant de quelle triste façon Kazimierz II « le malheureux » avait perdu tous ses enfants mais comment Stanislas III « le choisi », son fils adoptif, parvint à battre le cousin du roi et à lui arracher la couronne. Je me remémorais comment Vlad III « le pieux » avait écrasé le grand schisme du culte de Valass qui s’était produit un siècle avant son accession au trône et enfin je revivais les guerres de Boleslaw « le fort » qui avait vaincu Isgar et Aartov. Et il ne s’agissait là que d’une petite partie de tous les rois d’Orania.

Bientôt Renaud rejoindrait tous ces grands personnages, sans doute pas en tant que souverain d’Orania mais sans que sa gloire n’en soit moindre pour autant !

Après ces escapades dans la bibliothèque je m’empressais généralement de rejoindre Eryk avec qui j’avais pris l’habitude de manger. Bien que guère loquace il se sentait obligé de me faire la conversation. Il me racontait qu’il était le dernier des quatre fils d’un noble de la ville d’Urnia mais que sa famille n’étant pas des plus riches, il s’était engagé comme garde-chevalier à Valassmar. Il s’entendait tout à fait bien avec Nikolaj et avait à peu près le même âge que lui. C’est d’ailleurs lors du premier séjour à la cour de Nikolaj que ce dernier avait réussi à le faire embaucher, en payant lui-même son équipement.

Il se rappelait notamment que Nikolaj n’aimait pas l’immobilisme qui régnait à la cour, cette impossibilité de faire ses preuves sous Vanceslas II. En effet les membres du conseil et les courtisans influents verrouillaient absolument tout le système et n’étant lui-même pas grand guerrier, Nikolaj n’avait guère de chance d’espérer un jour pouvoir monter dans la hiérarchie, surtout en l’absence de titre. C’est pourquoi Eryk avait été agréablement surpris de le revoir après tant de temps.

Ce dernier était finalement tout à fait agréable et semblait véritablement apprécier Nikolaj, ce qui nous faisait un point commun. Je n’oubliais pas pour autant ma mission d’infiltration. J’avais réussi à savoir que l’armée ne bougerait pas avant l’année prochaine et avait transmis cette information à Renaud il y a de cela deux semaines sans qu’il n’y ait grand-chose de nouveau depuis. Je continuai donc à passer mes journées à la bibliothèque, mes repas avec Eryk et mes soirées avec les autres seigneurs afin de glaner quelques informations.

Liste des rois d’Orania :

Stanislas « Le fondateur » (1-366)

Nikolaj « Le bâtisseur » (366-712)

Vlad « Le prospère » (712-1410)

Stanislas II « Le fol » (1410-1416)

Dobroslaw « Le sage » (1416-2022)

Nikolaj II « Le conquérant » (2022-2679)

Kazimierz « Le bref » (2679-2789)

Vlad II « Le gros » (2789-3013)

Kazimierz II « Le malheureux » (3013-3400)

Stanislas III « Le choisi » (3400-3802)

Dobroslaw II « le naïf » (3802-4151)

Vlad III « Le pieux » (4151-4540)

Vanceslas « Le juste » (4540-4756)

Boleslaw « le fort » (4766-4972)

Vanceslas II « L’absent » (4972-5003)

Miroslaw (5003-????)

Volodia

Cette semaine fut fort chargée en nouvelles. Le trente août nous avons appris qu’enfin la forteresse d’Imichk était tombée. Le seigneur Grigori ayant, comme son père, refusé de prêter serment il fut exécuté. Ainsi se termine enfin cette guerre civile qui nous aura malgré tout fort handicapé pendant ces deux premières années de conflit. Au moins, cela étant fait, Imichk pourra servir de nouvelle base de ravitaillement. De plus l’armée du comte de Similinmar est désormais en route pour se joindre à nous.

On va enfin pouvoir écraser cette racaille ! Tous les vampires sont extrêmement remontés, non seulement parce que des humains osent s’en prendre à eux mais surtout parce que depuis maintenant plus d’une semaine, nous apercevons régulièrement des cavaliers à l’horizon qui ne sont pas les nôtres. Le fait que des humains osent s’improviser chevaliers et qu’ils nous espionnent ainsi, profitant de l’absence d’armure pour nous filer entre les doigts lorsqu’on les poursuit, a le don de mettre en fureur n’importe qui ici. Même moi je m’accorde sur ce point avec mon frère et des dispositions ont déjà été prises pour infliger des châtiments tout particuliers aux immondes bestiaux bipèdes ayant monté ces nobles animaux.

L’autre nouvelle fut l’annonce de la naissance du prince ou de la princesse d’Orania. Comme le veut la coutume, les cloches ont commencé à sonner. Il y aurait vingt et un coups s’il s’agissait d’une fille et cent-un pour un garçon. Ainsi lorsque le clocher se mit à sonner alors que ce n’était absolument pas l’heure pour et que ce premier coup fut bientôt suivi d'un deuxième ; tout le monde se tut et un silence plein d’attente se fit sentir. L’avenir de la dynastie était en jeu après tout car, avec la mort de Grigori, nul dans le camp ne savait qui serait l’héritier si Miroslaw venait à mourir. Coup après coup la tension augmentait. Au vingtième son de cloche tous les vampires retinrent leur souffle et même les humains qui s’étaient tus par peur semblaient ressentir notre émotion. Au vingt et unième coup l’assemblée toute entière se tenait prête à laisser exploser sa joie. Puis le silence dura… et dura jusqu’à ce qu’il ne soit plus permis de douter du sexe du prince ou plutôt de la princesse.

Le bonheur auquel chacun s’était préparé se transforma en amertume. Non seulement le roi n’avait toujours pas d’héritier directe mais en plus la perspective d’une alliance décisive avec le royaume d’Ishka s’effondrait pour les cent prochaines années. Certains vieux guerriers ironisaient en arguant que cela leur permettrait de tuer plus d’Isgarien eux-mêmes, d’autres en disant qu’il y avait une princesse de libre à courtiser pour les plus audacieux ; mais en réalité chacun était véritablement attristé de par le grand attachement qui lie tout vampire d’Orania à sa famille royale.

Après tout notre histoire est celle de cette famille, si elle prospère, nous prospérons mais si, comme aujourd’hui, elle est déchirée, menacée à l’extérieur et joue de malchance, alors c’est également sur nous que tous ces maux retombent, par la guerre, les impôts et l'amertume. Nous sommes liés tant matériellement qu’émotionnellement à notre monarchie et ce sans doute plus que dans aucun autre royaume. C’est notre force mais aussi notre faiblesse, lorsque le roi est fort et sa descendance assurée, nous sommes invincibles, comme Boleslaw nous l’a prouvé. Mais si notre roi est faible, que l’héritage se voit disputé ou même menacé, comme ce fut le cas avec Vanceslas II et les guerres qui suivirent sa mort, alors nous sommes en danger.

Aujourd’hui, plus que jamais nous avons besoin d’un roi fort mais si Miroslaw est réputé bon administrateur, son absence sur le champ de bataille et son côté tyrannique à toujours extorquer davantage d’or et de ressources à l’ensemble des vampires se font de plus en plus sentir. Ainsi, bien que sans doute compétent, Miroslaw voit sa popularité baisser peu à peu. Il ne semble pas comprendre qu’un roi doit faire vibrer l’âme de ses sujets et non les diriger de loin en leur prenant ce qu’ils possèdent. Après tout, qui se battrait éternellement pour un roi qu’il ne connaît qu’à travers les impôts qu’il lève et les réglementations qu’il impose ? Boleslaw lui était toujours au combat au milieu de ses chevaliers. La guerre n’en était pas moins dure mais on savait qu’il endurait les mêmes souffrances que nous et on était sûr qu’il nous mènerait à la victoire !

Enfin, peut-être que je dresse un tableau trop alarmiste de la situation mais il est vrai que cette nouvelle couplée à la perspective d’une guerre s’éternisant à l’ouest ne réjouissait pas grand monde ici. Vivement qu’on en termine, tant avec ces humains qu’avec les royaumes de l’ouest !

Christina

L’armée que je m’échine à lever depuis la fin de l’hiver commence peu à peu à prendre forme. Jour après jour de nouveaux soldats arrivent et repartir en campagne l’été prochain ne sera pas trop tôt. En effet le duc de Cracvonia n’a finalement pas pris le risque d’assiéger Altor mais est entré dans notre royaume et s’attaque désormais à la troisième ville du pays : Joltourmar. Cette dernière a beaucoup de vivres quoique le duc ne semble pas vouloir attendre. Il a d’ores et déjà lancé moult assauts et, d’après les messages que l’on reçoit, les pertes dans les deux camps sont terrifiantes. La cité ne devrait pas tenir plus de quelques mois à ce rythme. Malgré tout l’hiver approche et devrait favoriser les assiégés. Le duc souhaitait sans doute faire tomber la ville avant que le froid n’arrive mais il semble qu’il soit en train de perdre sa course contre le temps en plus de ses hommes par milliers.

Il dispose néanmoins toujours d’effectifs pléthoriques et ne semble pas hésiter à les sacrifier en les jetant contre nos murs. D’après nos éclaireurs ils sont encore trente mille à assiéger la ville et cinq-mille à protéger les voies d’approvisionnement. En effet, n’ayant pas pu prendre Altor, la route qu’emprunte tous les convois de ravitaillement se retrouve exposée aux attaques venant de la citadelle.

En ce qui me concerne je dispose de vingt-trois-mille hommes, bien que la plupart n’ont jamais rien porté d’autre qu’une fourche de leur misérable vie tandis que leur équipement est de bien mauvaise qualité. Il faudra du temps pour retrouver une armée de la qualité de celle qui fut perdue à Rutor mais le noyau de vétérans rescapés s’échine à former les nouveaux pendant que les forgerons de tout le royaume travaillent jour et nuit pour nous fournir des équipements convenables. J’espère pouvoir repartir à l’offensive dès la fin des mauvais jours !

En attendant, une excellente nouvelle m’est parvenue : Le roi Miroslaw a mis au monde une fille. Autant dire rien du tout ! Ils devront donc encore attendre au moins un siècle pour que cette alliance avec Ishka se fasse. Je ne compte pas rester inactive tout ce temps ! J’ai d’ores et déjà envoyé un message à Ishka leur proposant les mêmes termes d’alliance que pour Orania, à savoir lier par le sang leur princesse Youlia à mon futur fils en échange d’une alliance. Visiblement le roi Piotr IV n’a pas envie d’attendre un siècle pour s’allier à Miroslaw puisque sa réponse fut rapide et sans ambigüité. « Mieux vaut ma Youlia princesse d’Isgar dans un an, que princesse d’Orania dans cent ».

Le roi Piotr IV aime énormément sa fille unique et l’imaginer autre chose que reine le désespère. Il lui faut donc la marier à la descendance d’un des trois autres souverains de ce monde. Miroslaw ayant échoué à produire un fils et l’héritier de Boris II, le prince Nikita, étant déjà marié depuis des siècles il ne reste que moi.

Me voilà donc en chemin vers Aartov pour me marier avec un des petit-fils de Boris II, tant afin de consolider notre alliance que d’en créer une nouvelle. L’idée d’un mariage me révulse au plus haut point mais s’il faut en passer par là pour venger ma reine, je n’hésiterai pas ! Toute la cour fut aussi surprise que ravie de voir que je me soumettais finalement à cette institution bien que certaines interrogations persistaient sur ma fécondité. Si j’étais eux je ne m’en ferais pas. Sur celle de Vassilissa, le doute était permis mais la mienne est belle et bien là ! Après tout j’ai deux siècles de moins que ma bien aimée reine ! Je vais donc épouser Branislav, le troisième fils du prince Nikita et je compte bien qu’il me fasse un beau garçon pour la jolie Youlia !

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