Chapitre 36 : Le roi des hommes

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Irina

7 juillet de l’an 5005 après la guerre des sangs.

Après un éprouvant périple de presque deux mois, nous voilà enfin arrivés à Vanov ! Eryk tenait à ce que je me fasse discrète, bien que la nouvelle de l’exécution du ministre Lech avait dû faire baisser les soupçons à mon égard.

Nikolaj nous avait fourni suffisamment d’argent pour qu’on puisse loger dans la ville-même, en effet l’armée qui s’agglutinait-là était si grande que le camp hors de la cité n’allait sans doute pas tarder à s’étendre davantage que Vanov-même. Je passai ainsi entre les tentes et la saleté et vis de pauvres humains qui allaient être forcés de se battre contre leurs congénères, ils étaient mal armés, peu motivés et sans doute malheureux. Malgré leur situation ils riaient, jouaient aux cartes et chantaient. Je ne sais pas si des vampires pourraient garder une telle joie de vivre dans une telle situation.

Une fois ma traversée du camp achevée, j’arrivai face aux grandes portes de Vanov qui une fois ouvertes dévoilaient une immense ville transformée en dépôt de ravitaillement. Je ne savais pas à quoi ressemblait cette bastide d’habitude mais avec le camp à l’extérieur, on aurait juré voir le cercle de la guerre de Valassmar.

Au fur et à mesure que je m’enfonçais dans les méandre de cette cité je voyais des humains, hommes, femmes et enfants, travailler et fourmiller dans les rues. Tantôt c’était pour transporter de la nourriture jusque dans les entrepôts, tantôt ils forgeaient de nouvelles armes et armures avant de les amener au camp et tantôt l’on voyait des groupes entiers de petites filles et petits garçons laver un nombre incalculable d’habits.

A force d’avancer nous quittâmes rapidement toute cette activité pour entrer dans le quartier des vampires, dont le style architectural dénotait fortement de tout ce que j’avais connu jusque-là. Tous ces monuments aux formes arrondies si particulières provenaient sans doute tout droit de l’ancien royaume de Kuros. Ce vieux royaume qu’Orania avait écrasé il y a de cela trois-mille ans continuait à survivre jusqu’à aujourd’hui à travers ses bâtiments. Ils avaient sans doute été rénovés depuis et pourtant ils demeuraient inchangés malgré les millénaires. Je ne connaissais ce royaume qu’à travers les livres d’histoire et à présent je le voyais de mes yeux ou plutôt j‘imaginais comment il devait être à l’époque où de tels édifices s’étendaient sur toute la région à des lieues à la ronde. Désormais il n’en restait que quelques vestiges plus ou moins bien conservés selon les lieux et ceux qui s’offraient devant moi en étaient les plus fiers représentants, dont l’hôtel de ville où Eryk et mois finîmes par nous arrêter. Nous fûmes reçus par un certain seigneur Vassili qui était responsable de Vanov étant donné que le comte de la place guerroyait contre Isgar.

Nous parlâmes quelque peu avec lui et je prétendis être la jeune sœur d’Eryk, il nous raconta quant à lui avoir été quelque peu déçu d’avoir été forcé de rebrousser chemin après avoir lancé son armée sur Altmar mais il nous assurait que l’on disposait désormais d’un atout crucial dans notre guerre : un espion.

« Maintenant que le traître Lech est mort, que nous avons un œil chez eux et qu’en plus nous disposerons sous peu d’une armée de douze-mille hommes, cette campagne devrait être une promenade militaire. Selon nos derniers rapports Imichk ne devrait plus tarder à tomber, dans un ou deux mois cette affaire-là sera entendue et l’année prochaine on écrasera tous ces humains ! Selon moi dans deux ans au maximum la guerre sera terminée! »

Il y avait donc un traître dans l’armée des hommes ! Je n’osai demander son nom de peur d’attirer de nouveau des soupçons sur ma personne mais après avoir fini de discuter et que nous fûmes conduits à nos appartements, je m’empressai d’envoyer un message aussi discrètement que possible à Renaud afin de le prévenir qu’il était infiltré.

Ceci fait je tâchai de jouer mon rôle de sœur du mieux que je pouvais, écrivant en cachette et mettant systématiquement mon carnet dans un petit coffre que je laissai fermé à clef afin que mon désormais frère ainé ne tombe pas dessus par hasard. Eryk était très prévenant avec moi et semblait toujours aux aguets. Il me répétait sans cesse de faire attention, de ne pas oublier que j’étais là parce que j’avais été soupçonnée de trahison et de ne rien faire qui pourrait de nouveau me porter préjudice ; il avait en effet promis à Nikolaj de me garder en sécurité et par les temps qui couraient, de simples doutes pouvaient vite finir en exécutions. Je me contentais donc de le suivre partout où il allait en me faisant aussi discrète que possible, parlant peu et cachant les véritables raisons de mon arrivée ici.

La plupart du temps nous discutions avec quelques officiers, chevaliers ou observateurs de l’armée qui se formait petit à petit. Tous étaient unanimes sur le fait que la campagne serait simple et rapide. Moi-même, devant un tel amas de force, j’étais anxieuse pour Renaud. Enfin, si je parviens à lui donner les bons renseignements aux bons moments, nul doute qu’il parviendra à vaincre ! Je ne dois juste plus éveiller de soupçons et pas même ceux d’Eryk dont je partage les appartements. Je vais y arriver, il le faut… Pour ces milliers d’humains sous leurs tentes et ceux du monde entier !

Volodia

Après un mois et demi de marche nous sommes enfin arrivés à destination ! La cité de Vanov ou plutôt le camp en l’occurrence. Moi qui pensais pouvoir de nouveau profiter de la civilisation en arrivant ici… Me voilà servi, j’ai troqué un camp dans la plaine contre un camp sous des murs, au moins ceux-ci sont-ils amis.

Pendant que les humains montaient ma tente je décidai aussitôt d’aller dans la ville. Cette dernière était des plus sales et grouillait d’humains. Je m’empressai donc de rejoindre au plus vite le quartier vampirique afin d’enfin pouvoir dépenser mes maigres économies dans un bon repas. J’invitai pour l’occasion un camarade que je m’étais fait au sud et qui lui aussi avait rejoint l’armée pour vaincre les humains. Il se nomme Radost et malgré ses sept-cents ans il semble encore loin d’être atteint par la malédiction de l’ennui vu le sourire qu’il affiche en permanence.

Une fois de retour dans le camp j’entendis quelques rumeurs comme quoi le siège d’Imichk serait bientôt fini mais que le temps que l’armée arrive ici, qu’on reçoive les derniers renforts et que suffisamment de vivres soient amassés, la campagne ne débuterait pas avant l’année prochaine.

Notre activité, à Radost et moi, pour passer le temps consista donc pendant un temps à nous encapuchonner pour nous protéger du soleil sans trahir notre condition de vampire puis à aller dans les quartiers mal famés de la ville afin de nous attirer des ennuis et occire les malandrins osant s’en prendre à nous. Cela marcha deux fois puis j’imagine que la ruse finit par être éventée. Elle est d’ailleurs maintenant si connue que nous apercevons tout un tas d’autres humains se déplacer avec des capuches afin d’éviter tout ennui.

Enfin, il me reste toujours mon autre passe-temps favori consistant à railler mon frère et, vu sa susceptibilité, ce dernier ne tombera sans doute jamais en désuétude.

Godefroy

Jamais le prestige de Renaud n’a été si haut, la foi nouvelle s’est répandue à une vitesse incroyable et ce même sur Urnia. Nous avions quelques appréhensions sur la facilité d’enrôler tous ces humains qui s’étaient battus pendant plus d’un an pour leur comte vampire mais ils semblent conscients que désormais leur destin est lié au notre. Si les vampires l’emportent ils seront exterminés tout comme nous.

Il y a bien eu quelques récalcitrants mais ils étaient si peu nombreux qu’en à peine deux mois ils ont été discrédités par les prêtres et, une fois que le reste du peuple ne les soutenait plus, ils furent exécutés sous les applaudissements de la foule. Il faut dire que notre armée n’est pas la seule à s’améliorer, nos prêcheurs sont de plus en plus éloquents, notre administration de plus en plus efficace et les soigneuses découvrent chaque jour de nouveaux remèdes pour les maladies et les blessures.

Nous commençons également à entendre des nouvelles d’humains ayant fui leur ville d’origine, parfois seuls, parfois en famille pour nous rejoindre. Ils nous racontent que les prêtres que nous avons envoyés pour convertir les masses commencent à produire leur effet. De plus en plus d’humains se rallient et, selon les dires des nouveaux arrivants, plus les prêcheurs découverts sont exécutés brutalement, plus les hommes prennent conscience de la tyrannie qui les oppresse et se tournent vers nous.

Un nombre croissant de gens n’attend que notre arrivée pour se soulever et les vampires s’en rendant compte oppriment de plus en plus les populations fragilisant d’autant leur emprise.

La seule crainte de Renaud concerne l’envoi d’autres espions. Albert a beau avoir été découvert, il n’est pas impossible que d’autres humains pensent pouvoir tirer avantage d’une collaboration avec les vampires. Néanmoins nous, nous avons Irina ! Elle nous a certes prévenu un peu tard pour Albert mais, étant donné qu’elle est désormais à Vanov, nous devrions être au courant des moindres faits et gestes de l’ennemi.

Ceci dit dans ses derniers messages elle s’est dite menacée et il semble qu’elle écrive moins souvent ce qui rend nos informations plus lacunaires qu’auparavant. Qu’importe ! L’essentiel nous parvient malgré tout.

Et puis là n’est pas le plus important car, tandis que des milliers d’hommes sont formés à Urnia, que les villages alentours sont pris les uns après les autres et que notre cavalerie finit enfin par ressembler à quelque chose, il faut bien reconnaître cela à Albert, nous avons appris que Pauline était enceinte ! Cette heureuse nouvelle fut renforcée par une annonce de Pierre. Alors que Renaud venait d’annoncer l’évènement, Pauline à ses côtés et discrète comme à son habitude, Pierre s’avança et proclama :

« Messieurs, nous venons d’entendre là une excellente nouvelle qui nous prouve encore une fois tous les bienfaits que le Grand Protecteur nous accorde et ce à chaque journée qu’il fait ! Pourtant, tout bienveillant qu’il est à notre égard, il ne nous a pas accordé l’immortalité des vampires pour des raisons que lui seul connaît. Un jour nous mourrons et Renaud également. Par contre notre race perdurera et il faudra quelqu’un pour la diriger ! Qui sait combien d’années, voire combien de générations notre guerre contre les vampires pourrait durer ? Nous devons préparer l’avenir ! Aussi j’annonce qu’afin de servir au mieux le Grand Protecteur et d’assurer le futur de la race des hommes, Renaud sera proclamé roi aujourd’hui même dans le grand temple d’Altmar ! Notre monarchie sera héréditaire car il faut que le sang du grand forgeron coule dans les veines des rois de demain, comme le désire le Grand Protecteur ! Notre monarchie sera égalitaire car, en dehors du grand forgeron, nous sommes tous semblables aux yeux de notre dieu ! Nous nous différencions seulement par nos qualités et notre dévotion, aussi il n’y aura point de noblesse ni d’autres charges héréditaires. Enfin notre monarchie sera universelle et, à partir du moment où Renaud sera couronné, il sera roi de l’humanité toute entière, qu’importe si l’on a déjà été libéré ou non ! »

Un tonnerre d’applaudissements résonna alors instantanément et moi-même je ne pus m’empêcher d’hurler ma joie !

« Renaud roi des hommes ! », entendait-on par-ci.

« Vive Renaud le grand ! », entendait-on par-là.

Dans toute cette joyeuse folie qui nous avait envahie, seul Albert semblait calme… Mais bon, comment un traître pourrait-il comprendre notre joie ? Nous, nous servons notre race, lui ne sert que lui. Nous ne sommes pas de la même trempe, il fait partie de ces sous-hommes pour qui le collectif ne signifie rien, pour qui la vie de mille hommes ne vaut pas la sienne… Cela n'a guère d'importance après tout car, comme l’a dit Renaud, « il peut nous servir en se servant lui-même, qu’importe si le cœur n’y est pas tant que les actions suivent ».

En tout cas le secret de cette cérémonie avait été bien gardé entre le clergé et Renaud car il semblait qu’aucun officier n’était au courant. Et c’était tant mieux me concernant tant chaque élément me subjuguait. Une immense procession avec Renaud et Pierre à sa tête s’avança vers le temple du grand protecteur. De nouveaux chants étaient entonnés en l’honneur du futur roi :

« Lorsque nous étions asservis

Du fond de la très longue nuit

Depuis les ténèbres surgit

Toi le grand forgeron promis

Renaud jadis notre sauveur

Devient en ce jour notre roi !

Pour que nous oublions la peur

Et que nous retrouvions la foi

En toi coule le sang de l’élu

Que tes enfants un jour auront

En eux se trouve notre salut

Et c’est pourquoi nous les suivrons !

Et maintenant et à jamais

Guidez la fière race des hommes

Vers sa glorieuse destinée

Sans faillir, jusqu’à son summum »

Une fois entré, Renaud s’avança lentement jusqu’à l’autel sur lequel était disposé un immense bouclier avec le fameux œil dirigé vers le bas puis s’agenouilla. Le silence s’installa peu à peu et lorsqu’il fut total le grand forgeron proclama d’un ton solennel :

« Moi Renaud, premier du nom, grand forgeron et roi de l’humanité, jure de régner dans le seul but de délivrer tous les humains de cette terre, de les gouverner avec justice et équité et de toujours servir les desseins du Grand Protecteur afin qu’enfin s’accomplisse notre destinée ! »

A ces mots, Pierre mit sur sa tête une couronne d’Or et lui donna le saint écu, symbole de la protection que nous accorde notre dieu !

Renaud se leva ensuite et brandit le bouclier vers nous de telle sorte qu’on eut dit que l’œil nous regardait. Tout le monde applaudit et moi-même je ne pus retenir mes larmes. Une fois encore une immense fête fut organisée et, à cet instant, il me sembla évident que plus jamais la race des hommes ne pourrait se voir ni divisée, ni vaincue.

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