Chapitre 32 : L'exil

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Christina

L’hiver était fini mais nous n’avions pu que retraiter. Les pertes colossales que nous avions subies l’année précédente nous empêchaient de pouvoir mener quelque action offensive que ce soit.

Des renforts nous étaient certes parvenus et le royaume tout entier se mobilisait mais le temps que cela mettait et l’entrain plus présent dans les mots que dans les actes de mes seigneurs rendaient la chose longue. Nous avions désormais douze-mille hommes à opposer aux presque quarante-mille du duc de Cracvonia. Ce dernier menait siège sur siège à une vitesse effrayante. Il avait d’ores et déjà presque repris toutes les places que nous avions conquises l’année précédente, dont Outor. La seule chose que nous avons pu faire jusque-là est d’avoir brûlé tous les villages et points de ravitaillement possibles afin de gêner l’avancée de l’armée ennemie, sans grand succès jusqu’à maintenant.

La dernière place importante qu’il nous reste s’avère donc être Altor. Heureusement ce n’est pas la moindre, il s’agit même de la plus terrible forteresse du monde. Boleslaw avait mis trois ans à la prendre et l’avait encore renforcée une fois qu’elle fut intégrée à son royaume. Le marquis de l’ouest s’est donc naturellement réfugié dedans et attend désormais l’ennemi avec quatre-mille hommes.

Tout assaut est néanmoins impensable, quand bien même le duc dispose de dix fois plus d’effectifs que le marquis. Ce château est en effet situé entre quatre montagnes très hautes mais peu larges sur lesquelles de petits forts ont été construits. Ainsi pour s’avancer jusqu’à la place forte en elle-même, il faut soit prendre ces fortins, ce qui est quasiment impossible, soit essuyer de nombreux traits ainsi que les tirs de trébuchets venant du fort en lui-même. Une fois arrivé devant le château, on se trouve face à une muraille de seize mètres de haut, avec un nombre incalculable de meurtrières ainsi que nombre de balistes pouvant tirer au pied des murs sans angle mort.

Les deux seules entrées, une au nord et une au sud, sont protégées par des ouvertures desquelles s’échappent des coulées d’huile bouillante, des roches et d'autres projectiles. Les portes en elles-mêmes font un mètre d’épaisseur et sont quasi indestructibles.

Enfin quand bien même les fortifications et une des portes seraient prises, il faudrait encore attaquer la citadelle qui se trouve dans le mur d’enceinte.

Le siège n’en est pas moins dur. Pour bloquer les deux voies de communication il faut soit contourner la forteresse et subir mille pertes afin de rejoindre le côté sud, soit faire un détour pendant des jours sur une route sinueuse et impraticable entre les montagnes.

Ainsi toute armée assiégeant ce fort se retrouve nécessairement coupée en deux sans quoi le château est imprenable. Elle doit ensuite résister pendant au moins trois ans, soit le temps pour les défenseurs d’épuiser leurs réserves.

Nous avons donc tout notre temps pour reconstituer une armée et défaire le duc, ce qui devrait être facile s’il commet l’imprudence d’assiéger cette place sans prendre mille précautions !

Volodia

Alors que les camps des deux armées étaient tout proches et que la bataille paraissait inévitable, il n’en fut rien. Il sembla qu’aucun général ne voulait livrer un combat au résultat incertain. De notre côté le comte de Gamar avait reçu ordre de ne pas tout risquer alors que le duc de Cracvonia était en train de remporter victoire sur victoire au nord, tandis qu’en face le roi voulait sans doute éviter une bataille hasardeuse qui aurait pu mettre à mal sa position en plus de celle de son allié.

La campagne débuta donc par des prises de petites places, des sauvetages d’autres places et il se dessinait ainsi une guerre de siège où, sans jamais perdre de vue l’armée ennemie, nous compensions de petites pertes par de petits gains tandis que l’armée d’Aartov faisait de même. Les défaites comme les victoires étaient de cette façon minimes pour les deux camps. Cette situation semblait satisfaire tout le monde sauf mon frère qui ne manquait pas une occasion d’aller en patrouille afin de pouvoir croiser le fer avec un ennemi, sans que cela ne soit encore jamais arrivé.

Pour ma part je n’avais fait que mener un assaut sur une petite garnison dans un fortin en bois. Cela ne m’avait apporté ni gloire ni quoi que ce soit mais cela me permit néanmoins de me décrasser quelque peu. La guerre continuait donc et les jours se succédaient entre sièges, marches, contre marches, patrouilles et reconnaissances.

La campagne promettait d’être longue et ennuyeuse mais au moins les risques seraient faibles.

Irina

1er juin de l’an 5005 après la guerre des sangs

La nouvelle de la chute d’Urnia provoqua un tollé encore plus grand que la chute d’Altmar. Il s’agissait là d’une des plus grandes villes du royaume et le comte qui la dirigeait était réputé très compétent. Pour la première fois je vis la peur s’installer chez les vampires là où il n’y avait que de l’arrogance auparavant.

Le roi Miroslaw fit une déclaration solennelle à l’annonce de la nouvelle :

« Mes seigneurs, vous êtes sans doute également au courant de ce qui est arrivé à Urnia il y a une semaine ! Le comte de Mourminsk a été défait, Urnia est tombée et aucun des vampires présents dans la ville n’a réapparu ce qui nous laisse à penser qu’ils sont morts. En ce jour je promets que chacun des humains ayant pris part à ce massacre, hommes, femmes et enfants, sera exécuté de la pire des façons ! Je promets que chaque ville sera reprise ! Et enfin je promets que plus jamais le royaume ne connaîtra le déshonneur d’une défaite face à ces misérables insectes ! Pour ce faire j’ai d’ores et déjà ordonné au seigneur Vassili de se replier afin de ne pas risquer un nouveau revers avec ses quatre-mille hommes. Il devra attendre à Vanov que le comte de Similinmar achève le siège d’Imichk, qui selon toute vraisemblance devrait se terminer sous peu, et le rejoigne. Dans le même temps le comte de Mourminsk les ralliera avec les débris d’armée qu’il lui reste. Enfin nous enverrons nous-même depuis Valassmar autant de renforts que possible vers cette même ville. Une fois ceci fait cette armée fondra sur les humains et les balayera ! Alors ? Qui parmi-vous veut participer à la pacification du royaume ? Qui veut aider à rétablir l’ordre naturel des choses ? Qui veut servir la volonté de Valass l’arme à la main ? »

Un tonnerre d’applaudissements fusa et de nombreux vampires se manifestèrent afin de faire partie de cette expédition. La haine des hommes, autant que la perspective d’une bataille facile les encourageait dans cette voix. De plus le comte de Similinmar avait déjà eu l’occasion de livrer quelques batailles sous Boleslaw ce qui en faisait un commandant respecté.

Une fois ces déclarations faites je fis mon rapport à Renaud et continuai de vivre comme si de rien était. La cour se dépeuplait de plus en plus de ses éléments masculins, presque tous partis à la guerre, tant et si bien qu’il ne resta bientôt plus que les ministres, le roi, les gardes et à peine quelques dizaines de chevaliers et courtisans. La gente féminine en devenait surreprésentée : des centaines de dames déambulaient partout où l’on pouvait regarder, la plupart attendant que leur mari rentre tandis que certaines étaient déjà veuves. Le lendemain je profitai d’un moment pour adresser mes condoléances à Nikolaj pour la perte de sa famille. Il paraissait accablé mais je ne savais pas s’il s’agissait d’un leurre afin de satisfaire les spectateurs ou bien d’un réel sentiment de tristesse. Toujours est-il que je le félicitai en même temps puisqu’il avait de fait hérité du titre de comte d’Urnia. Cela le fit rire et il me remercia avant de prendre congé et de retourner discuter avec le Grand-duc d’Ortov.

Cependant le soir venu, alors que je m’apprêtais à rejoindre mes appartements, je vis Nikolaj m’attendre devant la porte avec mon garde. Ne sachant pas ce qu’il faisait là je m’empressai de le lui demander. Il se tourna alors vers moi et, tout en me faisant signe de parler moins fort, il me répondit :

« Ecoutez madame suite à la défaite d’Urnia certains ministres, dont le maître des ombres et le juge suprême, commencent à se demander s’il n’y aurait pas un espion à la cour renseignant les hommes. Bien que cela soit hautement improbable ils sont, semble-t-il, prêts à accuser n’importe quel bouc-émissaire afin de resserrer les rangs et permettre d’expliquer les déconvenues subies depuis le début de la révolte. Dans cette recherche de coupable votre nom est ressorti. Vous avez eu une réaction étrange au contact de la compagnie des semblables, vous envoyez régulièrement des messages et vous êtes une noble sans grande influence et assez esseulée pour que personne ne prenne votre défense… Bref vous êtes la coupable idéale. Votre arrestation peut avoir lieu n’importe quand et il est peu probable que vous fassiez l’objet d’une enquête très poussée… Je vous conjure de partir ! Le garde que vous voyez là s’en va pour Vanov demain afin de combattre les hommes. Il est d’accord pour continuer à vous escorter : vous partirez donc avec lui ! Le conseil n’a aucune preuve solide contre vous et ils auront vite fait de trouver un autre bouc émissair. »

Tandis que Nikolaj me parlait et que mon cœur se serrait, le garde avec qui je n’avais presque jamais parlé me sourit d’un air entendu et protecteur. Nikolaj continua :

« Il se nomme Eryk et a toute ma confiance comme je vous l’avais déjà dit. Soyez sans crainte cela devrait bien se passer. Je sais qu’il est dur de fuir, surtout lorsque l’on est innocente, mais faites-moi confiance si vous ne voulez pas finir exécutée. Faites-vous oublier pendant un temps et lorsque la situation sera calmée je vous enverrai un pigeon, d’ici là faites-vous discrète ! »

Nikolaj semblait réellement inquiet mais je ne pus m’empêcher de lui demander en prenant bien garde à soigner tant mes expressions que mon regard :

« Mais vous, pourquoi m’aidez-vous ainsi ? N’avez-vous aucun doute sur moi ? »

Il eut un instant d’hésitation puis répondit :

« J’ai confiance en vous ! Mais pressons-nous d’achever cette discussion, il ne faut pas qu’on nous voit, n’emmenez que le nécessaire et je vous souhaite bonne chance pour votre voyage… Et votre première campagne militaire ! »

Une fois ceci dit, il partit très discrètement.

Je m’empressai donc de ranger mes affaires et de ne surtout pas oublier mon carnet. Enfin, juste avant mon départ, je prenais soin de renseigner Renaud sur ma situation et lui fis savoir que je ne pourrai plus être ses yeux à Valassmar mais que j’essayerai de les devenir à Vanov. J’étais effrayée d’avoir été si proche de la chute mais j’étais d’autant plus rassurée de compter Nikolaj dans mes amis… Je lui étais reconnaissante ; lui qui était si bien placé, lui qui œuvrait toujours à quelque machination, lui qui était si raisonnable n’avait pas hésité à prendre un gros risque pour m’aider et me sauver. Ainsi, depuis le jour suivant cette soirée et jusqu’à aujourd’hui, je traverse une fois encore le pays avec Eryk comme protecteur cette fois-ci. Il est plein de sollicitude à mon égard. Il m'assure que nous serons arrivés à Vanov d’ici quatre semaines. J’espère qu’il a raison, le cheval est tout de même bien moins confortable que la calèche.

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