Chapitre 30 : L'unité au prix du sang

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Albert

Bien que tous ces braves gens paraissaient unis de prime abord, il semble qu’il subsiste néanmoins quelques dissensions. Renaud avait apparemment fait exécuter des gardes ayant refusé de se joindre à lui lors de la prise de la ville, ce qui n’a de toute évidence pas plu à leur famille. Ce ressentiment fut d’autant plus visible que la grosse majorité des soldats les plus loyaux à la cause étaient partie à Urnia. Il a notamment éclaté au grand jour juste après le départ d’une compagnie de cinq-cents hommes pour soutenir le siège suite aux pertes dues à l’hiver.

Tout a commencé avec quelques manifestations, des femmes en particulier exprimaient leur colère quant à la mort de leur mari, exécuté par Renaud ou bien lors du siège d’Urnia. Ces femmes furent rejointes par quelques hommes, qui ne se faisaient pas à l’entraînement militaire et qui refusaient de partir à la guerre. Ils avaient beau prétendre que la guerre était un moyen inefficace de lutter car nous ne faisions qu’attiser la haine des vampires et que nous tuions des humains sous prétexte de les sauver, il était évident que leur seule raison de manifester était une faiblesse et une lâcheté chronique. J’avais déjà aperçu certains d’entre eux de loin lors des entrainements de l’infanterie et ils m’avaient frappé par leur frayeur face à de simples épées en bois… A partir de là il est évident que ces gens n’allaient pas se bousculer pour finir sur un champ de bataille. Bien que peu nombreux, tous les mécontents semblaient réunis et jour après jour ils marchaient, hurlant leur refus de faire la guerre, leur haine de Renaud et des exécutions qu’il avait menées ou bien encore leur rejet de la religion du moment.

Rapidement des échauffourées commencèrent entre gardes et manifestants et aussi vite un conseil fut tenu afin de résoudre ce problème. En tant que formateur et depuis peu officier de cavalerie je participai à cette réunion. Tout le monde n’était pas d’accord sur la conduite à tenir parmi les dirigeants de la ville. Certains comme Louis, le chef militaire de la place qui arborait des cicatrices dignes des plus grands vétérans de guerre, était d’avis de tous les exterminer. Pierre quant à lui voulait les « éduquer dans la foi et la bienfaisance de notre protecteur ». Enfin André, l’ancien « délégué des hommes » du temps des vampires, l’humain en charge des humains comme j’aime à les appeler et qui fut chargé de l’administration civile par Renaud, voulait rencontrer lui-même ces braves gens.

Personnellement la solution de Louis me semblait être la plus sûre, la plus simple et la plus rapide notamment en temps de guerre mais ce fut finalement celle d’André qui fut retenue. Il était assez populaire auprès du peuple ; lorsque les vampires régnaient il n’avait pas hésité à prendre de nombreux risques, même pour un délégué, afin de limiter les massacres et les exactions et ce avec un certain succès. De plus il avait, depuis cette époque et jusqu’à maintenant, été tout à fait juste et bon envers ses administrés. Ainsi lorsque la manifestation suivante eut lieu il s’avança, sans escorte afin de ne pas « attiser la colère », vers les mécontents pour discuter « de façon sereine » avec eux et les apaiser.

Etant capitaine des gardes présents à ce moment, je pus entendre le discours qu’il leur tint :

« Mesdames, messieurs, je comprends votre colère mais cette guerre est nécessaire ; pensez-vous que les vampires nous laisseraient vivre en paix ici, quand bien même nous cesserions nos offensives ? Non, ils nous ont toujours oppressés et massacrés pour leur seul plaisir, ils ne comprennent que la violence il faut donc leur en donner. Pour vous qui trouvez cette religion absurde et repoussante, nul ne vous oblige à y adhérer mais ne remettez pas en cause le fonctionnement de notre société pour cela. Enfin pour celles et ceux qui ont perdu un mari, un fils ou un père lors de la prise de la ville, sachez que je suis navré, je ne peux pas ramener vos hommes mais je peux faire en sorte que vous, les vivants, ayez une meilleure vie. Pour cela aidez-nous à construire le futur de notre race, pour que plus jamais il n’y ait de massacres, pour que plus jamais nous n’ayons à souffrir. Si vous voulez les responsables de vos malheurs, ce ne sont pas Renaud ni ses commandants mais bien les vampires ! »

Un silence fit place à ce discours des plus censés mais bientôt une accusation fusa :

« Tu es bien placé, toi qui ne vas pas à la guerre et qui n’as perdu aucun proche »

Suivi d’un :

« C’est vrai ça et t’étais bien avec les vampires, tu les aimais bien en vrai ! »

Et bientôt ces invectives couvrirent totalement les tentatives de réponses d’André. De mon expérience dans l’écrasement d’émeutes, discuter avec une foule était peine perdue. Quand bien même chacun de ses membres pris individuellement auraient pu être réceptif à des arguments raisonnables, une fois en troupeau la seule chose à faire est de les massacrer.

La meute passa ainsi du silence à la colère, de la colère à la haine et de la haine à la violence. Lorsque je vis André commencer à se faire lyncher j’ordonnai à la cavalerie de charger et de ne pas faire de quartier. La dizaine de cavaliers présents dispersa la foule à coup d’épées, en laissant quatre émeutiers à terre gisant dans leur sang, tandis qu’André était au sol, le visage couvert d’hématomes en train de ramasser l’une de ses dents.

La foule de curieux, assistant à la scène en simples spectateurs, applaudit notre intervention et commença à hurler « Que les traîtres soient tués ! » ou « Ils mettent en danger notre vie à tous en refusant de se battre ! ». Rien ne vaut une foule amie pour remplacer une foule hostile. Celle-ci n’était pas plus raisonnable que la précédente mais elle était bien plus nombreuse et allait dans notre sens. Malgré tout, ne sachant où débusquer les émeutiers et la foule étant lâche en plus d’être idiote, chacun rentra chez soi après avoir exprimé son ressentiment.

Un conseil fut tenu le soir même et, comme c’était à prévoir, André s’était finalement rangé à l’avis de Louis. Pierre, quant à lui, qui avait assisté à la scène, fut effaré de voir que parmi tous les émeutiers, pas un n’était assidu des messes. Ainsi, en plus de la répression qui s’ensuivrait, il ordonna que chaque « égaré » soit ramené dans le droit chemin tracé par notre protecteur pour notre race et ce de gré ou de force.

Le principal problème était alors de savoir où se trouvait chacun de ces fauteurs de trouble. Je pris alors la parole :

« Ecoutez, nous ne savons pas où ils habitent mais nul doute qu’ils sont connus de leur entourage. Au lieu d’aller les débusquer nous-mêmes, encadrons seulement la population. Les dévots du culte iront eux-mêmes chercher les apostats récalcitrants, les défenseurs de notre race iront eux-mêmes chercher les lâches et les traîtres refusant de se battre et enfin les femmes fières de la mort de leur mari au combat iront elles-mêmes chercher celles qui n’ont que regret et amertume. Laissons le peuple assouvir sa vengeance, non seulement cela sera bien plus efficace mais en plus cela soudera les rangs. »

Ma proposition fut vite acceptée lorsque Pierre fit remarquer que je n’étais moi-même toujours pas entré dans le culte. Un moment de silence se fit entendre. Il sembla que cette seule journée avait transformé le repaire de dévots qu’était cette ville en repaire de dévots prosélytes au possible. En même temps il est vrai que le degré d’acceptation et de dévotion à cette religion était semblable au niveau d'attachement à la cause des hommes toute entière. Je répondis donc :

« Et bien demain cela sera chose faite ! »

Après tout, la vie vaut bien une messe.

Le lendemain, aux aurores, je fus introduit dans la communauté de la grande destinée par Pierre lui-même ; ainsi que tous les officiers qui ne l’avaient pas encore été. Cette cérémonie avait le mérite d’être assez sobre et relativement courte.

Une fois cette formalité effectuée, les gardes et moi fûmes réunis sur la place centrale et bientôt les prêtres commencèrent à haranguer la foule venue nous voir.

Pierre étant trop vieux pour se prêter à l’exercice, ce fut un certain Thomas qui poussa le plus la voix :

« Mes frères, hier des traîtres à notre race ont mis en danger notre bonne cité d’Altmar! Ils s’en sont pris à André qui, comme vous le savez, nous a toujours défendus, sans même attendre que les vampires soient partis. Ces impies servent la race ennemie, peut-être sans en être conscient mais ils le font ! Le grand protecteur nous apprend néanmoins que chaque être humain a sa place dans ses divins plans, tant que nous acceptons de nous y soumettre. Que chacun fasse preuve de sa dévotion en ce jour et que ceux qui ne le font pas soient châtiés ! »

Au même moment un hurlement se déchaina et, accompagnée par des gardes, la foule en furie se dispersa dans la ville pour en extirper les mécontents des jours précédents et même quelques personnes qui n’étaient pas encore converties sans pour autant avoir remis en cause l’ordre en place. Les gens que je suivais ne se souciaient visiblement pas d’essayer de convertir les impudents qui avaient manifesté la veille. La porte de leur logis était défoncée sans préavis, les hommes étaient tués tandis que les femmes étaient violées, tondues puis seulement achevées. Le prêtre qui nous accompagnait, loin d’essayer de limiter la violence, l’attisait autant que possible en répétant à l’envie que « la sainte fureur qui nous anime est légitime et, comme le forgeron chasse les impuretés de son métal avant de forger, nous devons chasser les traîtres pour pouvoir continuer notre guerre ». J’appris néanmoins que tous les prêtres n’avaient pas eu cette attitude et que certains avaient essayé de limiter les exactions. Cela venait sûrement du manque d’homogénéité dans le culte, chaque prêtre ayant interprété les visions de Pierre un petit peu comme il le souhaitait.

Toujours est-il qu’après une matinée de carnage environ deux-cents personnes furent tuées dans la ville, tandis que tous ceux qui n’étaient pas encore membres de la grande communauté s’empressèrent de le devenir le soir même.

Ainsi, au prix de deux-cents morts, la paix et l’ordre étaient rétablis et les rares qui n’étaient pas acquis à la cause des hommes demeuraient terrés dans la peur.

Cette situation soulagea d’autant plus les responsables de la ville qu’ils apprirent deux jours après qu’une armée fonçait droit vers Altmar avec quatre-mille hommes… Il serait en effet bien plus simple de tenir la ville sans ennemi à l’intérieur. Il s’agit sans doute de Vassili. Je vais donc enfin revoir ce brave vampire !

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