Chapitre 28 : La mort blanche

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Christina

L’hiver était arrivé très brutalement et n’en finissait pas, nous subissions des vents d’une terrible violence jour après jour, nuit après nuit. Alors que le siège avait commencé sous les meilleurs hospices, voilà que la situation devenait fort précaire. Les hommes peinaient à sortir de leur tente et même les vampires trouvaient toutes les excuses du monde pour ne pas avoir à quitter le camp. Les tours d’observation étaient de véritables mouroirs à tel point qu’un tour de garde de nuit sur l’une d’entre elles était synonyme de mort certaine, sans compter que la visibilité était tout simplement exécrable un jour sur deux.

La tente de Vassilissa el la cour qui y régnait il y a à peine quelques mois avaient changé au point d’en être méconnaissable. Il n’y avait plus de grands banquets, ni de bal en somptueuse tenue mais seulement Vassilissa qui se tenait chaud grâce aux feux que les domestiques allumaient sans cesse dans des récipients en métal afin que la tente ne brûle pas.

Le duc de Kulmar avait bien conseillé à la reine de partir à Sussmar pour l’hiver mais Vassilissa avait catégoriquement refusé arguant que sans elle les « mauviettes » qui lui servaient de généraux seraient incapables de mener à bien cette guerre ou même ce siège.

Ce dernier continua donc jusqu’à ce quinze janvier-ci. Une véritable tempête de neige se déchainait, les hommes qui avaient peu de vêtements d’hiver continuaient à greloter dans leur tente, tandis que les généraux s’échinaient à essayer de faire passer du ravitaillement ainsi que des vêtements d’hiver jusqu’au siège.

En ce jour se tenait une réunion stratégique sous le toit de la souveraine avec cinq généraux, la reine et moi-même. Tandis que les débats faisaient rage, il y eut un cri venant d’un des murs, bientôt suivi de beaucoup d’autres. Presque immédiatement un chevalier arriva frigorifié et tétanisé en hurlant :

« L’ennemi attaque ! »

Les généraux et la reine semblaient quelque peu contrariés et circonspects, si bien que le comte d’Or demanda de plus amples renseignements. Combien étaient-ils ? D’où venaient-ils ? Quelle était la situation ?

Le vampire en question répondit que les assaillants avaient visiblement marché dans le sens du vent pour ne pas être aperçus et qu’il n’avait aucune idée de leurs effectifs. Après un moment de flottement la reine ordonna qu’on les repousse !

Les généraux sortirent donc tandis que ma souveraine et moi restions dans la tente. Les bruits des armes et de souffrance se mêlaient au mugissement du vent faisant du champ de bataille un véritable orchestre de la mort. Nous avions beau nous approcher de la sortie de la tente, il était impossible de voir à plus d’un mètre, tant les bourrasques qui soufflaient vers nous apportaient de neige.

Les chevaliers postés devant notre demeure de fortune plissaient les yeux pour apercevoir quelque chose et le capitaine de ces derniers nous exhorta de partir. Toutefois, ne connaissant pas la situation, Vassilissa refusa de peur de rencontrer quelques ennemis. Finalement ce furent ces derniers qui vinrent à nous puisqu’au même moment un chevalier d’Orania surgit le vent dans le dos et trancha d’un coup d’épée le capitaine de la garde. Surprises, ma reine et moi nous réfugiâmes au fond de la tente tandis que la bataille faisait rage juste devant, toujours en pleine tempête.

Après quelques instants les bruits s’estompèrent peu à peu et un seigneur, tout emmitouflé de fourrures avec un casque à l’effigie d’un corbeau, s’avança vers nous. Soudain, en remarquant son épée, ma souveraine se tétanisa et murmura d’une voix comme étouffée : « Buve-sang ». Sans dire un mot le guerrier s’avança et, tandis que je me jetais sur lui pour le repousser, il me donna un violent coup de poing qui me projeta sur le côté et, toujours dans un silence glaçant, il planta son espadon dans le cœur de Vassilissa. Tout le sang qui aurait dû s’écouler fut absorbé par l’épée et la peau de la reine pâlit presque instantanément tandis que la vie quittait ses yeux et la couronne de diamants sa tête. Le guerrier ressortit alors Buve-sang du corps de ma maîtresse et se tourna vers moi. A ce moment j’entendis un bref échange de coups devant la tente et le duc de Kulmar surgit de la tempête. Après avoir promptement analysé la situation il me tira de là, me mit sur ses épaules et partit dans la direction inverse de la cacophonie des combats qui faisaient encore rage. Nous quittâmes alors le camp en sautant par-dessus la palissade située de l’autre côté du champ de bataille, aidés par la neige qui amortit notre chute. Nous avançâmes ensuite poussés par le blizzard qui soufflait désormais dans notre dos.

Je restai inerte, Vassilissa venait de mourir sous mes yeux sans que je n’ai rien pu faire. Rapidement nous aperçûmes une colonne de soldats se débandant et quittant également le camp par une porte non loin de là, préférant ainsi tenter leur chance contre l’hiver plutôt que contre le fer. Je repris mes esprits et ordonnai alors au duc de nous diriger dans cette direction mais, au lieu de cela, il me posa devant lui et me dit d’un air des plus graves :

« Christina, notre souveraine est morte… Si Dmitri monte sur le trône, la guerre est finie… En êtes-vous consciente ? »

J’enrageai à cette simple idée et tout en lui assénant un soufflet je lui répondis :

« -Vous n’y pensez pas, ils ont tué votre reine ! Nous devons nous venger, nous devons détruire Orania, nous devons tuer le monstre qui a fait ça !

- Bien sûr et je suis avec vous pour cela. Bien que l’on puisse me croire timoré, je n’ai pas passer des décennies entières à réformer notre armée pour que la guerre s’arrête ainsi. Cependant force est de constater que sans Vassilissa, le royaume et surtout le roi ne nous suivront pas… Ah moins que Vassilissa ne soit pas morte »

Après un moment d’incrédulité, je compris où il voulait en venir.

« En effet, après tout… Christina fut une bonne doublure, elle me sauva la vie dans la tente… heureusement qu’elle me ressemblait et qu’elle avait pris l’habitude de se déguiser pour prendre ma place… Sinon ce chevalier aurait pu tuer la vraie reine… »

Le duc de Kulmar prit un air entendu et répondit en s’agenouillant dans la neige.

« Ma reine, quel plaisir de vous savoir en vie, j’ai bien cru vous perdre et la guerre avec vous. C’est dommage pour votre couronne et votre courtisane mais ce sont là de maigres sacrifices consentis pour votre survie. »

A cet instant je le giflai à nouveau et lui dis :

« Ne reparlez jamais en termes si peu élogieux de la femme qui est morte dans ma tente, quel qu’eut été son rang, c’était avant tout une sœur et même bien plus pour moi ! »

Le duc prit un air triste et plein de compassion puis murmura :

« C’est entendu ma reine. »

Après cela nous rejoignîmes les restes de notre armée en lambeau dont seul sept-mille hommes et cinq-cents chevaliers avaient réchappé. Il fut annoncé que j’étais bien en vie et qu’une doublure avait perdu la vie dans la bataille. Je fus ensuite tenue à l’écart tant de la troupe que des généraux pendant le trajet, restant toujours avec Antun. Une fois arrivés à la forteresse d’Outor, nous pûmes enfin nous reposer. Je restai quelques jours enfermée dans mes appartements royaux, prétextant du temps qu’il me fallait pour me remettre d’un pareil évènement. Je ne recevais pendant tout ce temps qu’un seul visiteur : Antun, duc de Kulmar. Après quelques semaines, lorsque nous estimâmes tous deux tant le déguisement que le comportement pleinement convaincants, je fis ma première apparition publique depuis la bataille. Tout le monde fut persuadé de revoir sa souveraine et je fus acclamée comme la reine Vassilissa dite « la miraculée ». C’était bien là la seule nouvelle réjouissante. En effet, deux-mille hommes de plus étaient morts durant le voyage et il fallait reconstruire l’ensemble de notre armée. Qu'importe, ma détermination à détruire Orania n’en était que plus grande. Je mis sans attendre tout le royaume sur le pied de guerre en augmentant les impôts ainsi que les levées et en faisant le récit de la fourberie d’Orania dans cette attaque et de comment ils avaient osé tenter d’assassiner la reine de la façon la plus barbare qui soit. Je reçus des lettres pleines de sollicitude et d’entrain de la part de tous mes loyaux vassaux. Aucun n’hésita à consentir à ces sacrifices pour soutenir l’effort de guerre. Enfin je renvoyai de l’armée tous les pleutres m’ayant conseillé de faire la paix après pareille défaite ; la reine Vassilissa ne se rendra jamais et ne fera la paix qu’en vainqueur et avec la tête du porteur de Buve-sang, l’infâme duc de Cracvonia, comme ultime trophée.

Godefroy

L’hiver était passé mais avait été extrêmement rude, les vampires avaient lancé des raids presque chaque nuit et ils avaient même fini par construire eux aussi une catapulte, probablement avec le bois de certaines bâtisses, qu’ils utilisaient sans discontinuer. Avec ces tirs, le froid et les raids nous avions perdu près de six-cents hommes durant ce seul hiver mais le siège tenait. Nous avions reçu quelques renforts venant d’Altmar permettant de maintenir les effectifs.

Lorsque les températures remontèrent la situation s’améliora enfin. Petit à petit la neige fondit et le ravitaillement arriva plus aisément. Nous finissions par être habitués aux raids des vampires : les patrouilles de fantassins étaient désormais efficacement soutenues par la cavalerie, les torches placées tout autour des remparts permettaient de savoir instantanément lorsque des vampires sortaient de la ville, nous permettant même d’en tuer quelques-uns et les hôpitaux de campagne tenus par les guérisseuses n’étaient plus les mouroirs qu’ils étaient il y a encore deux mois.

Ainsi le moral remontait clairement au fur et à mesure que les jours se faisaient plus longs et les températures plus chaleureuses. Au contraire, dans la ville, il nous était arrivé d’entendre ce qu’on prit pour des bruits de combats ou du moins nous l’espérions. Malgré tout, les quelques assauts que nous lançâmes à l’arrivée des beaux jours furent tous repoussés avec vigueur et il sembla bien vite que la ville n’allait pas encore tomber tout de suite. Peu importe, le plus important était que le siège n’était plus en danger comme il avait pu l’être.

Je le vois ne serait-ce que dans ma compagnie, les sourires réapparaissent et la nourriture se fait plus abondante ; petit à petit nous reprenons le poids que nous avions perdu. Nous sommes tous prêts à en découdre ! Sans compter Renaud qui, au moment de la fête de l’été, a tenu un discours achevant de raviver notre ardeur refroidie par l’hiver :

« Soldats ! Vous avez affronté les pires ennemis qui soient, car on ne peut ni se soustraire à eux, ni les vaincre : le froid et la faim. Malgré cela vous avez tenu ! Les vampires quant à eux étaient cloitrés dans leur ville et lorsqu’ils sortaient, c’était en couard, de nuit pour ne pas être vu de vous, pour ne pas vous affronter d’égal à égal ! Malgré tout cela vous avez tenu ! Soldats je vous le dis, l’heure de tenir est désormais révolue, maintenant nous allons prendre cette ville ! Nous verrons si leur résilience égale la vôtre! Nous verrons quelle race est digne de régner sur cette Terre ! Nous verrons qui remportera cette guerre ! »

Mon sang comme celui de tous les soldats ne fit qu’un tour et d’une seule voix l’armée s’écria :

« Hourra ! Pour l’humanité ! »

Désormais non menons régulièrement des assauts un jour sur un mur, le suivant sur un autre ; parfois sur plusieurs en même temps et bien qu’ils soient à chaque fois repoussés, l’entrain des ennemis se fait de plus en plus faible. Leur force diminue à vue d’œil. C’est maintenant à leur tour de connaître la faim et d’être harcelés sans cesse !

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