Chapitre 27 : Valass et Himka

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Godefroy

L’hiver est arrivé et le froid qu’il apporte est plus mordant qu’aucun vampire. Heureusement que Renaud avait pris toutes les dispositions nécessaires ; toute l’armée est pourvue de fourrures d’animaux chassés pendant l’été, de la nourriture a été amassée afin de pallier aux difficultés de ravitaillement inhérentes aux chutes de neige et tandis que les feux apportent de la chaleur à nos corps, les prêtres et leurs prières réchauffent nos âmes.

Malgré cela, la situation n’est pas au beau fixe. Nous avons perdu presque trois-cents hommes dans les raids nocturnes des vampires et si les emplacements stratégiques tels les campements ou les réserves de nourriture sont bien protégés ; de nombreux soldats meurent en affrontant les chevaliers la nuit, avant que notre cavalerie n’ait le temps de les rejoindre.

Je pensais que le combat était le moment le plus difficile lors d’une guerre mais au moins il y a l’adrénaline et l’ivresse de la bataille qui donnent ce sentiment de toute puissance. Ici il n’y a que l’ennui, la faim, le froid et l’attente. Certes les blessés et les morts sont moins nombreux que lors d’un grand affrontement mais l’opération n’en est pas moins rude. Nous avons entendu les chants de joie des humains de la ville lorsqu’ils ont fêté l’arrivée de l’hiver, pour notre part nous n’avons eu qu’une maigre ration de viande en plus.

Renaud a beau nous dire qu’il s’agissait là d’une tentative de nous faire perdre courage en nous faisant croire que notre siège n’a pas d’impact sur leur vie, il n’empêche que cela fonctionne. De plus Renaud refuse également que l’on utilise trop nos armes de siège, il nous rappelle sans cesse que « nos ennemis sont les vampires ! Si nous envoyons quelques roches ou pierres enflammées sur la ville, à votre avis qui va souffrir ? Les humains ! Nous voulons à la fois conquérir ces murs et leur cœur. Si nous prenons la ville mais que les humains ne nous suivent pas, nous aurons fait tout cela pour rien ! »

Il n’a sans doute pas tort, mais cela rajoute au sentiment d’impuissance. On n’envoie qu’un ou deux projectiles par mois afin de rappeler aux assiégés que l’on est toujours là. Nos prêtres s’échinent à utiliser des porte-voix pour essayer de convaincre les humains de se révolter, sans grand succès jusque-là. De plus, malgré nos réserves de nourritures amassées, nul ne mange tout à fait à sa faim et l’armée maigrit à vue d’œil, dans tous les sens du terme. La bataille du chemin de Tussola n’aura été qu’une partie de plaisir à côté de ce siège et ce dernier est loin d’être fini.

Albert

Vassili m’a donc envoyé espionner d’obscurs fanatiques… Ces gens sont comme les vampires avec Valass, la plupart ne jurent que par le « grand protecteur » et « Renaud, le grand forgeron ». Moi aussi je peux mettre le terme « grand » devant chaque mot et créer ma propre religion. Enfin, tant de bigoterie a le mérite de les motiver. Les soldats dont j’ai la charge sont persévérants et travailleurs, ils ont un bon mental et c’est bien là l’essentiel. Ils ne se plaignent pas, respectent mon expérience et s’ils ne tentaient pas de me convertir à chaque instant ils seraient presque sympathiques.

Actuellement le plus gros problème c’est l’hiver, je n’en ai jamais vécu de si rude, en même temps il fallait s’y attendre à force de monter toujours plus au nord. Mon principal souci a été de maintenir les pigeons en vie malgré ce froid. J’ai été obligé de leur creuser un trou et de déposer sur leur cage un bout de fourrure que j’avais acheté fort cher. Enfin bon, si c’est là le prix pour ne pas avoir tous les vampires du royaume à mes trousses, cela me semble raisonnable.

De temps à autre des soldats partent vers le sud pour rejoindre Urnia, comme je les comprends. Malgré tout cela je n’ai pas vraiment d’informations utiles, je peux réciter au moins trois de leurs prières à force de les entendre mais aucune idée de leurs futures opérations.

J’ai tout de même réussi à me lier d’amitié avec le chef religieux de leur communauté, un certain Pierre. Enfin, réussir, c’est plutôt de mon côté que j’ai réussi à ne pas l’égorger. Ce vieillard est un illuminé qui tient des discours pour le moins incohérents mais avec un entrain et une conviction qui forcent l’admiration. Il n’en demeure pas moins qu’il paraît être le deuxième personnage le plus respecté après ce fameux Renaud. Il semble malgré tout que je ne sois pas en reste niveau popularité, bien que pas encore converti et récemment arrivé. En effet je m’efforce d’être présent lors des cultes et de parler avec le plus de monde possible.

Je fus assez rapidement surnommé « le grand cavalier », encore cette manie de mettre le mot grand devant chaque nom… Mais bon, j’imagine qu’étant le seul à savoir charger avec une lance et du haut de mon mètre quatre-vingt-dix, ce n’est pas non plus injustifié. Le bon côté dans tout cela est que je suis assez apprécié par l’ensemble de la population, notamment par les dames, et que je dispose toujours d’une demeure des plus confortables pour les accueillir.

Pierre m’a quant à lui certifié que je rencontrerai Renaud dès que le siège d’Urnia sera fini. Je dois bien confesser que cette perspective ne me laisse pas de marbre. Cette intelligence organisationnelle, sa capacité à motiver ses hommes et son talent à mener des batailles ne sont pas sans me rappeler le duc de Sartov. Peut-être est-il de la même trempe après tout. Enfin pour le moment continuons de former ces recrues et de profiter de ces dames.

Irina

4 janvier de l’an 5005 après la guerre des sangs.

L’hiver est décidément très froid cette année. La neige n’arrête pas de tomber et je n’ai jamais vu de telles bourrasques. Les hommes du cercle de la guerre sont frigorifiés et il y a même eu quelques cas d’engelure et d’amputation. Mais les vampires s’en moquent bien, un soldat de plus ou de moins, quelle importance quand cette guerre en brasse des dizaines de milliers ?

C’est ainsi par une énième journée de grand froid que je vis du haut de mon promontoire entrer la « compagnie des semblables ». Son fier étendard affichant un vampire et un humain côte à côte flottait tandis que les troupes tout à fait disciplinées s’avançaient. A mes côtés se tenaient Nikolaj qui demeurait impassible ainsi que les nombreux religieux de la ville qui ne pouvaient cacher leur rage et leur haine de ces mercenaires. Le jour même, d’immenses prêches furent donnés à l’intérieur même du palais. Les prêtres, les sanguinolentes et même la garde personnelle du roi, les sanguinaires, firent des processions à n’en plus finir, récitant leurs sinistres litanies et chantant en cœur la gloire de Valass.

Un carnage fut opéré dans le cercle de la faim à cette occasion afin de « souhaiter la bienvenue à cette compagnie des semblables » selon les mots de l’Archiprêtre Aleksy.

Les quelques vampires accompagnant la troupe avancèrent jusqu’au cercle du sang tandis que les humains restèrent dans celui de la guerre et y montèrent leurs tentes. Les vampires étaient sans cesse dévisagés quoique ces derniers en avaient vraisemblablement l’habitude. Ils entrèrent dans le palais jusqu’à la salle de réception où une foule hostile les y attendait. Le roi et sa reine ainsi que le ministre de la guerre Lech faisaient face aux arrivants, empêchant par leur seule présence les insultes et les menaces de fuser tout haut.

Lech s’exclama alors :

« Bienvenue messires ! Moi Lech, chevalier d’Orania et ministre de la guerre, vous souhaite la bienvenue »

Puis le roi rajouta immédiatement :

« Je vous souhaite également la bienvenue moi Miroslaw, duc d’Aarsfald, grand-duc de Valassmar, et roi d’Orania ! Il semble qu’une certaine tension règne toutefois dans l’air. Messires, honnêtes vampires de la cour, vous vous méfiez de ces seigneurs étrangers traitant avec les hommes d’égal à égal mais rassurez-vous, ils ne sont pas là pour convertir quiconque à leurs pensées. Ils sont là pour nous faire gagner une guerre. Aussi méprisez leurs idées si vous le désirez mais soyez justes et honnêtes avec ces guerriers qui nous louent leurs épées. Je ne tolérerai pas la moindre hostilité envers eux. Je profite également de cette occasion pour annoncer publiquement que mon épouse Cathrina est actuellement enceinte et, si Valass le veut, il s’agira d’un jeune mâle qui pourrait voir son sang lié à celui de la princesse Youlia et ce dès sa naissance ! »

Presque instantanément un tonnerre d’applaudissements se fit entendre, faisant presque oublier à l’assemblée son animosité envers les mercenaires. Immédiatement chacun se pressa vers la reine afin de la féliciter et les prêtres bénissaient son ventre afin qu’un mâle lui soit donné. Je profitai pour ma part de cette immense cohue pour me rapprocher de celui qui semblait être le chef de la compagnie des semblables, un certain Drago, comte d’Ottomar.

Ce dernier me dévisagea visiblement surpris que quelqu’un s’approche pour le voir et non la reine. Ses camarades et lui me regardèrent donc quelque peu circonspects. Ne pouvant exprimer librement mes convictions et mon admiration dans cette cour, je questionnai le chef ainsi :

« Bien le bonjour messire, on m’a raconté que chez vous hommes et vampires étaient traités de la même façon, cela est-il vrai ? »

Il m'observa d’un air condescendant et me répondit :

« Ma dame, je sais que chez vous les hommes sont considérés comme des bêtes mais pour notre part nous estimons que seule l’âme apporte une valeur à un être et celle d’un vampire ne diffère pas de celle d’un homme, seul le corps nous distingue. »

Ce n’était donc pas qu’une légende, ces vampires croyaient réellement à l’égalité entre les races, je m’empressai de pousser mon interrogatoire :

« - Et d’où vous vient cette conviction ?

- De mon arrière-grand-père qui sauva le roi Kazimierz II lors du siège d’Erhiv il y a de cela deux-mille trois-cents-deux ans. En réalité il n’y a pas qu’un dieu mais bien deux, en tout point égaux : Valass dieux des vampires et Himka déesse des humains. Ces deux dieux étaient jadis amants mais ne pouvant ni se parler ni se toucher dans leur forme divine ils ont chacun créé une race. Pour cela ils ont dû se fondre en elle. Ils disparurent donc en tant qu'êtres célestes, tout puissants et immatériels pour renaître sous forme de races matérielles. Cet évènement se nomme « la dissolution ». Ainsi Valass donna naissance à quelques individus nommés « vampires », immortels, puissants mais peu nombreux tandis qu’Himka donna naissance aux « humains », innombrables mais faibles et mortels. Ainsi Valass n’est plus une divinité toute puissante comme le pense le clergé mais bien l’ensemble de la race des vampires ; tandis qu’Himka est l’ensemble des êtres humains. C’est pourquoi nous, vampires et humains, sommes semblables ; car notre âme nous vient chacun d’un dieu contrairement aux animaux. L’âme de tous les humains réunis forme Himka tandis que celle de tous les vampires forme Valass.

Mais cet état ne fut que temporaire. Chaque individu ayant sa propre conscience, l’amour naturel que chacune des races ressentait l’une pour l’autre ne dura pas. Les âmes des individus, bien plus faibles que celles de leur dieu créateur, furent peu à peu corrompues par le désir, l’arrivisme et la quête de pouvoir. Les humains furent les premiers à oublier leurs origines, du fait de leur brièveté en ce monde. Très vite leurs descendants craignirent les vampires à cause de leur puissance, puis les haïrent, puis décidèrent de les exterminer ! Car oui, ce sont bien les hommes qui déclenchèrent la guerre des sangs. Les vampires qui eux vivaient bien davantage se souvenaient encore de leur origine et conservaient encore un peu de leur amour pour la race des hommes, tant et si bien que l’humanité faillit exterminer la race des vampires.

C’est alors que le premier archiprêtre du culte actuel ressouda les vampires et transforma la foi originelle en un culte suprématiste. Les humains avaient oublié Himka, les vampires allaient déformer Valass. Ce nouvel élan, ajouté aux dissensions naissantes entre les hommes eux-mêmes permirent aux vampires de reprendre la main et d’écraser puis d’asservir l’humanité. Mais ils avaient pour cela à leur tour oublié la vérité. Aujourd’hui seuls quelques rares vampires et plus aucun humain se souviennent de leurs réelles origines.

Ma famille fait partie de ces derniers vampires et, grâce à mon arrière-grand-père, nous avons pu avoir un fief à partir duquel nous avons pu prêcher et sortir quelques vampires et humains de l’ignorance. Ce comté sera la base de notre reconquête et même si cela doit prendre dix-mille ans, nous ferons tout pour que Valass et Himka s’aiment de nouveau, comme c’était le cas jadis. »

Ce vampire que personne n’avait entendu dans la cohue de la cour venait de me révéler peut-être la plus grande vérité de ce monde. Moi seule l’avait entendue. Il parut d’ailleurs surpris lorsqu’il vit que je ne le traitai ni d’hérétique ni de menteur. J’étais trop bouleversée. La voix tremblante je pris congé et partis me réfugier dans mes appartements. Au fond ce ne sont que des paroles sans preuve et rien ne me dit que cette version est vraie... Pourtant elle m’a touchée… Peut-être parce que cette histoire correspond à ma vision du monde… Mais peut-être que l’âme de Valass qui est en moi ne put rester indifférente à cette vérité retrouvée car c’est véritablement le sentiment que j’ai eu, celui d’une vérité trop longtemps cachée et désormais dévoilée.

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