Chapitre 25 : L'observateur

8 minutes de lecture

Christina

Après la bataille des brumes, une certaine incertitude régnait. Le comte d’Or souhaitait poursuivre l’armée ennemie tandis que le duc de Kulmar souhaitait mettre le siège devant Rutor. Le problème était que nous avions totalement perdu la trace de ladite armée après le combat et bien que le brouillard se dissipait de plus en plus tôt les jours passant, nous n’avions toujours aucune idée de la situation des forces adverse malgré nos reconnaissances.

Après une énième réunion infructueuse, Vassilissa, comme à son habitude, s’impatienta :

« Ecoutez-moi monsieur le comte ! Nous ne savons pas où est l’armée que vous voulez détruire, par contre nous savons où est le château que nous voulons prendre ! Alors menez-moi donc ce siège ou je vous reprends le commandement ! »

Le comte s’exécuta donc non sans avoir émis quelques protestations. Deux jours de marche plus tard, nous arrivâmes devant l’imposante forteresse de Rutor, il s’agissait d’un immense château à deux murs d’enceinte constitué de pierres si blanches qu’il nous éblouissait lorsque le soleil éclairait ses remparts. Le terrain était vallonné et légèrement boisé ; le château se trouvait sur la plus haute colline. Notre camp fut donc rapidement monté en contrebas tandis que des postes d’observation étaient érigés sur les reliefs alentours afin d’éviter toute surprise. Après deux jours de travail, les raids sur les villages et les champs environnants commencèrent mais ils étaient pour la plupart déserts et les récoltes brûlées ; sans doute les habitants s’étaient-ils tous réfugiés à l’intérieur du château ou avaient-ils fui notre venue.

Le camp se transforma rapidement en petite forteresse lorsque des fossés furent creusés et des murs bâtis avec le bois des arbres à proximité. D’une certaine façon on se serait cru de retour à Sussmar, avec l’immense tente de la souveraine comme salle de réception, sa cour de nobliaux ainsi que l’habituelle file de prétendants qu’elle éconduisait les uns après les autres. Il m’arrivait même de prendre sa place de temps à autre, comme au palais, pour me faire courtiser. Les bons habits, un peu de maquillage, des talons hauts et même ses plus proches conseillers avaient du mal à voir la différence. Les derniers prisonniers étaient quant à eux servis dans quelques grands festins tandis que l’armée ne souffrait nul problème d’approvisionnement.

Tout allait donc pour le mieux, bien que ce refus perpétuel de prendre époux agaçait voire même inquiétait toujours ses généraux ; en effet si elle venait à décéder, ce serait son frère Dmitri qui lui succéderait sur le trône or Dmitri était beaucoup moins belliqueux et revanchard que sa sœur. Beaucoup craignaient qu’il ne fasse la paix avec Orania sitôt arrivé au pouvoir.

Hélas pour eux, ma souveraine n’était pas du genre à se laisser guider sa conduite et elle ne comptait pas non plus mourir tout de suite, par contre elle comptait bien continuer à faire les deux choses qu’elle aimait le plus : la guerre et la fête. Or ce siège associait fort bien ces deux penchants, tant le faste et la dépravation qui y régnaient étaient grandioses ! Dans le même temps la rivalité entre le duc de Kulmar et le comte d’Or se transformait petit à petit en haine ; ils étaient en perpétuel conflit sur les opérations à mener et le soutien que la reine donnait tantôt à l’un, tantôt à l’autre n’arrangeait pas grand-chose. Mais après tout, cela a plutôt bien fonctionné jusqu’à maintenant et si cela peut les motiver à toujours se surpasser ce n’est pas plus mal !

Ivan

La date fatidique du convoi était enfin arrivée. Je vis au lever du soleil pas moins de cinq-mille soldats accompagnés d’une cinquantaine de chevaliers sortir du camp, vraisemblablement pour escorter cette cargaison. De ce que j’avais pu comprendre à force d’observation et en me remémorant ce que j’avais lu, la nourriture commençait à manquer trop cruellement, il était donc essentiel d’assurer cet approvisionnement-là qui permettrait de rétablir la situation, sans quoi le siège devrait être abandonné.

Durant toute la matinée je tendais l’oreille, en espérant ne serait-ce qu’entendre des bruits de combat sans qu’il n’en soit rien. En même temps si bataille il devait y avoir, elle serait probablement assez éloignée du camp. Cette ignorance quant à la situation doublée à mon impuissance me faisaient atrocement souffrir sans que je ne puisse faire autre chose qu’endurer cette longue attente.

Toutefois, vers midi, j’entendis le cor sonner et presque instantanément une voix se fit entendre :

« L’ennemi nous attaque ! »

Immédiatement l’ensemble des soldats qui étaient en train de manger leur maigre pitance se rua vers leurs armes et accouru vers les murailles. J’entendais en effet au loin les bruits de tambour de l’armée que j’avais accompagnée. Je pris le bout de bois me servant de béquille, sortis de ma tente avec les deux jumeaux afin de pouvoir observer en plus d’écouter tandis que quelques gardes vinrent pour veiller à ce que nous ne prenions pas part à la bataille.

Je vis alors les soldats sur les murs commencer à tendre leur arc et décocher leurs flèches pendant que les vampires qui les accompagnaient hurlaient leurs ordres. Bientôt des traits se mirent à voler en sens inverse et je vis l’un d’entre eux se ficher dans l’épaule d’un soldat qui tituba quelque peu avant qu’un vampire ne le secoue pour qu’il reprenne ses esprits et bande à nouveau son arc. Rapidement des échelles se posèrent sur le mur et presque aussitôt je vis des hommes et des vampires prendre d’assaut le camp le tout sous une voûte de flèches et de carreaux.

Les combats sur les murs étaient rudes mais les défenseurs tenaient. Le roi lui-même se battait furieusement avec sa garde, ne laissant aucune chance à quiconque lui faisait face, homme ou vampire. Mais alors que l’assaut semblait en passe d’échouer, un nouveau combat commença sans que je ne m’aperçoive de rien à ma droite. Une autre attaque était menée depuis la forêt, là où la palissade était la plus basse.

Un petit groupe composé de quelques hommes et vampires prit vite pied sur la fortification et commença à investir le camp. La forêt avait sans doute caché leur arrivée tandis que la faible hauteur du mur permit de le prendre très rapidement d’assaut avant que quiconque ne réalise quoi que ce soit, sans compter qu’un autre combat avait déjà commencé ailleurs. Le roi hurla que l’on contrattaque et bientôt des hommes tenus en réserve foncèrent vers ce nouveau groupe d’assaillants. Le combat fit bientôt rage entre les tentes. Cependant je reconnaissais ce détachement de soldats : c’était là ceux qui avaient pour habitude de tendre les embuscades, les meilleures troupes de notre armée. Ainsi alors que le flot des assaillants venant de la forêt ne se tarissait pas, les combats du camp tournèrent petit à petit à l’avantage d’Orania.

La victoire se faisait plus probable à chaque instant mais cela n’enlevait rien à la rage que je ressentais, moi unijambiste et sans armure, je ne pouvais prendre part à cette victoire. Les combats continuaient à quelques mètres devant moi. Je voyais certains hommes décapités, d’autres tranchés en deux ou d’autres encore transpercés de part en part. Les morts des vampires étaient moins spectaculaires, j’en voyais un de chez nous, équipé d’une armure à tête de pieuvre, à terre une épée fichée dans le cou, un autre d’en face, avec un heaume en forme de cerf cette fois-ci, en train de se faire taillader la clavicule avec une hache. Mais la lourde armure que les chevaliers portaient enlevait ce côté spectaculaire et brusque que pouvait avoir la mort des humains.

Le combat était toujours plus intense, les soldats du camp continuaient à accourir mais avaient tendance à reculer devant les assaillants. Nos geôliers nous faisaient nous éloigner petit à petit et semblaient rassurés de devoir nous surveiller au lieu d'avoir à se battre. Voyant l’évolution de la situation le roi Boris II descendit du mur qui semblait sous contrôle pour se joindre aux combats au sol avec son escorte, sans pour autant arrêter de vociférer des ordres et des directives. Il faisait tournoyer Tranche-vie avec aisance et puissance, repoussant et tuant tous ceux qui lui faisaient face. Les lances d’or, quant à elles, se tenaient en formation autour de lui et gardaient ses flancs. Les quelques sanguinolentes qui avaient accompagné l’armée avaient elles-mêmes pris part au combat et tiraient autant de carreaux d’arbalète qu’elles le pouvaient. Ce prompt renfort en bas du mur sembla inverser la tendance et bientôt les assaillants reculèrent. Des pluies de flèches et de carreaux s’abattaient sur cette immense mêlée, chaque camp ayant disposé des tireurs sur les parcelles de mur qu’il contrôlait.

La bataille continua toute la journée et même une partie de la nuit, durant laquelle le nombre de nos surveillants augmenta ostensiblement afin d’éviter que l’absence de soleil ne nous encourage à quelque audacieuse rébellion. L'affrontement se poursuivit ainsi jusqu’à ce que, après des heures de combat, les assaillants refluent définitivement. le combat cessa donc faute de combattants. Un nombre stupéfiant de cadavres gisaient et on entendait encore dans le noir les cris des mourants qui agonisaient là depuis peut-être plusieurs heures.

Le lendemain j’en sus davantage sur ce qu’il s’était passé. De ce que les vampires se racontaient entre eux et de ce qu’il fut dit aux hommes, l’attaque fut menée avec dix-mille hommes dont la moitié avait été perdue tandis que les défenseurs ne déploraient que trois-mille tués ou blessés. Mais dans ce même temps, l’immense cargaison avait également été attaquée par le reste de l’armée d’Orania et après un âpre combat cette dernière avait été perdue. Le roi annonça donc que le siège devrait être levé et ce le plus tôt possible. Il me convoqua ensuite dans sa tente et, en présence de tous les officiers dont bon nombre étaient blessés de la veille, il me demanda :

« Est-ce vous qui avez renseigné Orania sur cette cargaison ? »

Je réfléchis, mais après tout l’attaque était passée, cela n’avait plus d’importance.

« En effet, mon camarade de fuite a pu transmettre un message que j’avais moi-même recueilli grâce aux notes que votre collègue ici présent prend lors de chacune de vos réunions. Il est fort à parier que cet assaut surprise depuis la forêt ait également eu lieu grâce à nos observations du camp faites lors de notre évasion. »

Les généraux se mirent à hurler qu’on me tue, n’arrivant seulement pas à se mettre d’accord sur la façon de s’y prendre mais le roi les interrompit :

« Messires, calmez-vous… Il sera exécuté mais il a servi son pays, certes sans honneur, en trahissant la confiance donnée mais il a servi. Pour cela il faut néanmoins le respecter. Aussi vous serez décapité demain à l’aube avant notre départ et ce de ma main. Profitez de votre ultime nuit en ce monde. »

Me voilà donc dans ma tente, à écrire ces lignes… Je n’aurai jamais été le soldat dont j’ai rêvé, je n’aurai été qu’un observateur… Néanmoins dans mon infortune j’ai permis à Orania de remporter une victoire et forcé l’ennemi à lever son siège. Quel dommage que l’assaut de la forteresse n’ait pas réussi… J’aurai sans doute été libéré… Enfin, diviser ses forces pour attaquer le convoi et la forteresse en même temps était sans doute trop ambitieux pour réussir… J’en aurai rencontré des grands guerriers entre le duc de Sartov, le roi Boris II, le duc de Cracvonia et même le comte de Gamar. Quant à moi, mon ultime et seule gloire sera d’affronter la mort sans peur, comme le fit mon camarade lors de notre capture… Je n’aurais jamais été un grand combattant mais j’espère pouvoir être devant la mort ce que je ne fus pas durant ma vie : un courageux chevalier.

Annotations

Vous aimez lire Antoine Zwicky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0