Chapitre 18 : Manœuvres à l'ouest

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Irina

22 mars de l’an 5004 après la guerre des sangs

Cette semaine des jeux a été organisée trois jours durant dans la grande arène pour fêter le début de la nouvelle campagne militaire. Ces derniers furent inaugurés par le combat des maudits. Ce genre de spectacle ne m’intéresse guère mais en cette occasion tout le monde était convié. Ainsi les vampires qui n’avaient plus goût à la vie allaient s’affronter sous nos yeux jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un, qui referait de même à la prochaine occasion jusqu’à ce que mort ou délivrance selon certains, s’ensuive. Cette pratique, bien qu’ancienne, avait été popularisée par Boleslaw qui combattit avec son épouse dans cette arène pendant huit mois avant de trouver la mort. Selon beaucoup voir Brise l’âme maniée pendant une si longue période, découpant tout ce qui se trouvait en face, était un spectacle des plus grandioses.

Ainsi les combats entre femmes commencèrent. La "maudite" présente depuis le plus longtemps était une dame sans titre qui se battait depuis trois mois désormais. Chose étonnante elle n’avait que six-cents ans, ce qui était très jeune pour succomber à la malédiction de l’ennui. Enfin, ces jeux étaient surtout l’occasion de pouvoir parler avec tout le monde. Je passai mon premier jour en compagnie de Nikolaj.

Il me fit savoir qu’il n’avait rien le droit de dire venant des réunions du conseil mais qu’il me connaissait et que si je lui promettais de n’en parler à personne il accepterait de m’en révéler une partie. Ainsi le plus bas possible, tout en feignant de s’intéresser au spectacle, il me confia que le royaume était prêt pour la guerre. Il avait fini par calmer les seigneurs mécontents du conseil précédent mais il rajouta :

« Cela risque de ne pas durer si la guerre s’éternise, les petits seigneurs sont clairement en train de se saigner afin de permettre aux grands de faire leur guerre. Ils n’ont pas les moyens de se remettre rapidement de leurs pertes et, s’ils rejoignent l’armée, les barons seront sous le commandement de comtes ou de ducs. Ils sont donc les grands perdants alors qu'ils sont extrêmement nombreux dans le royaume. Tant que la haute aristocratie conserve de quoi maintenir l’ordre, les barons se tiennent tranquilles mais si la guerre traine en longueur et que les grands seigneurs doivent engager leurs réserves… Cela pourrait dégénérer. Toutefois tout cela pourrait être arrangé, j’ai réussi à convaincre le royaume d’Ishka de s’allier avec nous, à la condition que Miroslaw ait un fils qui pourrait voir son sang lié à celui de la princesse Youlia. Nul doute que Miroslaw s’applique chaque nuit à engendrer un héritier ! »

La liaison du sang… On en est donc arrivé là pour sceller une alliance. De tous les aspects de la religion de Valass, je pense que c’est celui que je désapprouve le plus. Forcer un nouveau-né à avoir une pseudo-relation sexuelle avec une autre personne afin de pouvoir sceller un mariage dès la naissance, sans prendre le risque que des fiançailles soient rompues. Bien que rarissime, cela pourrait donc arriver…

Je demandai ensuite à Nikolaj s’il savait ce qui était prévu pour les opérations de l’année prochaine. Cela le fit sourire et il me répondit :

« Faites attention, ou l’on va finir par croire que vous êtes une espionne. Je vous prie de m’excuser si je vous ai vexée, ce n’était qu’une plaisanterie ; mais évidemment vous n’en parlez à personne. Actuellement deux armées vont à l’ouest : l’armée du duc de Cracvonia, formée de trente-mille hommes, sera chargée d’affronter les troupes d’Isgar pendant que celle du comte de Gamar, qui devrait partir sous peu et être rejointe par d’autres soldats venant de tout le royaume jusqu’à former une armée de vingt-mille hommes, se verra confiée la tâche d’affronter les troupes d’Aartov. Enfin le comte de Similinmar est en train d’assiéger Imichk où se terre Grigori, le dernier prétendant au trône, le fils d’Alexandrov. Une fois que le siège sera fini, il devra porter ses troupes au nord pour contrer la révolte humaine. Mais il n’a aucune idée de la date à laquelle ce siège se terminera, après tout Imichk est une formidable forteresse adossée à la montagne et composée de trois niveaux… Elle ne pourra tomber que par la faim mais nul ne connaît leurs provisions »

Tandis qu’il disait cela tout le monde applaudissait la fin du combat, la même dame avait encore gagné et les seigneurs en profitaient pour donner ou engranger la mise de leurs paris.

Les deux autres jours étaient consacrés à la joute, bien que de grands seigneurs et chevaliers soient en guerre, il en restait visiblement suffisamment pour faire un tournoi mais d’un niveau moindre qu’en temps de paix de l’avis de l’ensemble des habitués.

J’entamai à cette occasion une conversation avec Gueorgui, le nouveau grand-duc d’Ortov. Je n’avais encore jamais eu l’opportunité de parler avec lui et, après lui avoir adressé mes condoléances tardives pour son père, je lui demandai ce qu’il pensait des autres membres du conseil.

« Je pense que Miroslaw a fait de bons choix dans l’ensemble. Le seigneur Lech connaît indubitablement son affaire et de très nombreuses villes sont devenues de vrais dépôts militaires en un hiver seulement. Il a placé lui-même des seigneurs sans titre qu’il connaissait qui ont pour eux un talent organisationnel certain à défaut d’une haute naissance. Le seigneur Nikolaj est également très efficace, sans vous en dire davantage il a réussi à calmer les petits seigneurs. Le duc de Marmar est peut-être le moins compétent, ceci dit on lui demande de trouver des sommes absolument folles pour équiper et nourrir nos armées mais il arrive pour le moment à tenir à peu près le rythme. Seul le baron de Mafmar demeure une énigme pour moi. Il ne parle quasiment jamais et, lorsqu’il le fait c’est toujours tout bas. Pourtant il semble paradoxalement être plus proche du souverain que nous tous. Mais bon, après tout, être mystérieux n’est-ce pas ce qu’on demande à un maître des ombres ? »

Il était vrai qu’il était étrange. Personne ne le connaissait à la cour avant sa prise de fonction et son physique le rendait bien singulier par rapport aux autres seigneurs vampiriques. Le plus effrayant était qu’à chaque fois que mon regard se portait vers lui, il semblait me regarder… Mais d’après les autres seigneurs il leur donne également cette impression.

Je questionnai enfin Gueorgui sur notre souverain. Il semblait assez enthousiaste vis-à-vis de ce dernier :

« Il est indubitablement meilleur que ce qu’aurait été Alexandrov, il est certes un peu autoritaire, et n’aime pas les compromis ; mais c’est un bourreau de travail, il suit avec attention le développement du conflit et il a une mémoire phénoménale. En tout cas entre le conseil et lui, l’arrière peut difficilement être mieux préparé, le destin d’Orania repose désormais sur l’avant et tout particulièrement sur le duc de Cracvonia ! »

Après ces trois jours de combats dans l’arène, j’envoyai comme à mon habitude les nouvelles informations à Renaud mais j’étais davantage inquiète cette fois-ci. A la vérité le nouveau maître des ombres me terrifie et son allure effrayante toujours encapuchonnée me rend presque paranoïaque.

Christina

Nous avons assiégé la place d’Outor tout l’hiver durant et voilà qu’elle tombe enfin. Les humains qui se présentent à nous sont maigres et ont la mine penaude des vaincus. Les vampires quant à eux se sont rendus en échange de leur liberté, ce qui leur fut accordé. Le siège n’avait pas été facile de notre côté non plus, sur les quatre-mille hommes qui ont participé, un tiers est mort de froid… Il faut dire qu’improviser pareille opération en plein hiver était on ne peut plus difficile mais c’est également l’hiver qui a empêché l’ennemi de pouvoir achemnier des renforts. Ces sacrifices en valaient donc la peine.

Le duc de Kulmar est assez optimiste pour la suite des opérations, avec nos vingt-sept-mille hommes, nous devrions être en supériorité numérique sur l’ennemi, sans compter qu’Aartov aussi est à l’offensive. Boris II est reparti au sud après la déclaration de guerre pour mener ses troupes ; il a l’expérience de la guerre et sera un grand allié dans ce conflit.

En attendant ma souveraine et moi pourrons manger beaucoup d’humains ce soir, quoiqu’il ne leur reste plus beaucoup de chair…

Notre seule interrogation pour l’instant est l’attitude du royaume d’Ishka. Ce dernier n’a pas guerroyé contre Boleslaw et est resté historiquement assez proche d’Orania. Pour l’instant il demeure neutre, mais pour combien de temps encore ? Nos nombreuses demandes d’alliance ou de pacte de non-agression n’ont reçu comme réponse que des fins de non-recevoir. Pour l’instant on espère pouvoir finir la guerre sous un ou deux ans, avant que le dernier royaume ne se décide à bouger ; une fois que toutes les places seront reconquises il sera presque impossible pour Orania de venir les reprendre sans s’engager dans une guerre extrêmement longue et couteuse. De notre côté il ne reste plus que deux châteaux d’importance à prendre : la forteresse de Rutor et celle de Pomik.

Si Valass est avec nous elles seront prises dans l’année : notre matériel de siège est excellent et le marquis renégat nous a donné nombre d’informations concernant leur structure. Les mauvais jours auront duré longtemps cette année, même pour le nord, mais dès qu’il fera un temps correct, nous foncerons sur Rutor !

Ivan

Notre armée est finalement partie avec treize-mille hommes, mais d’après les dernières informations environ sept mille autres sont en marche pour nous rejoindre. Le comte de Gamar avait hésité à les attendre mais étant donné que l’armée ennemie assiège actuellement Zandor, nous ne pouvions pas être surpris pendant notre marche.

Nous traversâmes donc rapidement le fleuve de la lune et nous partîmes vers le fort menacé. D’après nos renseignements le roi Boris II d’Aartov lui-même commandait les troupes. Cependant même avec toutes les armées d’Aartov ainsi que la présence du roi, la forteresse ne tombera pas aisément ; il s’agit de la plus imposante et solide place forte du sud, qui a été spécialement construite pour empêcher une invasion de la part de nos ennemis.

Lorsque nous arrivâmes sur place, les éclaireurs nous firent savoir que l’armée ennemie comptait au moins vingt-mille hommes et que de nombreuses machines de siège avait déjà été construites. De plus ils avaient également monté des fortifications autour de leur camp afin de se protéger d’un assaut venant de l’extérieur.

Le comte de Gamar n’eut donc d’autre choix que d’attendre les renforts afin de pouvoir lutter à arme égale. Deux choix se posaient alors : une fois que les renforts seraient arrivés, faudrait-il se coordonner avec la forteresse et attaquer immédiatement l’armée ennemie ou bien essayer de couper le ravitaillement des assiégeants en les encerclant à notre tour ?

Chaque seigneur avait un avis différent sur la question mais le comte de Gamar, après bien des hésitations, opta pour la stratégie indirecte, en effet il ne voulait pas risquer le cours d’une guerre déjà mal engagée sur un assaut frontal et assez incertain.

Ainsi voilà déjà deux semaines que nous attendons les ultimes renforts pour gêner le siège adverse… D’après les derniers pigeons, ils devraient arriver d’ici une semaine. Le comte de Gamar m’a l’air moins incisif et brutal que l’ancien duc de Sartov, je ne sais pas s’il a les épaules pour défaire le roi Boris II, qui sans être un génie, a énormément d’expérience… Enfin mon rôle est d’observer et je n’ai pas voix au chapitre, je suis curieux de voir comment cela se terminera et puis ma faible expérience militaire m’a déjà prouvé que la guerre est assez imprévisible, après tout, qui aurait pu croire que le grand-duc de Sartov se serait fait battre, et ce de manière aussi décisive, par le duc de Cracvonia ?

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