Chapitre 15 : La bataille de Polyamar

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Ivan

En ce jour j’ai assisté à la bataille la plus titanesque de ces cents dernières années !

Notre armée a pris position sur la route reliant Sartov à Valassmar, juste en face d’un petit village se nommant « Polyamar ». L’armée ennemie est arrivée la veille au soir, et bivouaqua à quelques lieues de notre camp. On pouvait entendre la nuit les déplacements des troupes en vue du combat du lendemain.

Le jour levé, les deux armées avaient pris place l’une en face de l’autre. La nôtre disposait de quinze mille soldats en ligne sur huit rangs face aux troupes adverses. Une réserve de quatre mille hommes demeurait à l’arrière. Les hommes du duc, le meilleur de l'armée, était placée au centre tandis que les forces alliées étaient sur les ailes, légèrement en retrait. La réserve était constituée des meilleures troupes du duc, l’élite de l’élite !

De chaque côté de la ligne étaient positionnés deux cents chevaliers vampires accompagnés par cinq-cents cavaliers humains, légèrement cuirassés mais munis d’arbalètes.

Enfin la soixantaine de sanguinaires, menée par l’archiprêtre Mirov, escortait Alexandrov tandis que vingt chevaliers escortaient le duc et vingt autres le marquis. Les vampires étaient équipés, comme d’accoutumée, d’immenses armures lourdes, avec des casques à l’effigie d’animaux ou de monstres, de lances et d’épées. Seuls les sanguinaires se distinguaient réellement avec leurs armures pourpres, leur cape de la même couleur et leurs deux épées incurvées, qu’ils nommaient « leurs autres crocs ». Leur spécialité était en effet le combat ambidextre à cheval, que je n’avais jamais vu mais qui promettait d’être spectaculaire s’ils étaient engagés.

L’armée nous faisant face s’était déployée sur la même longueur environ et sur probablement davantage de rangs bien que la distance importante ainsi que le nombre m’empêchaient de les compter plus précisément. L’ennemi s’appuyait à sa droite sur le village de Polyamar et à sa gauche sur une petite colline. Comme pour nous leur centre était un peu plus en avant que leurs ailes.

Enfin aux deux extrémités se trouvait un groupe de quatre-cents chevaliers.

Leur réserve nous était invisible mais les éclaireurs qui avaient suivi leur avancée jusqu’ici nous avait assuré que leur armée comportait plus de trente-mille hommes.

Notre roi s’avança alors et fit un discours des plus creux aux troupes. Le fait qu’il s’avance avec son étendard, ainsi que l’absence de réaction de la troupe devait conforter l’ennemi dans son postulat qu’Alexandrov avait bien pris en main le commandement. Après avoir terminé, ce dernier revint derrière les lignes

La bataille commença lorsqu’un groupe de tirailleurs humains munis d’arcs s’avança pour nous harceler. Il s’agissait vraisemblablement des troupes du duc de Cracvonia car elles semblaient un peu plus entrainées et réactives que la moyenne. Leurs traits ne causèrent que peu de pertes dans nos rangs mais il fut ordonné d’attaquer. Les tambours et les cors de guerre sonnèrent alors et les gardes du duc se mirent à chanter :

« Nous marchons avec le duc !

Vers l’ennemi, la gloire et la victoire

Tremblez, tremblez, vous qui nous entendez

Plus jamais vous ne reverrez le soir

Car nous sommes tous de bien bons guerriers

Qui marchons avec le duc !

Parmi nous nul n’est faible nul n’est lâche

Notre honneur se nomme fidélité

Que ce soit à coups d’épée ou de hache

Nous triompherons de l’adversité

Puisque nous marchons avec le duc !

Nous ne connaîtrons jamais la défaite

Car madame la guerre est notre mère

Et cette nuit nous ferons tous la fête

Tandis que vos corps nourriront les vers

Et votre sang le duc ! »

Même de loin je voyais l’effet que ce sinistre chant avait sur des recrues mal entrainées. Toujours harcelées, nos troupes avançaient tandis que les tirailleurs adverses reculaient tout en continuant à décocher leurs flèches.

La réserve et le commandement suivaient la ligne principale en gardant le même écart que lors du déploiement.

Après une marche de plusieurs minutes pour parcourir la distance séparant les deux armées, notre centre chargea le leur lorsqu’il ne resta plus que quelques mètres à parcourir. Le choc fut brutal, et la discipline couplée à la lourdeur de notre équipement bouscula immédiatement leur ligne qui commença à s’affaisser.

Soudain, les chevaliers ennemis tentèrent de déborder nos ailes, c’est alors que notre propre cavalerie vampirique, dans un rapport numérique de deux contre un, les chargea. La violence de l'impact désarçonna une dizaine de cavaliers de part et d’autres et j’en vis même un, de loin, toujours sur son cheval mais avec une lance fichée dans la poitrine.

Mais tandis que l’avantage numérique aurait dû donner la victoire à notre adversaire, les cavaliers humains, au lieu de charger au corps à corps où ils n’auraient eu que peu d’impact, se mirent à harceler les chevaliers adverses en leurs décochant des traits d’arbalète. A chaque fois que des vampires sortaient de la mêlée pour accrocher les tireurs montés, ces derniers se repliaient, tirant profit de leur tenue plus légère pour échapper à leurs poursuivants, tout en continuant à les cribler de carreaux.

Ainsi malgré un désavantage théorique au niveau de la cavalerie, la tactique du duc avait réussi à contrer le plan de nos adversaires qui avaient sans doute prévu d’encercler nos troupes qui continuaient d’enfoncer le centre adverse. Ce dernier d’ailleurs ployait de plus en plus nettement et les pertes adverses en ce lieu du champ de batailles étaient bien plus élevées que les nôtres tandis que cette tendance allait en s’accentuant.

Je voyais le commandement adverse sur la colline en train d’observer l'affrontement. Soudain Miroslaw et Gueorgui, le fils du grand-duc d’Ortov partirent, laissant Vassili, le duc de Cracvonia, seul avec l’observateur.

Le duc de Sartov interprétant ce signe comme un repli et encouragé dans ce sens par Alexandrov qui y voyait lui aussi une occasion, lança ses réserves sur le centre ennemi pour le briser et laissa poindre un sourire de soulagement. Pendant ce temps nos ailes se battaient dans le village et sur le flanc de la colline sans chercher à pousser plus que ça pendant que notre cavalerie conservait son avantage.

Pourtant quelques instants seulement après que notre réserve fut engagée, je vis arriver sur la colline une immense colonne de soldats. Cette dernière semblait ne pas avoir de fin puisque tandis que la ligne adverse avait en moyenne une profondeur de douze rangs, la colonne qui nous arrivait depuis l’arrière de la butte en avait au moins quarante. Avant qu’il ne soit possible de réagir, cet immense bloc de troupes chargea en profitant de la pente notre droite qui fut culbutée et se débanda presque instantanément. Ce succès acquis, une partie des troupes commença à tourner notre armée surprise, tandis qu’une autre s’en alla plus avant afin d’attaquer par derrière.

Voyant cette manœuvre et la panique qui gagnait peu à peu nos troupes, et même celles du duc, je portai mon regard vers notre commandement. Le duc de Sartov regardait la scène se dérouler et, après quelques hésitations, sans dire un mot, il brandit Buve-sang ! Et cria :

« Messires, s’il y a des hommes pour qui il faut savoir risquer sa vie, ce sont bien ceux-là, et s’il y a un roi légitime c’est bien lui, pour ces deux raisons… Chargez ! »

Et il chargea avec son escorte vers le combat qui se déroulait entre ses hommes et ceux de l’ennemi.

Après un moment d’attente Alexandrov dit d’une voie basse mais assurée :

« Je ne suis roi que depuis quelques semaines et je vous demande déjà de mourir pour moi… Me suivrez-vous, sanguinaires ? »

Ces derniers hurlèrent alors tous en cœur :

« Vive le roi ! »

A ces mots le monarque chargea avec son escorte dans la mêlée pour rejoindre le duc.

Le corps à corps était terrible et chaque vampire présent massacrait des humains à tour de bras, sans que ce ne fut suffisant pour les repousser et bientôt le duc tout comme le roi furent submergés.

Je vis alors le marquis tourner les talons et quitter le champ de bataille avec sa garde.

Voyant le désastre, quelques-uns de nos chevaliers arrêtèrent de se battre, puis de plus en plus jusqu’à ce que les combats de cavalerie sur chaque aile s’arrêtent. Ceci permit aux vampires adverses de laisser là leurs homologues et de se placer derrière notre ligne entre l’armée et moi-même. Les quelques cavaliers humains qui s’interposaient étaient balayés. A ce moment un chevalier ennemi me salua juste avant de charger notre centre dans le dos ce qui lui fit perdre le peu de cohésion qu’il pouvait encore avoir.

Vers seize heures la bataille était finie. Notre armée était en déroute. Il semblait que nos adversaires prenaient un soin particulier à poursuivre les troupes du duc, ralenties par le poids de leur armure.

Rapidement un immense tas de prisonniers fut constitué et Miroslaw, Gueorgui, et Vassili approchèrent. Je les rejoignis, les félicitant pour cette victoire. Ils me remercièrent et je pris ensuite place auprès de l’observateur du camp opposé. Après lui avoir fait le récit détaillé de la bataille de mon côté, il m’expliqua le point de vue opposé : ainsi Vassili pensait qu’Alexandrov prendrait le commandement mais, dans le doute, il avait placé une énorme colonne de troupes derrière la colline afin de nous surprendre. Comme prévu nous attaquâmes suite au harcèlement de ses archers et nous nous concentrâmes sur leur centre. Il réalisa que c’était bien le duc et non Alexandrov qui était aux commandes lorsqu’il vit les combats de cavalerie. Le duc de Cracvonia demanda alors à Miroslaw et Gueorgui de se retirer et que leur centre recule, afin de simuler une défaite prochaine, incitant ainsi le duc à envoyer ses réserves pour briser leur armée. Une fois ceci fait rien ne pouvait plus contrer cette offensive surprise venant de la colline.

Lorsque les dépouilles furent ramassées, je vis celle du duc, avec son armure toute ensanglantée. Il avait visiblement été désarçonné et tué au sol pendant la mêlée.

Alexandrov avait quant à lui été capturé, avec la moitié des sanguinaires encore en vie. Et les quelques gardes restant de l’escorte de feu notre général.

Miroslaw dit au duc de Cracvonia que sa stratégie ayant défait le duc, Buve-sang lui revenait. C’est donc entouré de cadavres que Vassili se saisit de l’arme légendaire, l’extirpant des mains même du défunt duc. Bien que se passant dans un cadre des plus macabres, le moment fut néanmoins tout à fait solennel.

L’acte accompli, les vampires capturés ou s’étant rendus, moi compris, furent rassemblés et le roi Miroslaw s’avança :

« Messires, vous vous êtes vaillamment battus et il n’y en a pas un de vous qui a démérité. Je serai honoré de vous voir vous joindre à mes côtés, toutefois, pour ceux qui refuseront ; nul doute que vous comprendrez que je ne peux pas vous laisser en vie… Aussi je vous demande de choisir entre prêter serment d’allégeance à votre souverain légitime ou bien mourir »

Nous nous agenouillâmes alors et jurâmes fidélité à Miroslaw, roi d’Orania. Je n’avais pour ma part pas de préférence particulière entre les deux souverains et bien qu’Alexandrov m’avait impressionné, je ne tenais pas à finir coupé en deux pour le faire savoir au monde.

Seuls restèrent debout Alexandrov, l’archiprêtre, l’ensemble des sanguinaires ainsi que deux membres de la garde du défunt duc de Sartov, dont l’un d’eux avait une lance plantée dans l’articulation de son armure au niveau de l’épaule.

Alexandrov s’exclama :

« Ce n’est pas par choix, mais par naissance que je suis roi. Eus-je été persuadé de votre légitimité que je ne vous aurais pas fait la guerre quand bien même tous les nobles du royaume m’y auraient poussé mais ayant connaissance de mes droits je ne les renierai pas, fut-ce devant la mort ! »

Miroslaw prit un air navré et, bien qu’il comprenait la position du duc de Vanov, il ordonna qu’on décapite les traîtres.

Chacun des vampires ainsi tué fut digne dans la mort comme ils le furent dans la vie et lorsque vint le tour d’Alexandov, il murmura d’une voix à peine audible : « A tout de suite Josef ! » juste avant que la hache ne s’abatte sur sa nuque.

Après avoir assisté à cette sinistre besogne, le roi s’avança vers le groupe de prisonniers humains qui patientait là depuis maintenant plus de deux heures.

Il ordonna alors au duc de Cracvonia :

« Incorporez dans nos rangs tous les hommes, sauf ceux du défunt duc, je tiens à ce que ces derniers soient pourchassés et exterminés où qu’ils se trouvent ; si vous avez un doute sur l’appartenance d’un humain à ce corps, tuez-le quand même. Sans le duc il se pourrait que cette armée devienne incontrôlable, qu’elle se révolte ou qu’elle rejoigne les hommes du nord… Ou peut-être qu’ils resteraient loyaux à l’héritier du duc… mais nous ne pouvons nous permettre de prendre un tel risque. Exécutez-les tous et pourchassez ceux qui se sont enfuis ! Ensuite envoyez des dépêches à tous les seigneurs du royaume, surtout les rebelles, pour les informer du résultat de la bataille. Pardonnez à ceux qui décideront de me rendre hommage mais écrasez ceux qui persisteraient dans leur rébellion ! Surveillez particulièrement le comportement de Grigori, le fils d’Alexandrov ! Enfin enterrez dignement les morts vampiriques et préparez une oraison funèbre toute particulière pour le duc de Sartov ! »

Suite à ces indications, tous les anciens soldats du duc furent passés au fil de l’épée, tandis qu’une véritable chasse se mit en place pour ceux qui s’étaient échappés. Le duché allait être ravagé et ce qui était aujourd’hui encore un des fiefs les plus riches et les plus puissants allait probablement se transformer en un lieu de désolation ou chaque homme serait suspecté et pourchassé. Le nouveau duc allait avoir bien du travail et bien des peines à relever son domaine de cette défaite.

Le soir venu, une immense cérémonie fut donnée en l’honneur de tous les chevaliers tombés et tout particulièrement feu le duc de Sartov, dont j’appris le prénom à l’occasion : Nikita. Un immense brasier fut allumé sur les dépouilles des humains décédés en ce jour et un silence solennel dura jusqu’à ce que le corps se soit entièrement consumé. « Aujourd’hui est mort un vampire qui faisait honneur aux vampires » conclut le duc de Cracvonia arborant désormais Buve-sang à la ceinture !

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