Chapitre 11 : Sauver le royaume

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Irina

23 mars de l’an 5003 après la guerre des sangs

Quelle nuit ! Cela faisait dix jours que le comte d’Altmar était parti et trois concernant le duc de Sartov. La lune n’était pas même levée que j’entendis des bruits de pas et des cliquetis d’armes dans le couloir. Je me levai pour voir de quoi il retournait mais le garde à ma porte me conseilla de rester dans ma chambre. Il avait l’air très inquiet et je sentais qu’il était prêt à m’empêcher physiquement de sortir.

Je restai donc dans ma chambre, tout en entendant de temps à autre des bruits de combats. Je demeurai ainsi cloitrée dans mes appartements, la peur au ventre, jusqu’à ce que le calme revienne et que mon garde me fasse savoir que je pouvais sortir.

Après avoir quitté mes quartiers, tout en déambulant dans le palais, je trouvai des vampires morts de ci de là, ainsi que des traces de sang et du mobilier brisé. La plus grande confusion régnait et peu de gens semblaient au courant de ce qu’il se passait. Nikolaj vint me retrouver et se dit rassuré de me savoir toujours saine et sauve. Malgré les affrontements, le nombre de victimes semblait finalement peu important. Tout d’un coup quelques gardes couverts de sang débarquèrent et nous prièrent de rejoindre la grande salle de bal avec une politesse qui contrastait avec l’état de leur armure et les restes de chair qui se trouvaient sur leurs armes.

Sans vraiment avoir le choix, nous obtempérâmes. La salle était bondée et tout le monde semblait s’interroger sur ce qu’il était advenu, mais sans réelle inquiétude, étant donné que chacun avait sa garde personnelle à portée. Pour ma part je n’avais que Nikolaj, en qui j’avais toute confiance, mais qui demeurait seul. Toujours est-il que s’il avait peur il n’en montrait rien. « Si l’on voulait nous voir morts, ce serait déjà fait » me dit-il avec un sourire des plus rassurants. Il semblait que tout le monde parvenait à garder son calme dans de telles circonstances, hommes comme femmes... Était-ce cela la cour ? Un monde où la dissimulation est si importante qu’elle prend le pas sur toute autre considération même dans pareilles situations ?

Après avoir attendu ici une demi-heure, le temps que le maximum de personnes arrive, nous vîmes sur l’un des balcons le grand-duc d’Ortov s’avancer, tenant une lame ensanglantée dans sa main droite. Sa chevelure blanche, propre à sa famille dit-on, agencée avec des traits tirés lui donnait un air sévère et grave qui m’effraya encore un peu plus.

Lui non plus ne semblait nullement affecté par la situation. Une fois le silence totalement instauré il déclama d’une voix calme et posée :

« Je suis navré d’avoir réveillé certains d’entre vous et de vous avoir laissé ainsi dans l’incompréhension. Des explications s’imposent, je serai honnête avec vous, en ce jour le roi Vanceslas II est mort, et ce de ma main. »

Un énorme brouhaha envahit la salle. Les plus expérimentés des courtisans eux-même ne purent s’empêcher de laisser apparaître une expression de surprise et d’étonnement. Même Nikolaj parut décontenancé. Rapidement le grand-duc reprit la parole.

« Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le royaume. Cette nuit mon fils et une centaine de mes plus fidèles guerriers se sont introduits dans le château et ont procédé à l’arrestation des ministres Kornilov, comte d’Arah, Antun, duc de Marav, Andreiev seigneur d’Ilatmar et Andropov marquis de l’ouest pour haute trahison. Il était de notoriété publique que ces gens appauvrissaient le royaume pour s’enrichir. Ce faisant ils ont risqué la stabilité et l’intégrité de notre nation ! Le roi quant à lui, en tant que tel, ne pouvait être jugé mais jamais un vampire ne fut de si haute naissance et de si basse vertu. Pour la sûreté du royaume, il fallait qu’il meure ! Sachez que ce fut de ma main et de ma main seule ! Aussi j’appelle en ce jour son neveu, le duc d’Aarsfald à venir le remplacer ! »

Un long silence se fit, comme si chacun non seulement commençait tout juste à réaliser la situation mais surtout cherchait à savoir comment en tirer le meilleur profit ou, au contraire, comment éviter de se faire exécuter pour quelques compromissions passées. Le grand-duc laissa planer un certain silence puis reprit la parole :

« J’annonce dès maintenant que toute autre personne que les ministres incriminés est d’ores et déjà graciée mais qu’aucun égarement ne sera plus toléré. J’annonce que le procès de ces dits ministres se tiendra dans une semaine dans la grande salle d’audience du palais. J’annonce que je ne rendrai la couronne qu’à Miroslaw, duc d’Aarsfald et désormais roi d’Orania. J’annonce faire tout ce qui est en mon pouvoir pour écraser la rébellion humaine du nord et ainsi maintenir le royaume en paix et enfin j’annonce que lorsque tout cela sera achevé, le châtiment de l’épuration me sera infligé pour mon régicide ! »

Je demandai à Nikolaj qui était ce duc d’Aarsfald et quel était ce châtiment dont je n’avais jamais entendu parler, il me répondit tout bas :

« Le duc d’Aarsfald est le fils de la fille ainée de Boleslaw, Maria. Il a notamment été chargé de la diplomatie à la fin des guerres contre les royaumes de l’ouest et s’est révélé tout à fait efficace et intègre. Mais Vanceslas II l’a remercié lorsqu’il est arrivé sur le trône. Quant au châtiment de l’épuration, il s’agit d’un supplice réservé aux régicides. On écorche le vampire jusqu’à ce qu’il perde énormément de sang, puis on le pèle sans le tuer, enfin on le laisse dans cet état durant sept jours et sept nuits à la vue de tous avant de lui embrocher le cœur. »

Une voix s’éleva alors de la salle et hurla :

« Et pourquoi pas Alexandrov ? »

« -De qui s’agit-il ? demandai-je à Nikolaj »

- Il s’agit du cousin de Vanceslas, le fils du frère de Boleslaw, Sigismund, qui est mort lors d’une embuscade durant les guerres contre les royaumes de l’ouest. C’est là l’un des problèmes du fait que Vanceslas ne prit pas de femme, tant qu’il n’avait pas de fils un doute persistait concernant sa succession en cas de décès prématuré : soit on prend le plus proche parent mâle auquel cas Miroslaw doit devenir roi ou bien on prend un héritier issu de lignée purement masculine, auquel cas Alexandrov est le nouveau souverain… C'est cette dernière approche qui est généralement privilégiée. En effet une femme ne pouvant pas devenir reine elle ne peut donc théoriquement pas transmettre ce droit. Hélas Alexandrov est réputé pour ne pas être plus intelligent que Vanceslas… Sauf que contrairement à ce dernier Alexandrov aime diriger, il a mené son armée à la défaite par deux fois lors des guerres de Boleslaw et ce en prenant des décisions absurdes malgré les conseils de ses généraux ce qui coûta d’ailleurs la vie à son frère Josef. Il conduirait le royaume à la ruine s’il prenait le pouvoir. Il semble donc que Stanislas joue sur ce doute quant à la façon de désigner l’héritier afin de privilégier Miroslaw. »

Comme pour donner raison à Nikolaj, le grand-duc d’Ortov répondit :

« Je n’ai pas tué le pire roi de notre histoire pour qu’il se voit ravir son titre par un autre. De toute façon Vassili, duc de Cracvonia, est avec moi. Sa révolte a servi de prétexte pour éloigner le duc de Sartov, qui aurait sans nul doute défendu Vanceslas, et ainsi permettre cette reprise en main du royaume ! Avec mes forces qui sont d’ores et déjà en route, celle du duc de Cracvonia et de quelques autres nobles nous imposerons notre décision et comblerons par la même occasion ce vide juridique ! Je n’ai qu’une seule excuse à vous faire en vérité, ce n’est pas d’avoir tué ce roi ou de désigner Miroslaw comme successeur mais de n’avoir pas pu agir plus tôt. Le maître des ombres épiait mes moindre faits et gestes. J’étais même forcé de voler l’argent de mon propre royaume afin qu’on ne soupçonne pas chez moi… de l’intégrité. Oui, le conseil en était arrivé là ! J’ai dû envoyer mon fils en personne faire les innombrables allers retours tel un vulgaire messager afin de rallier suffisamment de nobles à notre cause tout en écrivant de faux messages pour donner le change à Antun. J’ai dû devenir, contre ma nature, à mon tour un intriguant, j’ai dû comploter pour sauver le pays et croyez-moi, après m’être tant trahi moi-même par fidélité au royaume, l’épuration sonnera pour moi comme une délivrance ! »

L’émotion l’avait semble-t-il submergé et cela avait visiblement touché certains courtisans présents, peut-être ceux à qui il restait également encore un peu d’honneur, amoindri par ces décennies de corruption, mais ravivé par ce discours. Les autres furent convaincus par leur instinct de survie fortement stimulé par la centaine de chevaliers loyaux au grand-duc Stanislas présents dans le palais.

Quoi qu’il en soit l’audience lui semblait acquise. En tout cas personne ne doutait de la volonté du juge suprême à s’infliger l’épuration, une question vint toutefois rompre ce silence approbatif :

« Et le duc de Sartov dans tout cela ? Il y a toutes les chances qu’il reste sourd à vos arguments et qu’il prenne le parti d’Alexandrov ! »

Stanislas prit une mine grave et rassura son auditoire :

« Je le pense aussi, je lui ai malgré tout envoyé une demande pour qu’il se joigne à nous. Toutefois, s’il refuse, il rencontrera alors un ennemi que même lui ne peut défaire : la faim ! Tout l’approvisionnement de son armée vient d’ici, s’il préfère servir un faux roi plutôt que le royaume c’est son choix mais nous couperons alors ses vivres et c’est avec un immense regret que le duc de Cracvonia et moi feront campagne contre lui avec nos armées conjointes. Même le porteur de Buve-sang ne saurait arrêter pareil ost ! »

En à peine une matinée, il avait réussi à prendre le contrôle de cette cour indisciplinée au possible et le royaume semblait avoir en sa personne un vrai chef… Miroslaw avait déjà été mis au courant et se trouvait actuellement avec le duc de Cracvonia toutefois Alexandrov ne semblait pas être du genre à renoncer à son droit au trône pour autant… Bien que la perspective d’une confrontation avec lui n’inquiétait personne. Tout dépendait désormais de la capacité de Stanislas à convaincre les seigneurs indécis de soutenir Miroslaw et à vaincre le duc de Sartov.

En tout cas Renaud devait être informé du développement de la situation ici, bien qu’au fond cela ne changeait pas vraiment sa situation. Je fis donc comme à mon habitude… c’est d’ailleurs la seule chose de normale qu’avait cette nuit.

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