Chapitre 13

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La punk lui décrocha un sourire gêné et souffla l’une de ses mèches rose bonbon. Une semaine qu’elle avait rencontré cette fille sous un abribus, et l’espoir de revoir son blouson ne lui avait même pas effleuré l’esprit. Jo examina un instant la voiture de luxe.

– Tu te fous de moi ?

– Quoi ? Pourquoi ?

– Avec une bagnole pareille, tu voudrais me faire croire que tu préfères marcher ? demanda-t-elle en déverrouillant la porte d’entrée.

– Bah quoi ? Ça s’appelle être écolo !

– Hum… seulement de façon ponctuelle alors, conclut Jo en regardant le bolide.

– Ouais… J’étais venue te rendre ça, dit-elle en lui tendant la veste.

Jo s’empara du cuir et marmonna des remerciements qu’elle fut la seule à comprendre. Une fois à l’intérieur, elle se retourna une dernière fois en se déchaussant.

– Tu voulais autre chose ?

– Bah… j’avais pensé que tu m’inviterais à entrer, avoua-t-elle sans ciller. Tu sais, comme le ferait une personne normale dans ce genre de situation. T’as été sympa avec moi, j’ai été honnête en te ramenant ta veste et maintenant on a envie de faire plus ample connaissance. Qu’est-ce que t’en penses ?

– J’en pense qu’il faut que t’arrêtes les séries américaines. On n’est pas dans le monde des Bisounours et j’ai aucune raison de te laisser entrer. J’te connais pas et tu m’connais pas. Mais merci pour la veste, conclut-elle en refermant la porte.

- Attends ! s’exclama-t-elle en passant son pied dans l’encadrement. Je sais que tu t’appelles Jo et que demain, tu fais ta rentrée en Droit à Paris Dauphine. C’est un début, non ?

Surprise, Jo se ravisa et s’accouda au montant de la porte. Munie d’un sourire victorieux et d’une feuille qu’elle agita en l’air, Rose se laissa elle aussi tomber contre le cadre en bois.

– Et merde, soupira la blonde. C’est comme ça que tu m’as retrouvée ? Avec le formulaire d’inscription ?

– Tout juste ! La première fois, j’avais pas bien fouillé. Et j’ai mis du temps à trouver ta petite cachette.

– C’est pas une cachette, simplement une poche intérieure. Comme sur pas mal de veste…

– Ouais, bref, la coupa-t-elle. J’ai fini par me rendre compte que je n’avais pas exploré toutes les pistes et… me voilà !

– Super, félicitation. Et maintenant tu veux bien…

Avant qu’elle ne finisse sa phrase, le rugissement d’un moteur se fit entendre. L’imposante voiture de luxe libéra l’entrée pour laisser passer la berline familiale. Nora et Marc en descendirent, jetèrent un coup d’œil au monstrueux bolide et hochèrent la tête de concert. Visiblement, en plus de cette caisse de folie, Rose disposait d’un chauffeur. Excédée, Jo tapa contre la porte d’entrée.

– Merde, souffla-t-elle. Tu peux pas rester là, ma mère rentre tout juste du boulot et…

Mais elle coupa court à son explication. Plus rapides que la lumière, les parents étaient déjà à leur niveau et les dévisageaient en silence.

– Jo, tout va bien ? questionna Nora.

– Tout va bien maman. Rose allait partir, elle…

– Rose ? C’est une nouvelle amie ? s’empressa-t-elle de demander. Tu lui as proposé d’entrer au moins ?

– Pas encore, mais je suis certaine qu’elle s’apprêtait à me le proposer, ajouta Rose avec un large sourire.

Résignée, Jo leva les yeux au ciel avant de se décaler pour les laisser passer. Dans le sillon du petit groupe qui rejoignait la cuisine, un grognement lui échappa. Après avoir proposé une chaise à la punk, Nora lui servit un café et s’installa à son tour. Adossée au buffet, la blonde grommela dans sa barbe et secoua la tête lorsqu’ils lui proposèrent de se joindre à eux. Au bout d’un interminable quart d’heure, au cours duquel Jo se contenta d’observer la scène, Marc débarrassa la table et remplit le lave-vaisselle avant de s’éclipser dans le bureau.

– Bien ! Mesdemoiselles, le devoir m’appelle. Je vais devoir vous abandonner pour finaliser notre dernier projet, annonça Nora en rangeant les viennoiseries. On n’est pas loin, si vous avez besoin de quoi que ce soit n’hésitez pas ! Et Jo, s’il te plait, sois gentille et polie. D’accord ?

Pour toute réponse, l'adolescente acquiesça en reportant son attention au dehors. À présent seules, elle ouvrit la bouche pour la première fois depuis leur entrée dans la cuisine.

– Qu’est-ce qui te prend bordel ?

– Rien du tout. Je voulais simplement te remercier d’avoir été gentille avec moi. Y a rien de mal là-dedans, alors détends-toi.

– Je suis détendue !

– On dirait pas, reprit Rose en joignant ses mains sur la table. Et arrête de crier, tu vas ameuter tout le quartier.

Excédée, Jo souffla profondément. Cette fille avait raison. Brailler de la sorte juste à côté du bureau des parents n’était sans doute pas l’idée du siècle. D’un signe de tête elle lui intima de la suivre et la guida jusqu’à sa chambre. Là, elle claqua la porte derrière elle et reprit le fil de la discussion :

– Je comprends pas ce que tu me veux, déclara la blonde.

– Rien d’extraordinaire, juste te remercier d’avoir été sympa !

– Mais je t’en prie, ça m’a fait très plaisir de te filer ma veste et de prendre la flotte pour le reste de la journée ! Vraiment, ça m’a mis dans de bonnes dispositions. Satisfaite ? Maintenant tu peux partir tranquille, j’ai entendu tes remerciements.

– Ce que t’es rabat-joie comme fille ! La dernière fois t’avais l’air plus sympa, dit-elle en parcourant la chambre. Et ben… tu lis pas mal on dirait.

La punk s’arrêta devant le bureau, effleura la pile d’ouvrage et en saisit un au hasard. Elle le feuilleta, puis le reposa sous le regard acéré de Jo. Amusée, elle reprit son exploration et s’immobilisa à côté d’un carton posé au sol. D’un petit mouvement de pied, elle en écarta les rabats et haussa un sourcil.

– Une machine à écrire ? Sérieusement ? dit-elle en s’accroupissant pour l’observer de plus près.

– Eh ! On n’a pas gardé les cochons ensemble ! On t’a jamais expliqué que c’était impoli de fouiller dans les affaires des autres ?

Jo sentit une pointe de culpabilité l’envahir. Elle en était consciente, c'était l’hôpital qui se foutait clairement de la charité.

– Ça va, je la trouve cool, précisa Rose en sortant l’antiquité du carton.

Surprise, Jo hésita un instant avant de s’accroupir à son tour. Puis, lorsque la punk caressa délicatement la machine du bout des doigts, un sourire ourla ses lèvres

– Ouais… moi aussi, je le trouve géniale. J’hésitai à la garder.

– Y a pas à hésiter une seconde, c’est collector ce genre de truc !

– Hum… je sais, mais c’est pas à moi.

– À qui alors ? questionna Rose en vérifiant le ruban encreur.

– La mère des jumeaux… enfin, l’ex-femme de Marc quoi, s’empressa-t-elle d’ajouter devant son regard interrogateur.

– Bah quoi ? Elle est partie en la laissant. On peut supposer qu’elle en veut plus, non ?

– C’est pas si simple. Elle est morte.

– Ah… Ouais, du coup elle a pas dû emmener grand-chose, reprit Rose avec un demi-sourire.

– Attends, t’es vraiment en train de blaguer sur… ça ? s’insurgea la blonde.

– Oh, ça va ! J’déconne. Mais ça change rien. Elle va pourrir dans cette boîte au fond d’un placard si tu la gardes pas.

– T’as sûrement raison, sussura-t-elle en posant la machine à écrire sur son bureau. Et puis, si ça se trouve elle a écrit des pépites là-dessus.

Toujours concentrée sur l’objet, Rose ne releva pas et se contenta de hocher la tête.

– Bon ! s’exclama la punk. Il commence à se faire tard, j’vais te laisser tranquille.

– Pas trop tôt.

– Arrête ton char, j’suis sûre que je te manque déjà !

– C’est beau de rêver.

Un peu plus détendues, elles quittèrent la chambre pour regagner le rez-de-chaussée. Sur un dernier signe de tête, Rose enfila son manteau et lui tendit une carte de visite avant de s’élancer vers la voiture toujours sagement garée devant la maison. Incrédule, Jo regarda le petit bout de carton.

– Roseline Vanmacker…

Dans la cuisine, un bruit sourd lui fit relever la tête. Les assiettes dans une main et ce qu’il restait d’une pile de verres dans l’autre, Marc jurait comme un charretier.

– Et merde !... Deux mains gauches, quel con !

Livide, il ramassa les éclats jonchant le carrelage et mit le tout à la poubelle, avant de s’assoir et de fixer le plafond. Sans faire de vague Jo s’approcha, saisit la pile d’assiette et dressa la table en silence. Puis, elle s’arrêta quelques secondes et dévisagea son beau-père. Mauvaise journée ? Un problème avec la sortie du fameux système de vidéo protection au cœur de toutes leurs préoccupations du moment ? Vu son expression torturée, elle en aurait mis sa main à couper.

– Tu vas bien ? se risqua-t-elle en déposant le dernier couvert.

L’air de rien il se leva et la contourna, avant d’acquiescer d’un simple hochement de tête en fixant la carte de visite.

– Nouvelle copine ?...

– Pas vraiment, avoua-t-elle en saisissant le rectangle noir et doré. Une fille que je viens juste de rencontrer.

Un sourire confus sur les lèvres, Marc acquiesça une nouvelle fois avant de disparaître dans le sas d’entrée. Pensive, Jo rangea le petit carton dans sa poche et caressa au passage le métal froid et rassurant, pour finalement monter dans sa chambre en attendant l’heure du dîner.

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