Chapitre 3

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Au rez-de-chaussée, des éclats de voix retentirent. Étrangement, Jo n’aurait pas su dire si elle était soulagée ou effrayée à l'idée de fréquenter à nouveau la civilisation. Et pour preuve, un instant elle fut tentée de rester prostrée dans sa chambre. D'expérience, elle se savait peu douée dans les interactions sociales et il y avait de grandes chances pour que ça se termine, au pire en engueulade, et au mieux en silence pesant. Mais son flair la trompait rarement. Et sans un minimum d'effort, elle présagait l'imminente leçon de moral maternelle. Son choix fut donc vite fait ; les salutations d'usage dureraient sans doute moins longtemps que le sermon auquel elle aurait droit au retour de sa mère. Sans plus attendre, elle quitta donc son perchoir et se traîna jusqu'aux escaliers.

À l'image du reste de la maison, les larges marches en bois et le garde-corps en fer forgé rappelaient le haut standing de l'endroit. Sa descente aboutit sur une belle et imposante entrée où se côtoyaient lustre baroque à pampilles, commode en bois de rose minutieusement sculpté et parquet en chêne de qualité. Inondée d'une éblouissante lumière, elle eut l'impression de percevoir toute la beauté du lieu pour la première fois depuis son emménagement. Au pied des marches, Jo tomba nez à nez avec Gladys qui ravala un hoquet de surprise. À la réflexion, elle se dit qu’elle était peut-être entrée comme une furie dans son champ de vision.

– PUTAIN ! Mais c'est pas vrai ! s'égosilla la rousse en reculant.

– Ravie de te rencontrer également.

– Oh merde, tu m'as foutu les jetons !

Sa nouvelle sœur, une grande et jolie femme à l'allure élancée et à la chevelure rousse impeccablement ramenée en queue de cheval haute, s'éloigna pour l'observer un instant. Elle plissa son petit nez retroussé, mettant en valeur de discrètes taches de rousseur et de grands yeux verts. Mimiques appuyées et faciès expressif à souhait, une excellente actrice à coup sûr.

– T'es Johana, c'est ça ? l’interrogea-t-elle sourcils froncés.

– Jo. C'est juste Jo, corrigea-t-elle sèchement.

Estimant sans doute qu'on lui avait parlé d'elle, Gladys ne prit même pas le temps de se présenter et la gratifia d'un simple – Ouais ...- avant de tourner les talons pour rejoindre le salon.

– Enchantée de faire ta connaissance Jo !... susurra-t-elle ironiquement alors que Gladys avait déjà quitté l'entrée. Ca va, tu te plais ici ? Tu as passé de bonnes vacances, toute seule dans cette immense maison désespérément vide ? Je suis sûre qu'on va bien s'entendre toutes les...

Très impliquée dans sa conversation imaginaire avec Gladys, Jo pivota en direction de la cuisine avant d'être stoppée nette par deux iris noires. Bouche encore entrouverte, rapport à sa discussion avec elle-même, elle se figea quelques instants. Accoudé au passe-plat de la cusine, le jeune homme aperçu par la fenêtre un peu plus tôt l'observait lui aussi. Un grand gaillard la dépassant facilement d'une tête, et dont les cheveux blonds bouclés lui donnaient une allure de chérubin. À l’opposé son visage carré, ses prunelles profondément noires et sa paire de lunette confirmaient que la ressemblance avec l’angelot potelé s’arrêtait là. Un sourcil en l’air, Jo observait le blondinet au regard ténébreux.

– Salut moi c'est...

– Juste Jo ? coupa-t-il sans ciller.

– Ouais ... dit-elle en se renfrognant. Ethan ?

Le jeune homme acquiesça d’un simple signe de tête avant de se détourner et de reprendre ses activités dans la cuisine. Un long soupir lui échappa. Aussi aimable que sa sœur apparemment, ça s'annonçait bien ! Elle s'était finalement peut-être fait une montagne de pas grand chose. Les jumeaux avaient l'air aussi heureux qu’elle à l'idée de devoir se farcir une nouvelle famille. Ils n’avaient pas l'air pressés de faire sa connaissance et c’était réciproque. Jo verifia par la fenêtre que son ami n'allait pas débarquer d'une seconde à l'autre pour sauver cette journée qui s'annonçait éprouvante et, à défaut, tourna les talons.

Entre la garce, le psychopathe et le pitbull, les Ingalls peuvent aller se rhabiller ; on vient de leur voler la première place au classement des familles au top !

Quatre à quatre, elle monta les escaliers et claqua aussi fort que possible la porte de sa chambre. Au moins, la couleur était annoncée. Si quelqu'un avait le malheur de la déranger, ce serait à ses risques et périls. D'un pas lourd, la jeune femme se dirigea vers sa commode et empoigna quelques partitions avant de s'installer derrière sa batterie. Le moral dans les chaussettes, elle battit la mesure et entâma l'air de Black Betty pour se remettre du beaume au coeur. Mais rien n'y fit, et lorsque son regard s’égara sur l’agenda posé à côté de sa grosse caisse, son humeur dégringola un peu plus.

Lundi 29 août, 18h15 RDV docteur Franchot.

C’était reparti pour un tour. Forcément, sa petite escapade n’était pas passée inaperçue et elle en payait maintenant le prix. Agitée, Jo arpenta la chambre en long, en large et en travers, comme si un peu d’exercice pouvait l’aider à mieux supporter cette intérminable journée. Préoccupée, elle pesta contre Dan qui tardait à se montrer en faisant les cent pas. Elle passa devant le miroir une première fois, puis une seconde et s’arrêta au troisième aller-retour. À mi-mot, elle grogna une injure à l'encontre de la psyché. Jo maudissait ce truc, plus encore peut-être que les rendez-vous hebdomadaires chez son nouveau psychiatre au crâne dégarni et à l’air niais. Malgré tout, comme hypnotisée, elle s’avança un peu plus jusqu’à toucher la surface froide du bout des doigts.

Avec ses longs cheveux blonds relevés en chignon négligé, son teint pâle, ses yeux très clairs, son jean déchiré et son tee-shirt sans manche laissant entrevoir quelques uns de ses tatouages, elle détonnait avec le luxe environnant. Fébrile, Jo passa un index sur sa lèvre avant de tracer le contour de sa mâchoire. Un violent frisson la traversa, l’obligeant à baisser les yeux et à ravaler un sanglot. Les paupières closes, elle pivota sur le côté et saisit son tee-shirt d’une main tremblante. Tout doucement, comme si elle avait peur d’abîmer sa peau, la jeune femme releva le tissu. Nouveau frisson, nouvel échec. Elle déglutit difficilement et se concentra pour être sûre de ne pas craquer. Puis, après un dernier encouragement silencieux, Jo se décida enfin à regarder son reflet. Elles étaient aussi horribles que dans ses souvenirs, peut-être même plus laides encore. Pourtant, la cicatrisation s’était bien faite. Mais elles étaient là, et suffisaient à la replonger dans d'horribles souvenirs. À bout de nerfs, elle essuya une larme solitaire sur sa joue avant d'empoigner la première partition qui lui tomba sous la main et de prendre place derrière son instrument. S'occuper l'esprit restait encore le meilleur moyen de ne pas perdre pied. C'est bien connu, l'oisiveté est mère de tous les vices. Y compris celui de se lamenter sur son sort.

Un morceau, puis deux avant d'enchaîner le troisième. Heureusement pour elle, l'étendue de son répertoire lui permettait de combler le vide engourdissant de la maison durant plusieurs heures. Mais le concert fut de courte durée : la sonnette retentit sur la dernière note de Paranoïd.

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