Chapitre 1 - Le jour d’après (8)

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Samedi 18 juillet 1964, maison de Frédéric, Lausanne

Frédéric demanda à Koen :

— Quel vin désires-tu boire ?

— Je ne sais pas. Je n’y connais rien.

— Toi ? Tu ne connais pas tout ? Je te prêterai un traité d’œnologie.

— Je préférerais que tu me prêtes les livres de ton père, pour mon exposé.

— D’accord, je ne pense pas qu’il les lise souvent, mais rappelle-toi que nous sommes venus en train et que tu devras porter la valise.

— Monsieur, intervint Urbain, je pourrais vous reconduire à Grindelwald demain soir.

— Excellente idée, dit Koen, comme cela je pourrais en prendre plus.

Koen devait préparer un exposé, comme tous les élèves de son école. Alors que les autres parlaient surtout de leur pays natal, il avait choisi son thème de prédilection : les organes masculins de la reproduction. Il n’avait pas osé demander l’autorisation à la directrice de l’école qu’il trouvait réfrigérante et qui devait être frigide, il avait donc sondé Franz, ancien roi de lutte suisse, le fils de celle-ci qui s’occupait du bien-être des étudiants et contrôlait s’ils se lavaient bien la raie des fesses. Franz avait immédiatement accepté, enfin un exposé qui serait intéressant.

Frédéric descendit à la cave avec une lampe de poche, les centaines de bouteilles étaient bien classées et il trouva rapidement celle qu’il cherchait, tout en se demandant qui les boirait. Il la présenta à Koen :

— Regarde, il y a un zizi sur l’étiquette, rien que pour toi.

— Il est petit, et il est plein de poils.

— Au dos de l’étiquette il y a une image plus explicite que l’on verra lorsqu’on l’aura bue, je te laisserai la bouteille en souvenir. C’est un faune avec des jambes de bouc, le vin s’appelle Le Faune en Rut, cuvée spéciale pour les amis du vigneron, élevé au Château de Vincelard, pas loin d’ici. Le cépage est la mondeuse.

— Je vais l’ouvrir si vous permettez Monsieur, fit Urbain.

— Merci. Nous allons au club.

Le club était une pièce aménagée dans le style d’un club anglais. Les deux amis s’installèrent sur un canapé de cuir brun, le même où Frédéric et son père s’étaient fait des confidences deux semaines plus tôt. Ils avaient fait leur coming out. Frédéric avait même espéré un instant que son père coucherait avec lui et il avait été troublé.

Urbain servit le vin et s’assit dans un fauteuil. Ils trinquèrent.

— Puis-je vous demander quelque chose de personnel en relation avec votre rencontre avec mon père ? demanda Frédéric à Urbain.

— Certainement, mais je ne me réserve le droit de ne pas répondre.

— Vous m’avez dit l’avoir rencontré dans une villa de la Côte où des hommes se réunissaient pour partouzer.

— C’est exact.

— Pensez-vous que nous pourrions nous y rendre, Koen et moi ?

Urbain éclata de rire.

— Dans ce genre de cercles on n’entre que par cooptation. En fait je n’y suis jamais retourné, je ne voulais plus être payé pour avoir des relations sexuelles, tirer définitivement un trait sur le passé.

— Et mon père, il y va toujours ?

— Je ne devrais pas vous le dire, mais cela date de plusieurs années. Non, il a cessé d’y aller lorsqu’il a su qu’ils faisaient venir des prostitués. C’était contraire à son éthique. Pour lui le sexe doit être librement consenti.

— Je partage son avis, dit Frédéric. Allez-vous ailleurs maintenant ?

— Oui, je vais dans un château où le propriétaire a aménagé des pièces au sous-sol, je n’ai pas le droit de vous dire où il est. C’est un peu différent, c’est plutôt un lieu avec une ambiance spéciale. Il n’y a pas de portes, tout se fait à la vue des autres personnes présentes.

Urbain regarda la bouteille de vin et Frédéric comprit que c’était le château de Vincelard. Le vigneron étant un ami de son père, il supposa qu’Urbain n’y allait pas seul.

— J’aimerais bien visiter un tel lieu, fit Frédéric, savez-vous comment on fait pour être admis ?

— Tout d’abord, expliqua Urbain, ce n’est pas un endroit pour les voyeurs. Vous devez être prêts à participer, au moins à montrer votre queue, cela ne semble pas un problème chez vous d’être un peu exhibitionnistes.

— Nous avons pris l’habitude à notre école, il est fortement recommandé d'être à poil pour la toilette et la gymnastique.

— Il y a une période d’essai où l’on peut vous prier de quitter les lieux si votre comportement est inadéquat, sans qu’on vous oblige à accepter toutes les pratiques.

— Je comprends parfaitement.

— Ensuite il faut participer aux frais, ce qui ne semble pas être un problème non plus pour vous.

— Pour moi, c’en est un, dit Koen, jamais mon père me donnerait de l’argent pour ce genre d’activités.

— Pas de souci, dit Frédéric, je t’avancerai l’argent, tu me rembourseras en soignant ma prostate gratuitement lorsque je serai vieux.

— Je vous propose d’écrire des lettres de motivation et de les donner à un membre du comité.

— Vous en connaissez un ?

— Moi, par exemple. Le comité décidera si vous pouvez être invités pour un essai.

— Que doit-on écrire ? demanda Koen.

— Pas nécessaire de donner vos mensurations, ne vous attendez pas non plus que ce ne soient que des éphèbes qui fréquentent ces réunions. Certains sont des hommes mariés qui n’ont jamais osé parler de leur homosexualité. Mais je vais être honnête, à votre âge les chances d’être acceptés sont très élevées. Nous aimons bien la chair fraîche.

Urbain remplit les verres.

— Que fait-on exactement dans ces salles ? demanda Koen.

— Chacun y fait ce qu’il veut, je pourrais vous donner un aperçu, cela me permettrait de voir vos dispositions et de donner un avis favorable au comité.

— Qu’en penses-tu, Frédéric ?

— Tu fais comme tu veux, Koen, renonce si tu n’es pas prêt. Je n’irai pas sans toi dans ce château et nous fixerons des limites.

— C’est évident, dit Urbain, chacun fixe ses limites. La règle veut qu’on demande chaque fois. Nous avons quelques couples, c’est à eux de décider s’ils restent ensemble ou s’ils vont chacun de leur côté.

Koen hésitait, ils décidèrent de terminer d’abord la bouteille. La curiosité l’emporta, le Néerlandais accepta qu’Urbain lui donnât un aperçu. Il devait passer à une étape supérieure et ne pas se contenter de faire des statistiques.

— Excellent, fit Urbain, je vais aller chercher du matériel dans la voiture. En attendant, Monsieur Koen, vous pouvez vous déshabiller tout en gardant votre slip et vous coucher sur le canapé. Je vous propose de l’edging, c’est ma spécialité.

Le chauffeur sortit du club.

— C’est quoi de l’edging ? questionna Koen.

— Je n’en sais rien, dit Frédéric, je pensais que c’était toi le pénisologue.

— Il va chercher le matériel dans sa voiture personnelle ou celle de ton père ?

— Bonne question, ne sois pas trop curieux.

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