_1, Instants de bonheur

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Quand la joie fait son retour, tout semble plus léger.

Nous sommes mercredi et je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.

Quand je suis rentrée chez moi, samedi après-midi, j'étais comme dans un état second. Je me sentais bien, confiante, limite heureuse. C'est quand j'ai passé le seuil de mon appartement que la réalité m'a rattrapée. Lou m'a sautée au cou en me disant qu'elle s'inquiétait. J'ai ouvert ma bouche pour lui répondre que tout allait bien puis d'un coup ces mots, si facilement formulés dans mon esprit, se sont arrêtés net dans ma gorge. Rien ne sortait. Lou s'est d'autant plus inquiétée. Elle m'a secouée, m'a appelée, m'a emmenée m'asseoire sur le canapé mais ça ne servait à rien. J'étais tout à fait consciente. Je n'étais ni en train de bugguer, ni en train de m'évanouir, je venais juste de me rendre compte que j'avais discuté avec un mec, que j'avais accepté qu'il me raccompagne et que par-dessus tout, il m'avait donné un deuxième rendez-vous et j'avais accepté avec joie ! C'était contraire à tout ce que j'avais fait jusque-là, contraire à mes valeurs, à mes idées et à mes compétences. A partir de ce moment, je suis devenue un zombie. Me levant peu de mon lit, je ne suis ni allée à la librairie, ni chez la psy. Ma soeur s'inquiétait atrocement pour moi mais avait dû retourner à la ville rose où ses études l'attendaient.

Nous sommes donc mercredi et mon dilemme est le même depuis cinq jours : "Je fais quoi ?". La moi raisonnable et introvertie me répète en boucle de ne pas aller au rendez-vous. La moi irraisonnable et introvertie va encore plus loin en m'incitant à ne pas bouger du lit du tout. Et la moi nouvelle et rebelle insiste pour que j'aille à la librairie car je n'ai, visiblement, plus grand-chose à perdre alors qu'Evan arrive par miracle à me mettre à l'aise. Et j'ai, c'est vrai, l'envie irrépressible d'aller le trouver à la librairie. Mais j'ai également, je l'avoue, une affreuse trouille de ce qui pourrait se passer dans le monde des "Et si...". Or, je ne vis qu'avec des "Et si..." ! Sur mon réveil, je vois les minutes défiler. Mon coeur bat un peu plus vite à chaque fois. A treize heures je prends la décision de me lever pour manger un peu et prendre une douche. Je tourne en rond dans mon appartement, comme un fauve dans sa cage. Je m'assois sur le canapé, allume la télé, mais le bruit ne fait que me stresser davantage. Je l'éteins, fais le tour de la cuisine, me rallonge dans mon lit. Mais je ne tiens plus en place. Dans la salle de bain je me recoiffe, puis je me prends à tout nettoyer de fond en comble. J'ai besoin d'occuper mes mains et mon esprit. Je continue ainsi jusqu'à voir l'heure sur mon réveil, en passant un coup de chiffon sur la table de chevet. Quinze heures dix passé. Mon estomac se tord. L'évidence est là : je ne peux pas ne pas y aller. J'enfile ma veste en vitesse et me rue dehors. Sur les trottoirs, je cours presque. J'arrive à la librairie en un temps record, un peu moins de cinq minutes. Je m'avance vers la porte quand je vois Evan en sortir. Il croise mon regard et son visage s'illumine d'un sourire. Il s'avance vers moi, se penche pour me faire la bise puis se ravise. Il me salue d'un simple geste de la main.

- J'ai cru que tu ne viendrais pas. J'ai eu peur d'avoir mal agi la dernière fois.

Je voudrais lui répondre que ce n'était pas ça du tout mais je suis trop essouflée. Il doit le remarquer.

- Tu veux aller dans un coin plus calme ? Tu es à bout de souffle.

- Non, non, ça va. J'ai juste un peu couru.

Il me sourit et je me sens tout de suite mieux. Evan propose de retourner dans la librairie. Quand Maëlle nous voit rentrer elle affiche un air surpris qu'elle efface aussitôt. J'aime qu'elle ne s'immice pas dans la vie des autres à longueur de temps comme d'autres le font : elle se contente d'attendre patiemment que les réponses arrivent d'elles-même, qualité que je vénère.

Je suis de retour chez moi, légère et apaisée. Dans la bibliothèque, Evan a beaucoup parlé et a ma grande surprise, moi aussi. Même quand mes mots se mélangeaient, quand ma voix me faisait défaut, il m'écoutait avec attention. Jamais il ne me jugeait ni me méprisait pour ce que je pensais. Même quand j'exprimais ma colère envers tout le monde. Il me laissait parler, donnait son avis, son point de vue sans jamais me l'imposer. Au contraire. J'ai remarqué durant ces deux heures qu'il aimait provoquer les débats, défendre ses points de vue et comprendre ceux des autres. Il m'a ensuite raccompagné chez moi et salué d'un doux regard. Une fois seule, je me suis étendue sur mon lit avec un long soupire de bonheur.

Je regarde mon plafond gris, un sourire accroché aux lèvres. Je profite de cet instant de joie, si agréable et rare, car je sais que bientôt, mon esprit va se réactiver et avec ça la crainte du lendemain.

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