_8, Lou, ma sœur

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Ne me lancez pas de défi, vous serez étonnés mais je pourrais avoir le culot de vouloir les relever.

Les grasses matinées me manquent. Ces jours que l'on ne voit pas passer parce qu'on s'est levé à midi, l'aube qu'on ne voit jamais, huit heures qui n'existe pas... Mais moi, même si je n'ai rien à faire de mes journées, je me réveille toujours, au mieux, à neuf heures. Je ne prends jamais le temps de me prélasser au lit, malgré mon envie, car les images de mes cauchemars me hantent. Si je ne me change pas les idées, elles s'accrochent à moi toute la journée.

Je passe silencieusement la tête par la porte de la chambre de ma soeur. Elle dort toujours à poings fermés. Je me remplis une tasse de lait, une cuillère de chocolat et prends deux biscuits. Je parcours mon petit salon des yeux. Tout est triste ici. Les vieux murs dénudés, le petit canapé rouge délavé, la petite table d'exterieur et ses quatres chaises qui trône, seule, près de la cuisinière. Les vieux placards beiges, qui n'ont pas été huilés depuis des lustres, ont au moins le mérite d'imiter Chewbaca qui crie quand on les ouvre. Mon évier où traînent autant d'assiettes que d'éponges en miettes. Comment ne peut-on pas être dépressif en vivant ici ? Je m'approche de mon calendrier pour m'assurer que je n'ai aucun rendez-vous médical quand je me rend compte du jour qu'il était. Samedi. Mon ventre se sert, je n'ai plus faim. La lettre d'Evan me rattrape, mon rythme cardiaque s'accelère. Seize heures, à la librairie, faire comme si...

J'entends ma soeur crier, je vois flou, j'ai l'impression d'être du coton. Elle me secoue, je reprends peu à peu possession de mes sens. Je suis par terre, alongée près du mur. Mon calendrier n'est pas loin. Ma tasse est renversée sur le sol et le lait forme une petite oréole tout autour. Tant pis, de toute manière je n'en voulais plus. Lou me prend par les épaules et me relève, elle semble plus en colère qu'inquiète. Elle me demande ce que j'ai, ce qui s'est passé. Je ne lui répond pas. Mes cordes vocales se sont fait la malle, mon cerveau est en surchauffe et ma langue en panne. Elle m'allonge sur le canapé, je me sens aussitôt sombrer dans le noir étouffant du sommeil. Je ne peux pas me battre, je le sais, alors je me laisse me faire avaler par cette océan glacial.

***

Je me réveille tout doucement. J'entends d'abord le bruit de la télévision puis la respiration de ma soeur. L'odeur de son eau florale vient chatouiller mes narines. J'ouvre un oeil, puis l'autre, je profite, prends mon temps. J'étire mes membres et m'assoie. Lou me regarde, prend ma main dans la sienne, puis me demande doucement :

- Tu vas comment ?

Je hausse les épaules, Oh, je vais très bien, c'est pour ça que je me suis jetée d'un pont, que je viens de faire un malaise, et que tu es chez moi !. Je me mets sur mes jambes, vacille un peu, mais c'est mieux que ce que j'imaginais.

- Tu devais avoir besoin de te reposer, il est presque seize heures ! Tu dors combien de temps ?

Non, pardon, mes jambes vont céder en fait.

- Oulà ! Tu ferais mieux de t'asseoir, tu vas tomber. Qu'est-ce que tu as ? Tu as besoin de quoi ?

Je la regarde et retient un rire amer. Ce que j'ai ? C'était il y a longtemps qu'il fallait me le demander, s'inquiéter. Le mal est fait depuis plusieurs années. De toi, de ma famille, c'était avant que j'avais besoin de vous, c'est trop tard. Mais merci quand même !

- Mais répond-moi ! Tu ne vois pas tout le mal qu'on se donne ? On se débrouille pour que tu aies quelqu'un avec toi le plus souvent possible, on fait des efforts pour pouvoir venir jusqu'ici. Toi aussi tu dois en faire, répond-moi, parle-moi ! Pourquoi tu te tais ? Pourquoi ce silence ? Allez, bouge, fais quelque chose ! Défends-toi !

- STOP !!!

Ca m'a échappé. Je n'y tenais plus, c'était trop.

- Vous ne faites que la nourrice, vous êtes là pour vous donner bonne concience, comme ça, si je recommence, vous n'aurez qu'à vous dire que vous aviez fait ce que vous pouviez, je marmonne.

- Quoi ? Tu sais très bien que c'est faux ! On tient à toi.

- Alors pourquoi vous ne m'avez pas aidé quand j'en avais besoin ?

- Tu ne nous a jamais vraiment parlé, comment voulais-tu qu'on sache ?

- Vous ne m'avez jamais écouté !

- Nous l'aurions fait ! Arrête de rejeter la faute sur les autres, on essaie de te parler sans cesse. Tu es la seule fautive, la seule à blâmer. Tu as choisi toi, et toi seule de te taire.

C'était faux. Ca ne pouvait pas être vrai. Ils m'ont tous poussée à bout, et aucun ne m'a aidé. Je n'y étais pour rien, je n'ai jamais choisi moi. Ils pouvaient m'aider. Alors je marmonne, juste pour moi :

- Evan, lui, il m'écoute.

Mais elle l'a entendu.

- Qui ça ?

- ...

- C'est qui Evan ? Quoi, tu es silencieuse de nouveau ?

- ...

- Mais merde ! Parle ! Comment tu veux qu'Evan t'écoute si tu ne lui parles pas ! Tu en es juste incapable !

La différence entre lui et toi c'est que je n'ai pas à dire des mots à haute voix pour qu'il m'écoute et me comprenne. Et je vais te prouver que je suis capable de lui parler.

C'est ce que j'aurais aimé lui dire, mais je n'en étais pas capable. À la place, je suis partie. J'ai pris mes clés, mon porte-monnaie et la porte. Enfin, je l'ai claquée. Je suis sortie de l'immeuble, ai retenu mes larmes, et me suis dirigée vers la librairie.

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