_3, livre

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C'est ainsi qu'on comprend qui tenait vraiment à soi et qui n'était là que par convention.

Ce week-end, c'était mon cousin, Mattyas, qui était venu me rendre visite. Il était resté collé sur son téléphone non stop, ce qui ne me dérangeait pas. De mon côté, je n'avais pas cessé d'écrire. Nous avions eu si peu d'échanges que c'était comme si nous n'étions pas dans le même appartement.

Avant, nous étions très proches. Nous n'avions que deux ans d'écart et chaque vacance, il fallait que nos parents prévoient un moment où l'on se verrait. Je l'avais toujours considéré comme un frère, au même titre que ma soeur. Mais comme tous les autres, alors que je pensais qu'il n'en serait jamais capable, il m'avait laissée tomber. Il habitait dans un autre arrondissement de Paris, mais il venait aussi souvent que s'il habitait le Canada. Autrefois, nous avions convenu que nous habiterions ensemble. Décidément, j'étais bien naïve. Il était parti lundi midi après m'avoir demandé si j'avais encore besoin de lui. Je ne lui avais pas répondu, la gorge nouée, et il s'en était allé.

J'hésite à me rendre à la librairie. Je me fais plein de scénarios et je sens que je perds, une fois de plus, le contrôle de mon coeur. Si au moins, au lieu de battre plus vite, il pouvait s'arrêter... Je regarde ma bibliothèque et les piles de livres que je ne pourrai jamais ranger à cause du manque de place. Si je n'y vais pas, je me sentirais trop mal. Il me faut un nouveau livre à lire.

J'arrive à la librairie tendue. Il y a une grande foule dans les rues cet après-midi. Je rentre et me sens tout de suite plus légère. Dans mon rayon, il n'y a personne. Je me mets à parcourir les étages. J'ai déjà lu beaucoup de ces livres, mais Maëlle renouvelle autant qu'elle peut ses stocks. Je feuillette, j'ouvre au hasard des bouquins. Entre deux résumés je lis un dernier paragraphe. Pour moi, la dernière phrase d'un livre est mieux qu'un résumé, si elle est bien, je suis certaine que le reste aussi.

Déjà deux heures passées dans le rayon. J'entends alors un bruit derrière moi : on se gratte la gorge. Je me pétrifie. Chaque fois que j'ai entendu quelqu'un s'éclaircir la gorge, on me faisait un reproche : « Tu m'écoutes ? Je te parle là ! », « Qu'est-ce que tu peux être bizarre ! », « Oh, ne te sens surtout pas concernée...».

Je tourne discrètement la tête et aperçois l'homme de la semaine dernière. Ça y est, je sens ma veine taper contre ma tempe. Un livre dans les mains, il me dit :

_ Je, J'ai parlé avec Maëlle de... de toi et heu...

Il bredouille, butte sur les mots, ce qui me donne l'impression qu'il s'adresse à un extraterrestre.

_ Je suis vraiment désolé pour la dernière fois et je... tiens, voici un livre pour toi.

Il me tend le bouquin. Mes yeux font des aller-retours entre lui et le livre. L'homme se pince les lèvres puis pose délicatement l'objet à côté de lui, sur une étagère. Il me fait un petit signe de main maladroit et s'en va.

Je reste figée quelque temps avant de m'approcher et de me saisir du livre. La couverture est intrigante. Je pourrais le laisser là mais je n'en fais rien. Je me dirige vers la sortie en le serrant contre moi. Quand je passe devant Maëlle, je ne la regarde pas. Que pense-t-elle ? Je sens cette maudite culpabilité qui me suberge pour rien : je dois bien être la seule à m'inquiéter de l'avis d'un libraire quand on sort de son magasin sans n'avoir rien acheté.

Dehors, la foule, le brouhaha, me submerge. Mais je serre le livre fort, fort, fort, contre ma poitrine et j'avance.

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