_2, nouvelle consigne

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Hypersensible, dépressive, sociopathe... tout ces noms me sont attribués et sont gravés sur chaque papier. Mais « Humaine » , avant tout, est toujours oublié.

Je suis chez moi, dans mon lit, seule, à regarder le plafond. Mon coeur ne s'est toujours pas calmé. Il y a une heure, un jeune homme m'a interpellé dans la librairie. J'étais pétrifiée. Son regard était doux, mais, incapable de lui répondre, je me sentais ridicule. Heureusement, Maëlle est venue à ma rescousse : elle a pris mon porte-monnaie des mains de l'inconnu, l'a remercié puis m'a tirée le bras vers la caisse. Je tremblais de tout mon être tant et si bien que l'on aurait dit qu'un séisme me parcourait. Je pouvais craquer à tout moment. En sentant son regard appuyé sur moi, trop de souvenirs des années passées avaient reflué dans ma tête. Ma vue avait alors commencé à se brouiller. La libraire a vite encaissé mon livre et je me suis sauvée par la porte. Au pied de mon appartement, je me suis écroulée. Il est vrai que ç'aurait pu être pire comme de m'effondrer en plein milieu de la rue mais quand j'explose, je n'ai plus aucun contrôle sur moi et je déteste ça. Il m'a fallu plus de dix minutes avant d'être assez calme pour remonter chez moi. Après les pleurs, la colère : je me suis énervée contre moi-même et contre mon incapacité à parler, ce qui ne servait à rien. Me culpabiliser ne fais qu'empirer la situation. Mais à chaque fois que je me sens si démunie, différente et incompétante je deviens plus méfiante et renfermée. Je me fais de moins en moins confiance. C'est un cercle vicieux que je ne sais briser mais qui, lui, parvient à me briser, moi.

Il sonne vingt heures. Je me relève et me dirige vers la cuisine pour me réchauffer un plat que ma mère m'a laissé. Je mange sans faim et entame mon nouveau livre, La nuit des temps, au titre duquel je n'avais pas fait attention. Après avoir fini mon repas, je m'enferme dans ma chambre, m'enfouis sous la couverture de mon lit et m'endors la tête dans les pages du livre.

Comme toujours, ma nuit est remplie de cauchemars. Tous mes mauvais souvenirs affluent de nouveau dans ma tête, me submergent et me font frémir. Ponctuelle, je me réveille à chaque fois en sursaut à sept heures pile. Nous sommes mardi et j'ai rendez-vous chez ma psychologue. Après avoir grignoté un biscuit, je passe à la douche. C'est un moment toujours désagréable à mes yeux car je suis obligée de constater que mon corps est toujours aussi vivant que la fois d'avant, marqué de plusieurs cicatrices.

Pour me rendre à mon rendez-vous, je dois prendre le métro. J'ai de la chance, ma ligne n'est pas trop remplie à cette heure-là. Je me faufile, tête baissée, entre les gens. Repliée sur moi-même, sur un siège en miettes, j'essaie de calmer mon coeur. La tête appuyée contre la vitre, je compte les arrêts et me laisse bercer par les vibrations de la machine. Les gens entrent et sortent, sans vraiment me prêter attention, mais à chaque seconde j'ai l'impression que l'on m'observe d'un mauvais oeil. Quand il s'arrête pour la troisième fois, je fuis ce tumulte infernal.

Le bureau se trouve à la sortie du métro. Madame Saenger, ou Sophie, est une vieille femme aux traits tirés par l'âge et très élégante. J'entre dans sa salle et une odeur de menthe fraîche vient m'agresser le nez comme à chaque fois. Elle me demande gentiment de m'asseoir et commence à me demander comment je vais, mes ressentis, les possibles améliorations... Elle fait de grands gestes, de grands sourires et utilise de grands mots. Je l'écoute rarement, préférant m'évader en rêvant sur l'une des images de paysages accrochées sur le mur blanc. Je lui réponds encore moins souvent, surtout par esprit de contradiction. En soi, ce qu'elle dit est généralement intéressant, sauf que je n'aurais jamais dû être là à l'écouter mais six pieds sous terre. Seulement, cette fois, je décide de lui parler de l'incident d'hier. Après une grande inspiration et un gros effort de concentration, je trouve le courage de lui parler. Je parle vite, je le sais. Mes mots tombent en cascade de ma bouche, emmêlés les uns dans les autres. Parfois, cela provoque des noeuds bien trop gros et le flot s'arrête, bloqué dans ma gorge. Après quelques minutes laborieuses, je termine mon récit. Madame Saenger me tend un verre et me sourit tendrement. J'imagine qu'elle va me réconforter et me dire que l'échec est la meilleure façon d'apprendre, comme elle me le répète souvent. Mais jamais, au grand jamais, je ne me serais attendue à ce qu'elle me dise :

- Emilie, tu ne sais toujours pas t'exprimer et tu refuses de te laisser aider. Quand tu te retrouves dans des situations pareilles tu stresses et tout ce que j'ai fais jusque là part aux oubliettes. Tu as pensé à faire un exercice de réspiration pour reprendre le contrôle ?

Devant mon silence, elle enchaîne.

- Je te donne des astuces, des techniques pour être plus à l'aise en public mais tu ne les utilises pas. Ca n'est pas encore un reflexe. C'est normal mais après ces années, as-tu fais un quelconque effort ? Tu n'es pas encore prête à avoir une discussion normale, tu le sais aussi bien que moi, mais tu ne veux pas aller mieux. J'ai besoin que tu acceptes mes conseils pour t'améliorer, Emilie. Je sais que tu ne vas pas être d'accord mais évite de retourner dans cette librairie car la foule ne te convient pas. Vas-y moins souvent. Applique-toi plutôt à faire des exercices de diction, appelle ta famille, tes amis, comme je te l'ai appris. Applique ce que je t'ai appris avec eux. Tu ne supportes pas les regards des autres, il est trop tôt. Il faut y aller petit à petit. S'il te plaît, fais un effort, accepte ce que je te dis, et tu verras que se sera plus facile. Tu dois te réhabituer à discuter, et c'est avec tes proches que c'est le plus facile.

Tout l'espoir, les quelques miettes de confiance que j'avais trouvées et regroupées se désintègrent en quelques instants. Je me sens nulle, abattue, comme à chaque fois, et les larmes me montent aux yeux. Je sens les murs se rapprocher et je commence à étouffer. La pression devient trop forte et devant le regard presque lassé de ma psychologue, je me lève et pars aussitôt. Son discours, totalement incorrect, était tout sauf ce dont j'avais besoin d'entendre. Enfin, elle sait bien que je n'ai aucun ami ! Et elle me demande de rester à l'écart des gens, alors que je dois prendre le métro pour aller la voir ? Je suis peut-être folle, mais pas idiote. Lundi prochain, je retournerai à la librairie, dans mon rayon, et peu importe les conséquences.

Non, je ne veux pas avancer. Je dirais même que je veux reculer.

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