Inachevé

de Image de profil de Vali VretteVali Vrette

Avec le soutien de  korinne, Symph', 6_LN, Enigma 
Apprécié par 4 lecteurs
Image de couverture de Inachevé

La galerie, n'a jamais été aussi calme, pas un seul client depuis plusieurs jours. Je commence à trouver le temps long, alors je m'investis à fond dans la création, par chance mon inspiration est intacte et les idées se bousculent dans ma tête.

Satisfait de mon dernier tableau presque achevé, je m'accorde une pause et me dirige vers ma kitchenette pour me servir une tasse de café, la énième de la journée.

J'ai besoin de ces petites pauses, elles me permettent de nettoyer mon regard. Après des heures le nez posé sur mes toiles, mes yeux ont besoin d'un "reset" de quelques minutes, me permettant de mieux revenir au cœur de mon œuvre.

Mon café chaud en main, je m'installe de manière rituelle devant la vitrine et observe la foule bruyante sur Bourbon Street. J'ai entrouvert les fenêtres pour mieux m'imprégner de l'ambiance, ça chante, ça crie, cette rue est un concentré de bonne humeur. J'esquisse un sourire au moment même où je la vois.

La démarche féline, elle approche doucement sa main de la poignée et pousse la porte. Sans mot dire, ni même un salut, elle pénètre dans mon univers, s'attarde sur chacun de mes tableaux pendant de longues minutes. Cette scène est érotique, je la vis au ralenti, tous ses gestes sont sensuels et jamais, je n'ai ressenti un tel désir.

Après plusieurs minutes elle finit par venir à moi et me sollicite de la plus belle des manières avec son accent Français d'une douceur inouïe.

- Andrew ? Bonjour, je recherche un artiste pour une œuvre un peu particulière. Je voudrais offrir un nu à mon mari pour notre anniversaire. Le prix n'est pas un souci mais les délais sont très courts, je souhaiterais qu'il soit réalisé sous dix jours.

Elle parle vite, sa requête est tellement directe, que j'en reste sans voix. Après un long silence de contemplation je réussis à aller droit à l'essentiel :

- Excusez-moi Madame, donc vous souhaitez que je vous peigne nue. Euh, j'ai suffisamment de temps actuellement pour que ce soit réalisable mais pour le prix je...

- Si je vous donne deux mille dollars, pensez-vous que cela suffirait ? Je connais votre travail, je me suis renseignée sur votre sérieux, je ne suis pas là par hasard.

- Très bien, quelles sont vos disponibilités ?

- Je souhaiterais commencer au plus vite si possible.

- Demain, dix heures ici même .

- Parfait, je vous laisse ma carte. N'hésitez pas à me contacter si nécessaire.

Je regarde la carte, et m'attarde sur son prénom écrit en lettre d'or, Lys.


C'est à partir de là que je perds le contrôle.

Après d'interminables heures à regarder dans le moindre détail son corps sans faille, le tableau est terminé. Je n'ai jamais ressenti une telle fierté devant le travail accompli, les couleurs sont vives et éclatantes, son regard est profond, j'ai la prétention de croire que j'ai sublimé l'original.

Malgré mon travail terminé, nous continuons à nous voir régulièrement, nous vivons une relation charnelle, sans ombre au tableau. Je connais la contrainte, et m'en accommode car à ce moment-là j'ai le sentiment qu'elle est ma muse. Nous nous couvrons de mots d'amour et de promesses d'éternité, tout est si beau. Notre relation nous a dépassés, très vite nous sommes devenus amants, faisant l'amour de manière exaltée plusieurs fois par jour. Chacun de ces moments restera à jamais gravé dans mes sens.

Mais les mois passant, la pureté de notre relation laisse place à la soumission. Je m'enfonce dans la dépendance, un coin d'œil toujours posé sur mon téléphone pour ne jamais louper un de ses appels, me rendre dispo à toute heure pour la voir. Je fantasme la vie que nous pourrions avoir tout en sachant que nous ne l'aurons pas.

Je ne dors plus, ne mange plus, et ne respire que quand elle est près de moi. Ses visites s'espacent, prétextant les doutes de son mari, les appels se sont transformés en SMS ou elle m'envoie uniquement l'heure à laquelle elle veut qu’ on se voit.

Elle ne me parle plus, écourte ses visites à ses simples orgasmes. Et moi je cours après une relation passée essayant de retrouver les moments de complicité.

Comment une relation peut me nuire tant, je n'arrive plus à vivre pour moi, tout tourne autour d'elle. Malheureusement l'inverse n'est pas vrai.

Je m'enfonce profondément dans un quotidien centré sur elle, un quotidien rythmé par l'anxiété, ou la peur de la perdre devient mon élément moteur. Un quotidien de merde, ou je n'existe qu'à travers elle.

Naturellement, vient le tour d'autres dépendances, des addictions qui me tirent vers le bas, c'est l'engrenage, je peins de moins en moins, bois de plus en plus. Lys est de plus en plus impérieuse et je suis totalement perdu.

Parfois c'est très bizarre, mais le simple fait de la voir me donne envie de vomir, je n'arrive pas à me l'expliquer, mon corps réagit à la douleur que j'éprouve quand je suis près d'elle, mais mon cerveau et mon cœur n'en n'ont cure.

Je m'engage volontairement dans une relation vouée à ma souffrance, conscient des conséquences.

C'est à partir de là que ma vie bascule.

Les mois passent, les années passent, et nous en sommes toujours au même point, à un détail prés:

Je vais quitter Lys.

Ma lente destruction arrive à son terme, pour mieux reconstruire ma nouvelle vie.

Dans toute cette lente dérive, mes nombreuses addictions m'ont mené en cure, j'ai eu de la chance de tomber sur un juge compréhensif. Là-bas, j'ai entrepris un travail sur moi avec l'aide de psychothérapeutes, j'ai mis des mots sur cette relation toxique. Je n'en veux pas à Lys car je suis peut-être le plus fautif de nous deux.

Il s'est passé 2 ans depuis le jour où elle a franchi la porte de ma galerie, de mon ancienne galerie devrais-je dire. J'ai tout perdu, je ne peins plus, je repense avec nostalgie à mon rêve de pouvoir vivre de mon art. Je loge toujours dans mon atelier attenant à ma galerie et ce soir il est prévu qu'elle m'y rejoigne.

Je ne l'ai pas vu depuis 3 mois, mais elle m' a promis de m'attendre, quelle ironie n'est-ce pas ? Elle qui dort avec un autre homme.

Je suis très détaché, il en va de ma survie.

Aujourd'hui, j'ai réussi à peindre, cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas touché un pinceau. Un paysage, peut être mon futur lieu de vie qui sait ? le symbole de ma renaissance. J'apporte quelques petits coups de pinceaux sur le tableau inachevé, quand le carillon m'annonce son arrivée. D'un geste rapide, je jette mes pinceaux dans mon pot de white spirit, et couvre mon œuvre, je ne veux pas qu'elle la voit.

Je me retourne avec lenteur, elle est si belle.

Je la regarde dénouer la ceinture de son manteau et la sais nue dessous. Je devrais l'interrompre.

- Lys, je ne veux plus qu'on se voit. Jamais.

- Tu es à moi Andrew.

- Je vais partir, recommencer ailleurs, me reconstruire. Je suis détruit Lys, et notre relation ne nous mènera jamais nulle part, je suis tombé si bas qu'il me faudra des années avant de reprendre un vie normale. Je t'ai tellement aimé d'une manière absolue, mais je ne souhaite plus continuer.

Je n'obtiendrai aucun mot supplémentaire, elle me fixe le regard noir, je crois y voir de la colère.

D'un geste lent, elle saisit le pot où trempent mes pinceaux, et me le jette au visage. Le liquide qu'il contient me brûle les yeux puis ruissèle sur mon tee-shirt . Je ne vois plus rien, m'écroule sur le tapis. J'entends le bruit familier de mon briquet Zippo qui traîne toujours sur l'atelier, et sens une vague d'intense chaleur parcourir mon dos.

Je n'ai pas mal, bizarrement j'ai froid alors que je suis littéralement en feu. Au loin, je distingue une simple et unique phrase d'adieu:

" Tu es à moi Andrew".

Tous droits réservés
1 chapitre de 6 minutes
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Table des matières

En réponse au défi

"Bradbury déconfiné"- Semaine 16 ( 27 juillet au 2 août 2020)

Lancé par Symph'

Votre mission, si vous l'acceptez, consistera à écrire une nouvelle par semaine jusqu'au 12 avril 2021 (pas à ressortir des textes de vos tiroirs, hein.)

- Écrire une courte nouvelle (à chute si possible) de 5 minutes de lecture maximum.

- Sujet libre.

- Publication au plus tard dimanche à minuit.

C'est un exercice d'écriture enrichissant, pas facile mais formateur, et où l'esprit d'équipe est un puissant moteur, cela implique donc d'aller se lire les uns les autres :)

Voilà comment procéder :

- Chaque dimanche un défi sera lancer (vu qu'on ne peut en lancer que 3 par mois, on le fera à tour de rôle en gardant le même titre, et en modifiant le n° de la semaine, afin de le trouver facilement.)

- Chacun des participants accepte le défi et dans sa réponse met un lien sur le chapitre de l'oeuvre créer dans son profil pour le Bradbury déconfiné ou met un lien dans les commentaires du défi.

Le but est de ne rien lâcher et d'arriver au bout, mais le plus important est de participer, donc n'ayez pas peur ;))

Pour lancer un défi merci de vous signaler ici :

https://www.scribay.com/talks/19022/partant-pour-un-bradbury-jusqu-a-la-liberation--#comment_134844%22

(discussion à l'origine de ce challenge commencé pendant le confinement :)

Hop, hop, hop c'est parti ! à vos claviers ! :)

Commentaires & Discussions

InachevéChapitre4 messages | 3 ans

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