Chapitre 3

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Rise - State of Mine

Alec

Ça fait maintenant un mois qu’on a emménagé à Portland. Ma mère commence déjà à avoir une petite clientèle pour ses poteries. Elle expose également dans une boutique locale où se sont regroupés plusieurs artisans. Un restaurateur a même passé une énorme commande pour la vaisselle de ses deux établissements. En ce moment, elle est donc plus que débordée, mais tellement vivante. Voir ma mère si épanouie me fait pleinement plaisir. Ce déménagement en urgence a été plus que bénéfique pour elle comme pour moi. Nos relations n’ont jamais été si sereines et nous recommençons à retrouver notre complicité d’avant.

De mon côté, au lycée, ça se passe nickel. Je ne traîne qu’avec Wyatt, je n’ai pas besoin d’avoir un grand groupe de potes. On s’est découvert énormément de points communs tous les deux, musiques, fringues, jeux vidéos. Du coup, je passe beaucoup de temps avec lui quand il n’est pas avec Betty. J’ai d’ailleurs demandé à cette dernière pourquoi Hailey avait réagi comme ça lors de l’attaque de Leean, mais en amie fidèle elle n’a pas voulu me divulguer leur secret. Même Wyatt ne sait pas ce qu’il s’est passé, à part que c'est tendu entre elles deux depuis des années. Ouais et bien ça j’aurais pu le deviner tout seul !

J’entre dans la classe d’art et comme à son habitude Hailey est au fond, seule. Je remarque qu’elle a détourné le regard en me voyant arriver. Depuis la première journée, elle ne fait que m’éviter. J’ai essayé de lui faire comprendre, par des sourires entre autres, que ce qu’il s’était passé ne me dérangeait pas, que je ne la jugeais pas. Mais dès lors qu’elle me croise, elle baisse les yeux. Je m’installe à ses côtés en raclant ma chaise contre le sol dans le faible espoir d’attirer son attention, en vain. Je me suis même demandé si elle avait eu honte de craquer devant moi, un inconnu et bien que ce soit une possibilité, je sens qu’il y a autre chose là-dessous.

Depuis la scène des toilettes, Hailey me fuit comme la peste et bizarrement, ça me fait grandement chier. Jamais je n’ai autant galéré pour attirer l’attention d’une nana. Plus elle se dérobe, plus elle m’intrigue et plus elle m’obsède. Je ne dirais pas que j’ai des sentiments pour Hailey, mais je commence à penser à elle de façon un peu plus dénudée. Elle chez moi, moi en elle. Et merde, je vais me payer une trique d’enfer ! Je soupire de frustration en me laissant tomber sur mon pupitre au moment où mademoiselle Carter, notre jeune professeur d’art entre et prend place derrière son bureau. Je vois certains de mes camarades baver sur les formes généreuses de l’enseignante retenues dans un t-shirt et un jean moulant. Si mes pensées n’étaient pas dirigées vers Hailey, sûrement que j’aurais aussi le filet de bave au coin des lèvres.

— Bonjour à tous ! Bien, maintenant que nous avons vu quelques bases, vous allez vous mettre avec votre voisin pour un TD.

Je me tourne vers Hailey qui malmène ses ongles tout en les scrutant et se mordille la lèvre du bas. Eh oui, ma belle – ma belle ? – nous sommes que tous les deux au fond.

— Je vous demande de trouver un seul et même sujet et de le retranscrire. Cela peut être une personne, un paysage, un animal, un objet ou que sais-je d’autres. Vous pouvez utiliser n’importe quelle technique. Peinture, dessin, collage, etc. Le but est de démontrer qu’avec un thème unique, la vision de chacun lui est propre. Vous devez impérativement le faire en duo. Je veux que vous arriviez à capter les mêmes jeux de lumières, de couleurs. Allez, mettez-vous avec votre binôme.

Un brouhaha retentit lorsque les couples se forment au son des chaises qui raclent le sol, des tables qui bougent, de nos camarades qui pour certains chahutent pendant que d'autres sont déjà en train de réfléchir à ce qu'ils vont proposer. Et moi ? Moi, j'attends un geste, un signe de ma partenaire, qui ne vient pas.

— Alec et Hailey, dépêchez-vous !

Le rappel à l’ordre de mademoiselle Carter a pour effet de la faire réagir. Hailey souffle avant de se tourner vers moi. Son regard est hésitant malgré mon sourire que je veux engageant. Je me lève et déplace ma chaise directement à son bureau, en face d’elle. Tout le monde est maintenant en place et discute de la mise en œuvre de leur projet. Sauf nous. Ses pupilles turquoise se posent sur moi avant qu’elle ne les détourne rapidement quand elle s'aperçoit que je l’observe.

— Ça va, Hailey ?

Elle mordille sa lèvre tout en hochant la tête. Ok, ça va être plus compliqué que ce que j’imaginais.

— Tu sais, tu n’as pas à être mal à l’aise par rapport à ce qu’il s’est passé dans les w.c..

Elle me dévisage quelques instants, comme troublée. Elle opine de nouveau du chef.

— Merci, me souffle-t-elle.

— Bon, maintenant qu’on repart à zéro tu veux qu’on fasse quoi pour le TD ? Je suis arrivé il y a seulement un mois et je ne connais pas beaucoup Portland.

Elle triture encore sa lèvre. Et si je vous dis que là, maintenant, je n’ai pas vraiment envie de parler de ce devoir, mais plutôt d’y planter moi-même mes dents et de venir caresser sa langue avec la mienne ? Putain, non Alec ! Focus sur le TD !

— Il y a un super coin dans Forest Park, si ça te tente, c’est Stone House, un ancien bâtiment désaffecté de la WPA.

— Ça peut-être sympa. Je te fais confiance de toute façon. Tu sais la technique que tu vas utiliser ?

Je la sens se détendre, de plus en plus à l'aise, certainement le fait de parler dessin.

— Sûrement une aquarelle. Et toi ?

— Crayon et ensuite je vais voir pour le retravailler sur ma tablette graphique. On y va ce soir après les cours ?

Ses yeux me fixent intensément, ses dents maltraitent de nouveau sa lèvre. Je contemple ce geste qu’elle fait dès qu’elle est mal à l’aise. Je la trouve encore sur la défensive et ça me fait franchement chier qu’elle se méfie de moi. Ok, on ne traîne pas ensemble, mais Wyatt sort avec Betty, alors par extension on fait partie du même groupe, non ? Bon d’accord, peut-être pas.

— Aujourd’hui ?

— Oui, aujourd’hui. À moins que tu aies mieux à faire, évidemment.

— Non c’est juste que…

Ses yeux se ferment pendant qu’elle serre ses mains tremblantes. Putain, mais c'est quoi le problème ? Pourquoi réagit-elle comme ça ? Ce n'est pas comme si j’allais profiter d’elle, quoi ! Je commence franchement à en avoir marre qu’elle me repousse, d’autant plus que j'en ignore complètement la raison. Et même si j’essaie de contrôler mon énervement, les mots sortent plus vite que prévu de ma bouche. Cette impression de dégoût que je ne mérite pas me vexe plus que je n’aurais pu le penser.

— Écoute, Hailey. Je ne sais pas ce qu’il se passe dans ta tête, mais je ne vais pas te violer ! Je nous amène dans ta maison pourrie, on fait l'état des lieux, on vérifie la lumière et je te dépose après chez toi. Maintenant si vraiment ma présence t’est si insupportable, je demande à la prof de changer de binôme !

Choquée, sa bouche s’ouvre en un rond parfait, alors que j’espère une réaction de sa part. Une seconde, deux secondes, toujours rien. Oh, puis merde ! Un long souffle s’échappe de mes lèvres au moment où je me lève de ma chaise. Tandis que je lui tourne le dos puis entame un pas, sa main fraîche s’enroule autour de mon avant-bras. Le corps raide, la tête par-dessus mon épaule, je la jauge durement.

— Désolée Alec. Je n’ai jamais pensé ça.

Sa bouche s’ouvre et se referme. Tête baissée, elle semble chercher ses mots. La relevant vers moi, son regard se trouble légèrement, sa lèvre tremble.

— Je… C’est juste que je ne suis pas forcément très à l’aise avec les gens. Sauf Betty et TJ, évidemment.

Ah oui, ce TJ qui est toujours collé à Hailey. Quelle relation ont-ils ? Est-ce qu’il aimerait être plus qu’un ami ? Et elle, voudrait-elle plus ? Mon cœur se fige en les imaginant s’embrasser, voire plus. Putain, mais il m’arrive quoi ? Un grognement s’échappe de ma gorge.

— Hmpf…

— Je dois juste prévenir mes parents qu’après les cours j’ai un devoir à faire, je devais les aider. Je vais te montrer ce fameux bâtiment, si tu veux toujours, dit-elle embarrassée.

Je me laisse tomber sur mon siège et l’observe pianoter sur son téléphone. Mes yeux la détaillent de tout leur saoul, profitant qu’elle soit occupée pour ne pas me faire griller. Cette fille est vraiment canon. Aujourd’hui, elle porte un débardeur noir avec un blue-jean troué. Ses ongles sont toujours vernis de la même couleur et tout un tas de bracelets pend à ses poignets. Elle ne se rend pas compte des regards qu’elle attire sur elle. Son manque de confiance est une bonne chose, pour moi en tout cas. Cependant, j’aimerais vraiment savoir pourquoi elle se dévalorise autant.

La journée s'est déroulée lentement, mais c'est enfin l'heure pour nous d'aller faire notre repérage. Assis sur le muret devant les escaliers menant à la grande porte, je l’attends avec impatience. Celle-ci s'ouvre laissant échapper une partie des élèves pressés de rentrer chez eux. Leean et sa clique de pom-pom girl sortent à leur tour. Son regard se pose sur moi, puis d'une démarche chaloupée elle se rapproche. Sa main manucurée de rose bonbon agrippe mon poignet, son ongle traçant des arabesques dessus.

— Oh, Alec, tu m'attendais ?

Depuis l'histoire des w.c., elle ne fait que m'aguicher, quand bien même je la reconduis à chaque fois. Elle semble longue à la détente et ne comprend pas que ses avances ne fonctionnent pas. Wyatt, Betty, TJ et Hailey sortent enfin m'empêchant une discussion pénible avec Leean.

— Alec ! me lance Wyatt au loin.

Tout en leur faisant un signe, je me retourne sur la sangsue, détache sa main de mon bras pendant qu’elle fusille du regard la jolie blonde.

— Désolé Leean, je suis attendu.

Je m'enfuis presque et la plante là avec son air pincé, ses yeux lançant des éclairs sur mon binôme lorsque je me positionne à ses côtés et lui parle au creux de l'oreille.

— Prête ?

Son visage s'embrase et elle me fait un signe de tête discret.

— Salut, on y va avec Hailey.

Betty se retourne et ses iris passent de son amie à moi, puis de moi à la jolie blonde.

— Hailey ? Tu ne rentres pas avec nous ? l'interroge-t-elle.

— Oh, euh… Non. Avec Alec, nous avons un TD à faire en art, répond-elle timidement. On se rend à Forest Park.

— Tu veux qu'on t'accompagne ? demande instantanément TJ.

Quoi ? Non ! Hors de question ! Je dois être seul avec elle. Je veux essayer de la comprendre, percer sa carapace, sans chaperons dans les pattes.

— C'est gentil TJ, mais on va devoir se concentrer et faire des repérages, lui dit-elle en posant sa main sur son bras dans un signe d’apaisement.

— Tu appelles si besoin et je débarque dans la minute, ajoute-t-il, son regard fixé sur moi en signe d’avertissement.

Elle acquiesce de la tête pendant qu'il lui dépose un baiser sur le dessus des cheveux. Instinctivement, mes poings se serrent. Je bous de le voir si proche d'elle alors qu'avec moi c'est un pas en avant, deux en arrière. C'est plus fort que moi, il faut que je stoppe ce moment d'intimité.

— Hailey, on y va avant que la lumière ne baisse ?

Elle me sourit et me suis tout en disant au revoir de la main.

Le chemin vers Forest Park est silencieux. Le front contre la vitre, ses yeux restent bloqués sur la route. Seules les indications qu’elle me donne pour y accéder brisent cette tranquillité. Contrarié par son attitude, je lance ma playlist sur les haut-parleurs. Lorsque la chanson Rise de State of Mine résonne, elle se détend rapidement et fredonne les paroles ce qui me fait sourire. Apparemment, nous avons les mêmes goûts musicaux. Dès lors que nous arrivons, elle est plus décontractée et je me gare à l’endroit qu’elle m'indique. Nous descendons de mon pick-up, puis je la suis tout en observant les alentours. Le paysage est reposant. Seuls les sons des oiseaux qui chantent, du vent qui s'engouffre dans les arbres et le bruit de l'eau du Willamette en contrebas résonnent.

— C'est beau, hein ? me demande Hailey me sortant de ma contemplation.

— Ouais, je souffle, époustouflé par ce lieu magique. On n'a pas de coin comme ça sur L.A..

Elle me dévisage du coin de l'œil quelques secondes avant de se reprendre.

— Viens, c'est par là.

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