Alan - Barracuda

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« You lying so low in the weeds
I bet you gonna ambush me
You'd have me down, down, down, down on my knees
Now, wouldn't you, Barracuda? »

Istarios, au bord de la mer Égée.
Sa vieille ville, vestige d’un passé antique légendaire.
Son port, son quartier d’affaires et ses bas-fonds.
Une cité banale comme il y en a tant d’autres en Grèce et partout ailleurs. Ça c’est sur le papier.

C’est dans les coulisses de cette ville qu’il faut creuser pour se rendre compte que la frontière entre la légende, le mythe et la réalité est ténue. Presque tangible. Une limite avec laquelle flirtent encore quelques habitants. Des citoyens en apparence ordinaires qui possèdent eux aussi une face cachée comme le spécimen ci-présent. Sur son passage, il n’y a que clameurs outrées et regards assassins tandis qu’il fend la foule en beuglant avec cet accent des Highlands à couper au couteau.

— Poussez-vous de là ! POUSSEZ-VOUS NOM DE DIEU !

Bravo le blasphème pour le représentant d'une Déesse, chef qui plus est de ses serviteurs ô combien zélés. Hécate ne serait pas très fière d'entendre un tel juron de la part de son représentant sur Terre. Devant lui, à quelques mètres, se débine un de ces voleurs à la tire qui adorent faire les poches des touristes. C'est un peu le fonds de commerce ici à Istarios : le tourisme antique. On vient ici pour profiter du soleil, de la mer, des vieilles pierres et de l’Histoire. Une Histoire que Français, Allemands en tongs et chaussettes, et le reste de l’Europe, ne font qu’effleurer du bout des doigts. En cette période estivale, tout ce petit monde, c'est du pain béni pour les pickpockets en tout genre. Le taux de vol à l’arrachée explose tout comme les risques d’arrêts cardiaques dans la police.

Alan maudit son fuyard de toutes ses forces. Si seulement il possédait des pouvoirs télépathiques... il lui ferait exploser la tête, là, maintenant ! Un remake de "Scanner" sans la moindre hésitation en guise de représailles pour oser le faire courir lui et sa vieille carcasse. Carcasse qui d'ailleurs, avoisine les deux mètres et quatre-vingt-dix ans. Ça en fait du kilométrage et l’Ecossais s’estime trop vieux pour ces conneries. Pourtant, il ne lâche rien, il est têtu. Les visiteurs se font un peu bousculer au passage alors que le voleur tente de le semer à travers les ruelles pittoresques de la vieille ville toutes de pavés vêtus. Puis il bifurque soudainement dans une autre rue pour s’enfoncer dans le labyrinthe que compose cette partie d’Istarios. Un vrai dédale. Ledit architecte serait aux anges ici.

— MILO, ARRÊTES TOI !

Nouvelle sommation tandis que l’autre décide de l’ignorer royalement.
Par un bond prodigieux, le fuyard s’agrippe à la façade de pierre d’une arrière-boutique puis, avec une agilité hors du commun, rejoint les toits. Le souffle court et le cœur au bord de la rupture, le flic arrive quelques secondes plus tard, au pied du mur. Alan lève les yeux vers la corniche d’où le nargue alors son voleur.

— Alors ça… ça, c’est pas fair-play, grogne-t-il en cherchant le moyen de rejoindre à son tour d’autres hauteurs.

L’Ecossais ne se prive donc pas pour traverser un jardin ou deux afin de rejoindre les murets qui courent le long du quartier. Entre souffle coupé, jurons en gaélique et en grec, le voilà qui se retrouve en équilibre sur les tuiles qui geignent sous son poids. Le choix de son itinéraire s’est avéré pour le moins pertinent, à moins que le voleur se soit montré un peu trop arrogant au point de carrément l’attendre pour reprendre la course. Toujours est-il que le policier se trouve entre une possible issue via le toit voisin et le vide. Un petit sourire victorieux peut se lire sur le visage rougeaud de notre ami. Un teint écarlate qui contraste avec cette barbe noire qui lui donne un air patibulaire. Le souffle court, il tient entre ses doigts, son arme de service. "Au bout d’un moment, il ne faut pas abuser non plus !". C’est du moins ce que pense Alan qui s’ancre tant bien que mal sur ses appuis mais ne met pas encore le fuyard en joue.

— Ça peut s’arrêter là, Milo. Tu m’auras bien fait courir, c’est marrant deux minutes mais je te jure que si tu bouges une patte, une oreille, tu te prends une balle dans un genou. P’têt même deux. J’suis généreux.

Les mots sortent difficilement tant le souffle de cette moitié de Grec et de Britannique est difficile à reprendre. Un moment de flottement, un silence pesant s’impose tandis qu’en contrebas la petite vie touristique d’Istarios continue comme si de rien n’était.

— T’as trois secondes pour poser le sac que t’as sur le dos et lever les mains bien en évidence.
— Tu sais très bien que tu ne peux pas m’arrêter, Danekis. Tu connais les risques.

Jusque-là, les traits cachés sous l’épaisse capuche d’un hoodie sombre, le fuyard est resté muet. D’un geste lent, il consent alors à regarder son poursuivant dans les yeux, sans artifices, à visage découvert. Un faciès aux allures vaguement caprines, de petites cornes recourbées qui lui sortent du front, se découvre. Le voleur possède de larges oreilles pointues et des cheveux semblables à du crin épais coiffés en de multiples tresses nouées par des perles multicolores. De son côté, Alan sait que son vis-à-vis a raison. Se pointer avec un Faune menotté au poste de police ferait mauvais genre. Ce n’est pas comme ça que les membres du Cercle doivent agir pour le bien de leur mission.

— T’as raison. J’peux pas t’arrêter là. Mais je peux te laisser te vider de ton sang sur ce toit. C’est toi qui vois… Laisses le sac à tes sabots. C’est la dernière fois, peste donc le flic qui ne relâche pourtant pas sa vigilance.

Milo peut se rendre compte sans difficulté que notre homme est loin de plaisanter. La preuve, son pouce vient d’armer le chien du pistolet automatique. Ceux qui connaissent Alan savent qu'à cet instant, le Sorcier bluffe. Pas Milo.

— Ok ! Ok ! C’est bon…

Il aura fallu de nouvelles et très longues secondes pour que le Faune abdique.
L’Ecossais suit les moindres mouvements du voleur qu’il peut sanctionner à tout moment et ce… Jusqu’à ce que le sac soit jeté soudainement dans le vide non sans un sourire narquois de la créature mythique qui en profite pour fuir.

— Enf…, grogne Alan saisit de surprise.

Il n'a pas le temps de prononcer entièrement son insulte, car tout se joue comme au ralenti.
Le sac à dos glisse sur les tuiles pour rejoindre dangereusement le plancher des vaches. Alan se jette à plat ventre sur le toit, une côte souffre au passage et à son tour, il entame une dangereuse glissade sur les plaques d’argile qui se cassent sous son poids et se délogent de la charpente. À cet instant, le policier ne pense même pas à la chute de quatre mètres qui l’attend. Le bras tendu, il aura même lâché son arme au passage pour tenter d’agripper une bretelle de ce maudit sac.

Enfin ! Ses doigts se referment sur le tissu. Il tente de freiner sa dégringolade de ses rangers même pas lacées. C’est bien beau, il a récupéré son dû pour finalement se briser le cou en contrebas. Adieu , vie atrocement longue.

— Merde… merde… meeeeeerde…

Un boucan horrible de verre brisé, de plastiques froissés et de métal cabossé se fait entendre quatre mètres plus bas. Le tout accompagné d’un hurlement clairement féminin trahissant la violente surprise de la pauvre passante qui promène son chien au même moment. Un grognement de douleur et l'on peut voir juste un pied qui dépasse de la benne à ordures d’un restaurant. La ranger l’avait déserté, échouée lamentablement par terre. Son propriétaire, niché au creux de sacs de détritus à l’odeur immonde, tient le sac dans ses bras. L’esprit sonné et le dos perclus de douleur, Alan met quelques secondes à reprendre ses esprits afin de se mettre à fouiller sa prise en se rappelant de son contenu qui lui aura valu toutes ces peines.

Le policier se débat avec la fermeture éclair dans un empressement certain puis, plonge la main dans le sac. L’odeur et les mouches ne sont plus un problème quand il en sort une statuette d’or, de verre et de bronze en forme de déesse tricéphale. Un artefact précieux pour le Cercle mais surtout, une pièce de musée dérobée pas plus tard qu’il y a deux jours. Toute son unité travaillait à la retrouver depuis lors et plus encore, son lieutenant. Alan se met à rire tout seul sous l'effet du soulagement et de la pression qui retombe. Finalement une tignasse brune passe par-dessus le bord de la benne. Un visage connu qui fait sursauter le flic sur le coup. Un visage parfaitement connu même, car c'est celui de son petit frère qui secoue la tête en le regardant d’un air mitigé ; entre le dépit et la triste habitude.

— Avec tout ce foutoir, je savais que ça ne pouvait être que toi.

Son cadet revenait de faire quelques emplettes pour le Temple.
Triomphant, Alan lève la statuette en l’air et la lui tend.

— Je l’ai trouvé ! Oh merde, ça pue vraiment ici. Allez aide-moi à sortir de là.

C’est qu’il y a de la paperasse qui l’attend avec tout ça.

— Hors de question, ça schlingue là-dedans !

Puis le plus jeune referme le couvercle de la benne et s’éloigne déjà avec un petit sourire en coin.

— Duncan ! DUNCAN ! vocifère Alan puis, voyant qu’il n’avait toujours pas de réponse s'égosille de plus belle. Allo ? Y’a quelqu’un ?

Il jure… encore. Finalement, son cadet revient sur ses pas pour le sortir de sa prison ô combien malodorante.

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