Chasse au clair de lune

8 minutes de lecture

«Just like the white winged dove
Sings a song
Sounds like she's singing
Oh baby oh said oh»

La voix de Stevie Nicks résonne dans ses oreillettes. Les yeux clos, l'esprit focalisé sur la voix rocailleuse de la chanteuse, elle ne peut cependant s'empêcher de se triturer les doigts. Ils s'emmêlent, se tordent frénétiquement. La nervosité est palpable mais la musique tempère cette anxiété qui la guette. C'est sa première mission et elle ne veut pas « se foirer ». La musique c'est son remède, son pilier pour ne pas flancher. Une technique qu'on lui a apprise à son arrivée dans le Cercle. C'est que parfois le destin vous impose de drôles d'épreuves. En l'occurrence un destin divin. Son cœur peut presque suivre le rythme rageur de la guitare qui ne s'exprimera jamais vraiment tout au long des cinq minutes vingt neuf secondes du morceau. Une grande inspiration puis une grande expiration. Elle recommence et doucement tout s'apaise. Il n'y a que Stevie et elle dans cette immense forêt, au milieu de cette clairière avec la nouvelle lune pour témoin invisible et silencieux. Elle lève alors le nez en l'air sous un ciel sombre d'un printemps qui commence à peine et perçoit sa présence.

— Puissiez-vous être témoin de nos actions ce soir, ma Dame, chuchote-t-elle sur le bout des lèvres avant qu'une voix grave ne la tire de ses rêveries et se fasse entendre dans l'oreillette. 

Une voix forte, un accent Ecossais à couper au couteau sur chaque mot et qui grésille un peu. La réception n'est pas idéale avec tous ces arbres.

— Tina ! Prépares-toi on arrive !
— B...Bien ! Je commence l'invocation du portail.

La voix est hésitante mais, celui qui se trouve à l'autre bout de la communication a toujours le don de la mettre dans tous ses états, ce n'est pas de sa faute ! Tina, c'est son prénom, s'éclaircit la gorge puis se tourne vers la clairière qui s'étend à ses pieds. Une petite étendue d'herbe verte bordée par une rangée de pins maritimes qui allongent leur silhouette élancée tout autour d'elle. Des ombres impressionnantes qui ne la rassurent pas vraiment quand on l'a assigné là avec pour seule compagnie un orbe de lumière qui diffuse sa magie à quelques mètres au dessus de sa tête. Au loin déjà, on peut entendre un bruit épouvantable de branches qui grincent, craquent, cèdent. Des cimes qui gigotent et font envoler les oiseaux de nuit qui y avaient trouvé refuge. Un frisson lui tombe sur la nuque. La jeune femme secoue les épaules et se concentre. Musique éteinte, elle fait le vide, rassemble cette énergie qui court dans ses veines puis un halo bleuté vient entourer ses mains. C'est prêt.



Loin devant la jeune femme solitaire, les choses sont moins calmes et c'est peu de le dire. Voilà deux heures qu'ils se sont lancés dans une traque qui leur donne du fil à retordre. Deux heures qu'ils arpentent la forêt d'Istarios à la recherche puis la chasse d'une créature qui n'a rien à faire dans ce plan de la réalité. Un petit groupe de Sorciers nés sous la bénédiction d'Hécate, déesse des temps anciens présidant à la magie, joue les trouble-fêtes dans une petite bourgade Grecque endormie depuis longtemps. Ces Sorciers - avec un grand "S" - font tous parti du Cercle, une organisation secrète qui perdure depuis l'antiquité au service des idéaux d'une déesse dont le nom est tombé dans l'oubli. Protéger les Hommes et préserver l'équilibre des mondes, voilà leur mission dans une époque où la technologie est omniprésente, où les légendes et les mythes ne sont plus que des contes désuets.

— Bon sang, ce Strygide est coriace ! dit une voix masculine. Celle de Callahan.
— C'est ce qui fait parti de leur charme ! Empêche-le de déborder par la rivière. On doit le rabattre vers Tina, dit une autre.

Le timbre est plus grave avec toujours cet accent particulier qui rend les intonations de ses mots tantôt chantantes, tantôt gutturales. C'était celle d'Alan, le chef de cette petite troupe. Une troisième voix, masculine aussi, se fait entendre dans l'oreillette. Elle est plus douce et elle grésille légèrement à cause des interférences que provoque leur environnement.

— Nora bloque l'autre accès par la rivière. Il est prit au piège. Je rejoins Alan.

C'était Duncan, le frère cadet d'Alan.
La créature insectoïde au sol stridule de panique. Elle se sait poursuivie sans réellement connaitre le sort que ses prédateurs lui réservent. Bientôt, la clairière est en vue. Le monstre semblable à ces crabes de cocotier de la taille cette fois d'un grand chien est rapide malgré son imposante carapace. De ses six pattes, il s'agrippe parfois au tronc des pins pour se balancer de l'un à l'autre pour gagner en vitesse. Dans un sursaut d'audace ou de désespoir peut-être, la créature profite d'un nouveau bond entre deux fenaisons pour se tourner et envoyer en direction de l'un de ses poursuivants un jet de bile collante.

— Ah ! Bordel de merde !

Peut-on soudainement entendre à la radio.

— Cette saloperie m'a tout englué !

L'ainé du groupe s'est fait surprendre comme un bleu et tout le monde peut l'entendre jurer comme un charretier sur toutes les fréquences. On peut entendre un petit rire, celui de son cadet qui s'enquiert aussitôt de son état.

— Tout va bien ?
— Ouais ! ouais ! Continuez et foutez-moi ça dehors pour de bon ! réponds Alan dont le ton ne laisse aucune hésitation quant à son état d'esprit actuel.

Pendant ce temps, Tina a ouvert un portail spatio-temporel entre ce monde et de multiples univers. Un halo bleuté se met à briller dans l'air tandis que la Sorcière fait de lents mouvements ciculaires. Les yeux clos, elle psalmodie dans un mumure les quelques paroles sacrées dédiées à ce sort. La demoiselle a beau maîtriser de façon innée - à son grand dam - la magie du temps et de l'espace, les incantations sont d'une aide précieuse pour l'aider à concentrer ce pouvoir encore trop volatile. Alors apparait dans une petite gerbe d'étincelles bleutées, un cercle scintillant puis de l'autre côté, une nature luxuriante qui n'a absolument rien de terrienne. De ce côté de la réalité, le ciel est rouge et la végétation dévore le moindre centimètre carré de sol avec ses hauts arbres, des fougères aussi grandes qu'un homme aux feuilles acérées telles une lame. Quelques hululements peu engageants se font même entendre et frissonner Tina qui essaie de rester concentrée jusqu'à l'arrivée de leur "colis". Ce portail, c'est la porte de sortie du Strygide qui a usé de la même faille pour s'infiltrer dans cette réalité qui n'est pas la sienne. Une intrusion qui perturbe l'équilibre si cher au Cercle et ses membres. Une intrusion devenue bien trop récurrente à leurs yeux d'ailleurs.



La jeune sorcière se crispe légèrement quand elle voit la créature lui foncer dessus en piaillant tout son saoul. Coriace mais peu rusé, le Strygide s'engouffre dans le portail pour disparaitre définitivement. Depuis quand a t'elle fermé les yeux ? C'est une main douce sur son épaule qui la surprend. Un petit cri de souris effrayée lui échappe aussitôt.

— Tu peux le fermer, il n'est plus là.

Duncan se tient à ses côtés. Il est arrivé en premier dans la clairière pour épauler sa jeune coéquipière. C'est un homme d'une trentaine d'années bien tassées, un regard bienveillant d'un bleu d'azur. Tout comme le sourire qu'il lui offre à une Tina toute chamboulée. La jeune femme hoche la tête, soulagée. Le portail s'évanouit dans l'air et verrouille de nouveau leur réalité. C'est un don rare, inédit au sein du Cercle, elle en est consciente sans comprendre pourquoi la déesse l'a choisi elle, pour le porter.

— Bravo Tina ! C'est super pour une première !

Callahan arrive à son tour, le souffle court.
Un jeune homme d'à peine la trentaine lui aussi, les cheveux noirs mi-longs et bouclés qu'il a attaché en une sommaire queue de cheval. Avec la course, nombre de ces mèches se sont échappées au passage pour barrer un visage rond mangé par une petite barbe de quelques jours. La jeune femme se met à rougir jusqu'aux oreilles. La pénombre des lieux dissimule au moins sa gêne. Tina se racle la gorge et lève le nez pour regarder au delà de l'épaule de Duncan qui se tient en face d'elle puis avise l'arrivée de deux retardataires. L'un était un homme de grande stature, les cheveux courts aussi noirs que les deux autres, il semble avoir passé la quarantaine depuis quelques années déjà. A ses côtés, une jeune femme aux cheveux sombres et des yeux d'un bleu céruléens qui n'a rien de réel tant ils sont éclatants même dans la pénombre.

— Je l'ai trouvé sur le bord de la route, je vous le redonne ?

Dit cette dernière, non sans un petit sourire en coin amusé.
C'est Nora, une nymphe, une créature mythologique que l'on pensait disparue ou n'existant que dans les mythes.

— AH ! AH ! Mais qu'elle est drôle !

Le géant se débat avec les restes de bile gluante qui était venue tâcher sa veste en cuir et cette fabuleuse chemise hawaïenne bleue à motifs ananas. Il grimace de dégoût en sentant le liquide odorant dans sa barbe fournie qui lui donne par fois des airs d'ours mal léché. Duncan ne peut s'empêcher d'en rajouter une couche sur les taquineries de son amie.

— C'est l'occasion de jeter au feu cette hideuse...

Il n'a pas le temps de finir que son ainé le coupe, avec un air presque vexé.

— Cette chemise est très bien, c'est vous qui n'avez pas de goût c'est tout. Vous tous d'ailleurs ! dit il alors en pointant chaque membre de ce petit groupe étrange qui finit par éclater franchement de rire. Tina rit tellement qu'elle en a mal aux joues. Finalement, cette place qu'elle a tant recherché, elle l'avait juste sous ses yeux. Il suffisait simplement de lui ouvrir les bras.

— Ouais ouais marrez vous ! Allez on rentre. J'ai vraiment besoin d'une douche, ronchonne toujours le plus vieux de l'équipe.

— Vous ne trouvez pas que ça sent la fraise ? questionne Callahan avec une innocence dans le regard qui ne lui sied absolument pas.
Le jeune homme peine à retenir un nouvel éclat de rire. Vrai que le mucus de l'insecte avait une petite odeur agréable à bien y penser.

— C'est Alan... Encore... répond Nora du tac au tac.
Et l'hilarité générale repart de plus belle.

— Putain, j'vous déteste... grommelle le concerné, dépité.

Il est trois heures ou quatre heures du matin, la nuit sera courte pour ces Sorciers qui dans quelques heures devront jouer un tout autre rôle.
Un quotidien bientôt bousculé de manière radicale.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 13 versions.

Vous aimez lire Tankred ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0