CHAPITRE 37 : Tuer le Destin

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Ma tentative de prise de parole devant le monde avait échoué. J’étais mal préparé, maladroit, impulsif. Je ne pouvais rien attendre du message que j’avais tenté de transmettre. Je ne pouvais rien attendre du peuple non plus. Ils étaient aussi dociles que des moutons. Je ne pouvais pas leur en vouloir. Comment dépenser du temps à se battre pour une cause quand on n’a que quelques années à vivre ? C’était sans doute l’une des plus grosses injustices de ce monde. Je n’étais pas préparé à voir Adi partir si jeune. J’étais décidé à faire quelque chose de ma mission. Nous nous regroupions avec Anabella, Miroslav, ainsi que quelques membres sains d’esprit de la communauté. Parmi eux il y avait Trixie, environ 17 ans, relativement peu accro au mélange. Elle vivait dans ce groupe depuis sa naissance et avait été recueillie directement par les équipes de Miroslav. Elle avait brièvement connu Katsuki, la femme de Miroslav, et avait à cœur de prendre soin de ce qu’elle considérait comme une famille. Malok, un jeune homme vif et endurci était également présent. Il avait survécu seul des années et ne s’est intégré à la communauté des égarés qu’il y a deux ans. Il était intelligent et conscient qu’un jour il pourrait réintégrer une survie solitaire s’il le souhaitait. Enfin, il y avait Lincoln, il était sérieusement malformé, ne pouvait pas de déplacer seul et devait probablement d’être encore en vie à Miroslav. Il s’était désaccoutumé du mélange par la seule force de sa volonté ce qui était un exemple unique à ma connaissance. Ces trois-là étaient ma caution morale, des locaux, des vrais, des humains de leur temps.

Nous nous étions réunis, une fois de plus, dans l’antre de Miroslav, sous le puit de lumière qui se tarissait peu à peu, au fur et à mesure que la nuit tombait. Miroslav alluma un feu à l’intérieur et fit griller quelques cubes d’un genre de courgette absolument insipide. Nous nous regardions les uns les autres et n’attendions plus personne. Il me revenait probablement de prendre la parole.

« Ameer, on t’écoute dit Anabella.

— Ecoutez tous. Vous êtes au courant de l’échec cuisant de notre tentative de changer les choses par la diplomatie, en faisant appel aux consciences. Je suis certain que le mot « conscience » n’a plus le même sens aujourd’hui qu’à mon époque. Voilà mon sentiment : L’humanité est perdue, elle s’est perdue elle-même. Mais plutôt que d’argumenter dans ce sens j’aimerais plutôt débattre avec vous. Selon vous, qu’est ce qui nous définit en tant qu’humains, en tant que personnes ? »

— Euh ? fit Anabella en esquissant un mouvement de la main ayant l’air de dire « chéri, tu es sûr de ce que tu demandes ? » »

Malok ne répondit rien. Il ne s’intéressait pas à ce type de questions sans intérêts immédiat. Miroslav sourit, comme d’habitude. Il était assis à côté de Trixie et lui pressa l’épaule pour l’encourager à répondre.

— Et bien, j’imagine qu’on est vivants donc on est des personnes. Non ? interrogea-t-elle.

— Il suffirait d’être vivant ? Mais pourtant n’importe quel niveau complexe de la matière peut être considéré comme vivant. Les bactéries sont vivantes. Sont-elles des personnes ?

— Ameer, tu devrais préciser ou tu veux en venir, dit Anabella. Mettons que les bactéries n’étant pas des personnes, il ne suffit pas d’être vivant pour être qualifié d’humain. Parce que c’est bien là que tu veux en venir n’est-ce pas ? Tu veux définir qui est humain et qui ne l’est pas ? »

Comme bien souvent, Anabella avait vu juste, bien que nos amplis eussent été retirés, elle était toujours dans ma tête.

« Oui, c’est bien ce que j’essaye de faire. Je ne vais donc pas faire de détour. Je n’accepterai pas que ma venue ici soit vaine. Je suis certain que nous sommes ici pour une bonne raison. Je suis horrifié par ce que le l’humanité est devenue et n’ose plus l’appeler « humanité ». Je songe à faire disparaître cette civilisation, parce que ma mission est là, c’est en tant qu’humain extérieur que j’aurai le jugement nécessaire pour stopper tout ça. Alors si vous le voulez bien, nous parlerons du comment plus tard. Ce que je souhaite c’est discuter avec vous de la moralité de mon raisonnement. En admettant que j’ai le pouvoir de détruire cette civilisation, en ai-je le droit ?

— Tu n’as pas le droit de tuer un humain. Bien qu’il arrive que certains d’entre nous le fassent, je réprouve ces pratiques, dit Miroslav qui sentait que j’allais trop loin.

— Et si moi, je dis qu’ils ne sont pas des humains ? Ils ne sont pas capables de donner un sens à leur vie. Des machines les conçoivent, ces mêmes machines pensent pour eux.

— Mais même si nous ne sommes pas humains …

— Pas toi Lincoln, le corrigeai-je, eux, les non déviants, les clones, la masse inerte !

— Ok, pas moi, reprit-il. S’ils ne sont pas humains. Ils sont quoi ? Des animaux ? Les animaux ont bien le droit de vivre.

— Les moules sont inertes, enchaîna Miroslav. Elles n’ont pas forcément de conscience, mais elles se reproduisent, comme les végétaux ou d’autres animaux.

— Comme tu l’as si bien souligné, « elles se reproduisent » intervint Malok. L’humanité d’aujourd’hui ne se reproduit pas. Elle prend simplement de la place, la place de ceux qui se reproduisent…comme les « moules ». »

A l’évidence, Malok ne savait pas ce qu’était une moule. Mais cela n’a pas semblé le gêner pour participer à la conversation. Lincoln, calme, tenta de résumer la situation.

« Donc si j’ai bien compris, tu penses que l’humanité mérite d’être éradiquée parce qu’il ne s’agirait que de… de je ne sais pas… une masse morte prédéterminée, ou du moins, sans conscience, parasite et quelque part « sans âme » ».

Je fus surpris d’entendre un humain actuel utiliser le terme « d’âme » qui était tombé dans l’oubli en raison de l’abandon des religions. Lincoln avait eu accès à des écrits de Miro ou avait reçu ses enseignements approfondis sur le passé.

« C’est en effet, un peu ce que je dis, mais c’est toi qui supposes seul que je parle d’éradication. S’il vous plaît, prenez conscience que les homo-sapiens qui se trouvent à quelques pâtés de bidonville d’ici n’ont rien de commun avec vous et moi. Ils sont « programmés ». Ils n’ont pas d’identité propre, ils sont reproductibles à l’identique. Ils ne se gouvernent pas, ne se dirigent pas. Ils ne sont que des feuilles mortes qui se laissent porter par le vent, un vent qui n’est même pas insufflé par des têtes humaines. Seuls des chiffres, des résultats nets, des bilans comptables et des trésoreries permettent à des machines « d’ajuster l’humanité » dans le but de … de quoi ? Sans aucun but. Dans le but de satisfaire les chiffres qui eux, pour le coup, ne sont pas vivant du tout !

— Ok, dit Anabella. Ce que tu dis, ce n’est pas idiot, loin de là. Moi aussi je suis navrée de ce qu’il reste de l’humanité. Mais est ce que tout détruire résoudra quelque chose ?

— « Résoudre » n’est pas le terme que j’emploierais. Et je le répète, je ne parle pas vraiment de « détruire ». Je m’explique. L’humanité est sur des rails, et sans « conscience », sans « LIBRE ARBITRE » parce qu’il s’agit là d’une absence de libre arbitre qui est pourtant une essence fondamentale. Elle n’aura pas la force, ou plutôt la volonté, de se sortir de là. Seuls des personnes ayant le libre arbitre ont la capacité de décider pour tout le monde dans la mesure où elles sont les seules disposant d’une volonté, d’une vision. Nous sommes ces personnes.

— Qu’est-ce que c’est que le libre arbitre ? demanda Trixie. »

Miroslav s’était détendu et arborait de nouveau son sourire habituel. Trixie avait, en toute normalité, de grosses lacunes de culture générale. Elle était plutôt très en avance pour une égarée puisque certains ne savaient même pas parler. Miroslav s’apprêtait à lui répondre quand Lincoln le fit avant lui.

« Le libre arbitre, c’est ta faculté à réfléchir et agir seule, sans contrainte. A générer toi-même tes pensées. Ce n’est pas quelque chose que l’on sait démontrer, mais plutôt une supposition. Certains prétendrons que seuls les humains ont un libre arbitre, je laisserai ceux-là prétendre seuls.

— Qui dit que les clones n’ont pas de libre arbitre ?

— Personne ne le dit, intervint une deuxième fois Malok. On ne sait pas qui a un libre arbitre ou qui n’en a pas. C’est une vue de l’esprit. S’ils ont un libre arbitre, il est fortement influencé par ce que les gènes, et ce que la société a fait d’eux. C’est tout comme s’ils n’avaient pas de libre arbitre.

— Ils n’ont pas de libre arbitre de groupe, nuança Anabella, mais ils ont un libre arbitre individuel. S’ils sont conditionnés à agir ou penser tous comme leurs confrères, on peut admettre que les mouvements de masse seront prévisibles, comme un banc de poisson qui nagerait de façon uniforme et synchronisé. Mais si l’on prend un individu seul, à l’échelle de sa petite vie, il peut encore faire des choix par lui-même et reste tout de même influencé par une infinité de petites causes imprévisibles.

— Anabella, tu résumes bien ce qui m’intéresse, repris-je. C’est le groupe. Je ne cherche pas à savoir si untel ou untel possède cinq pour cent de libre arbitre. Cela ne m’intéresse pas car encore une fois, je ne cherche pas à « tuer » l’humanité. Je cherche à tuer ce destin qui s’est insidieusement mis en place et qui prive les humains de leur libre arbitre. Peut-être qu’avec notre libre arbitre, nous nous serions éteints. Peut-être qu’avec notre libre arbitre, nous nous serions entretués à coups de bombes atomiques, ou que nous aurions provoqué une catastrophe écologique. On ne le saura jamais. Mais j’aimerais nous redonner les commandes, quel que soit ce qu’on en fera.

— A quoi tu penses me demanda Anabella ? »

Je pris quelques instants pour respirer, et pour m’assurer que j’avais l’attention de tous. Je l’avais.

« Si j’ai bien compris la situation, aucune rébellion, ou acte terroriste n’est prévu ou à prévoir. Les clones de moutons qui vivent en ville sont beaucoup trop dociles pour suivre un mouvement rebelle. Ce que nous sommes aujourd’hui n’est que le fruit de l’auto évolution de programmes intelligents. Personne ne contrôle ces programmes. C’est pour cela que l’humanité, en tant que groupe, a perdu son libre arbitre. Si nous pouvons contrôler ces programmes, nous pourrons rendre son libre arbitre à l’humanité. »

Les yeux de mes interlocuteurs montrèrent une concentration intense sur mes propos. Miroslav répondit à mon intervention.

« Jeune Ameer, si tu prends le contrôle, sauras-tu en assumer les conséquences ? Es-tu capable, mieux que ces machines, de savoir de quoi l’humanité a besoin ? Et ne réduiras-tu pas l’absence de libre arbitre des clones a un libre arbitre unique ? le tiens ? Cette situation ne me semble pas tellement préférable.

— Justement, Miro, je ne compte rien contrôler du tout. Bien au contraire, je compte foutre la merde autant que possible et coller un coup de pied terrible dans cette fourmilière.

— Ameer, je ne vois pas comment tu vas t’y prendre. Me rétorqua Anabella.

— C’est bien simple… Je veux rétablir la reproduction sexuée !

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