CHAPITRE 33 : La liberté

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Quand l’esprit hurle de douleur, il ôte aux sens leurs droits à représenter le monde qui nous entoure. Tel un nourrisson qui pleure dans la nuit, il ne laisse nulle autre possibilité que de lui accorder toute l’attention possible. Le noir, devenu si familier, torturait mon âme qui me bombardait d’images. Impossible de dormir ! J’eus beau rouvrir les yeux pour les ignorer, elles prenaient toute la place. Mes oreilles sifflaient constamment. Mes poumons suffoquaient immédiatement dès que je ne les obligeais pas à se rassasier d’une bouffée d’air.

A côté de ça, mes séjours prolongés dans le noir m’avaient rendu hyper sensible à la lumière qui me déclenchait d’affreuses migraines. Un handicap bien conséquent pour quelqu’un qui n’arrive plus à fermer les yeux. Nul doute que la recherche du sommeil allait devenir un enjeu important de ma vie qui recommençait. On nous avait amenés, Anabella et moi, dans une pièce dont les ouvertures vers l’extérieur avaient été calfeutrées pour garder la chaleur. Un feu brûlait dans la pièce d’à côté qui était percé d’un trou au plafond pour laisser s’échapper la fumée. Il s’agissait plus d’un « abri » qu’autre chose mais dans lequel tout avait été mis en œuvre pour notre bonne récupération.

Anabella fut moins agitée que moi, mais non moins torturée. Ses yeux rouges semblèrent s’être asséchés à jamais après avoir pleuré toutes les larmes d’une vie. Elle ne dormait pas non plus. Nous restâmes silencieux un certain temps, temps qu’il m’était devenu impossible de mesurer. Anabella refusait de dormir, elle était constamment sur ses gardes.

Je lui proposai, puisque moi je ne pouvais pas dormir, de venir se reposer sur une couche de fortune, de toute façon plus confortable que le plus moelleux des matelas de l’Asile, tandis que moi je monterais la garde. Ce n’est qu’à cette condition, celle de sentir sa présence endormie près de moi, que je pus moi aussi faire taire cette insoutenable sirène au fond de ma tête. Allongé aux trois quarts sur le ciment, j’enlaçai Ana. Je palpai ses bras plusieurs fois pour m’assurer qu’elle était bien là. J’approchai ma tête de son cœur, que mes oreilles entendent son souffle, et je fermai les yeux, juste pour vérifier, pour vérifier que ...

Anabella me réveilla paniquée. Plus personne ne montait la garde.

« Ameer qu’est-ce que tu fais, tu dors ?! ». Dans l’état ou j’étais, la chute d’une goutte d’eau sur le sol m’aurait secoué comme un tremblement de terre. Autant dire que son réveil fut des plus brutaux pour moi. Je pris sur moi, puisant dans des ressources que je pensais éteintes pour ne pas céder à la panique, pour ne pas partir avec les démons qui m’observaient en silence, patiemment, attendant que je m’abandonne à la folie.

« Anabella calme toi, tu sais bien que nous nous sommes échappés. C’est terminé maintenant, il faut que tu dormes, moi aussi il faut que je dorme. On aura tout le temps d’être sur nos gardes quand on se sera reposés. »

Anabella ne me regardait plus dans les yeux. Elle ne regardait rien dans les yeux d’ailleurs, sans doute que son fantôme à elle hurlait toujours dans son crâne. Je passai ma main dans ses cheveux et parlais à son oreille, comme pour lui inoculer directement mes paroles dans la tête, puisqu’elle semblait imperméable à tout ce qui venait de l’extérieur.

« C’est moi Anabella. Ameer ! On est sorti d’affaire, tu n’as rien à craindre, tout va bien. Je ne laisserai plus quoi que ce soit t’arriver désormais. Dors. » Je regrettai de n’avoir rien de mieux à dire que des choses simples. N’ayant pas pu la protéger une première fois, je n’avais plus la légitimité de me présenter en protecteur. Mes couilles étaient désormais bel et bien coupées. Elle ne semblait de toute façon pas m’écouter.

« ... Je ne laisserai rien nous arriver à tous les trois, insistai-je ». Je passai lentement mes mains sur son ventre pour sentir la vie en elle, pour protéger ce tout petit qui, lui, pouvait encore avoir confiance en moi.

« IIIIIIHHHHHHHH !!!!! ». Anabella poussa un cri strident, aigu, qui provenait du plus profond d’elle, des abysses de ses poumons, des ténèbres de son utérus. Ses yeux écarquillés à la fois d’inquiétude et d’effroi, toujours fixes dans le néant, brûlaient de puiser les dernières larmes cachées dans ses veines ! Elle leva un visage martyrisé vers moi, ses yeux vomissaient une âme marquée au fer rouge et perdue à des années lumières, dans la solitude de l’espace.

« Ils me l’ont enlevé Ameer ! Ils l’ont pris. Je ne voulais pas mais ils l’ont pris de force. Et puis ils l’ont laissé dans la chambre, par terre ... Il était si petit ! Il n’était pas vivant, mais il me parlait dans ma tête... » Je la serrais contre moi, totalement impuissant, incapable de la protéger, incapable de la rassurer. Elle explosa en sanglots, étouffant ses dernières paroles. Moi aussi.

Nous restâmes ainsi plusieurs heures sans bouger. Anabella finit par s’endormir de nouveau dans mes bras. Quant à moi, j’étais sonné. Triste qu’on m’ait pris mon enfant ? Oui, un peu, d’abord. Hanté par les images d’horreur qu’Anabella avait fait germer en moi ? Oui aussi, un temps. Frustré par l’impuissance de ne pas pouvoir alléger la peine de ma bien aimée ? Beaucoup plus. Fulminant, follement enragé par la monstruosité de ce monde, par le sort, par Green et Munroe qui nous avaient envoyés ici, par cette société de sales clones qui envoient leurs semblables à l’abattoir, par ces imbéciles qui ne comprennent rien, qui ne ressentent rien, qui ne sont même pas humains, qui méritent tous de crever comme des chiens galeux, écrasés sous ma semelle merdeuse ? Plus que jamais oui. La haine !

Dans un élan de rage, je lâchai Anabella et sorti de la pièce. La lumière du jour agressa ma rétine immédiatement faisant germer la douleur dans mes sinus, mes nerfs, toute ma boîte crânienne. Cette douleur fut le moteur de ma haine, elle ne m’empêcherait pas de massacrer l’intégralité de cette planète à main nue. Ignorant les gens qui étaient venus me délivrer, je sortis de la cahute, dans une espèce de terrain vague. Ma vision était trouble mais j’avançais d’un pas décidé et agrippai le premier morceau de métal qui croisa ma route. Je le serrai comme une barre de fer bien qu’il s’agît d’un bout de tôle qui m’entailla la main. Ce sang qui coulait sur mes doigts, et qui couvrait aussi ma vue serait l’eau bénite qui amènerait la salvation sur ce monde avarié.

Une force me retint. Je n’y prêtai pas attention dans un premier temps. Je forçai sur mes jambes pour continuer d’avancer. Les sons devinrent progressivement métalliques. Je ne discernais plus rien. Je commençai à accomplir ma divine purification en frappant à l’aveugle, brandissant mon morceau de métal dans tous les sens. Puis j’ai réalisé que je ne pouvais pas bouger les bras non plus. J’étais ceinturé. « Laissez-moi faire ! Hurlais-je. Personne ne mérite de vivre, moi non plus ! » La douleur commença à devenir trop aigüe. Mon coup de sang n’était plus suffisant pour me permettre d’avancer et je me sentis rendre devant moi, m’agenouillant lamentablement dans mon vomi comme si je n’étais de doute façon pas capable d’autre chose que d’échouer. « Ahhh tuez-moi je suis un déchet ! ».

Quelqu’un me parla, je ne compris pas réellement ce qu’il me dit.

« On a besoin d’un Downer ! » entendis-je. Puis l’on me fit basculer vers l’arrière. La lumière du jour était cachée par les nombreuses silhouettes qui me maintenaient immobile. On noua un tissu sur mon nez et ma bouche. L’odeur qui s’en dégageait était des plus industrielles, des plus chimiques, des plus toxiques. Immédiatement, je dégueulais de nouveau. Avec une synchronisation parfaite, la main qui maintenait le tissu sur mon visage me libéra pour me permettre d’évacuer. Cette fois, l’intégralité de mes tripes sortirent par ma bouche dans une toux sanglante. Les vapeurs venaient engourdir mon cerveau, jusqu’à ce que ma conscience cède la place à n’importe quoi d’autre aux commandes de ma tête, abandonnant mon corps au premier rat qui en voudrait bien.

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