Chapitre 22 : La Zone d’Éducation Prioritaire

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Après quelques semaines passées au centre, les délibérations furent faites au sujet de notre future place dans la société. Elles semblèrent compliquées. Aucune entreprise ne voulut de nous en se fiant aux profils de personnalité que les tests nous avaient attribué. « Marginal », « Inadapté », « Management difficile » etc. sont le genre de termes qui figuraient sur nos dossiers. Mes tentatives d’expliquer que je pouvais être utile dans la recherche en mathématiques, que quelques siècles de découverte pouvaient se rattraper ne firent que renforcer mon image d’insoumis et l’idée selon laquelle j’allais constamment contester leur jugement. Anabella n’eut pas l’opportunité de défendre ses compétences tant l’enseignement de l’Histoire avait sensiblement perdu de son importance au vingt-septième siècle. Il fut temps pour nous de quitter le service pour suivre un programme spécial. Un matin, nous fûmes accompagnés à l’extérieur, dans une aire de transfert. Tout fut très rapide et nous n’eûmes pas le temps de dire au revoir à Adi. Par chance, et par précaution, nous avions décidé de garder un contact télépathique avec lui.

Anabella était très anxieuse, elle gardait les mains posées sur son ventre. Je lui demandai si elle avait mal. Elle me regarda dans les yeux et ne répondit pas. J’insistai en déposant un baiser sur son front. Satisfait de ma bienveillance, je l’entendis alors penser « C’est mignon mais tu comprends vraiment rien ». Elle ne cessait de frotter son ventre, jusqu’à ce que l’évidence me frappe ! Comment avais-je pu ne pas comprendre avant ? « Ça y est ? » me dit-elle alors.

Anabella était enceinte. J’eus la curiosité de me demander si elle portait mon enfant ou celui d’un autre. Je m’efforçais de ne pas le penser trop fort, mais sans doute mes efforts furent-ils insuffisants car je la senti virer dans une rage noire. Pas de doute, c’était mon enfant qu’elle portait. Je me demandai si c’était une bonne chose ou non, étant donnée la situation compliquée, mais je ne pus m’empêcher d’être heureux malgré tout. Anabella s’est apaisée en quelques instants, rassurée par mon soutien, ou rattrapée par la réalité de l’instant présent.

Un œuf assez similaire à celui que j’avais emprunté au centre spatial vint nous chercher. Les agents de sécurité laissaient entendre qu’il nous fallait monter à l’intérieur. Anabella était tétanisée, elle s’agrippa à mon bras et nous montâmes ensemble, oppressés par cette situation de détention. Une fois à l’intérieur, l’œuf se mit à se déplacer assez rapidement. Nous appelâmes Adi. Il fut surpris de la rapidité avec laquelle les choses s’étaient emballées et nous fit part de ses craintes. Il nous raconta l’histoire d’un petit garçon, du temps où il était encore un enfant, qui avait été envoyé à « l’asile » et qui aurait disparu dans l’indifférence générale. De mon côté, je trouvais Adi un peu paranoïaque et cherchais à le rassurer. Anabella, elle, entendit son histoire différemment.

« Adi, qu’est-ce qu’on doit faire ? S’inquiéta Anabella.

— Je ne sais pas. Je suis désolé. Il faut que vous réussissiez à partir d’ici, je ne vois rien d’autre. Il n’est plus question de suivre les directives.

— Comment on va partir d’ici ? J’ai demandé à la jeune IfAs de notre étage, elle dit qu’on ne quitte pas le site. Tu crois qu’ils vont nous tuer ?

— C’est inacceptable d’avoir des clones inadaptés, mais économiquement, ça coûte aussi très cher de produire un clone neuf. La gestation coûte une fortune, puis ensuite l’élevage jusqu’à ce qu’il soit en mesure de travailler coûte cher aussi. La question qui se pose est de savoir si vous êtes « récupérables » ou non, et quel serait l’investissement nécessaire pour vous faire entrer dans le droit chemin. Il faut bien se dire que des clones dissidents peuvent entraîner un mauvais comportement viral chez les autres employés ce qui fait peur à tout le monde. Il est aussi probable que vous travailliez pour une structure gérée par le consortium, c'est-à-dire que les risques soient partagés et non pas portés par une seule entreprise.

— Quel type de métiers cela pourrait être ?

— La prostitution semble un choix standard assez adapté.

— Tu trouves que j’ai l’air d’une pute connard ? s’emballa Anabella une fois de plus, me prouvant qu’elle usait de plus en plus souvent d’une liberté de ton que je lui connaissais peu avant notre départ.

— Cette manie que vous avez de ne pas entendre les faits… soupira Adi. C’est un métier très répandu dont les conséquences d’une erreur de « protocole » sont moins importantes qu’ailleurs. Ameer et toi avez un physique irrégulier et inhabituel mais qui attire plutôt l’œil et la curiosité.

— Tu te prends peut-être pour une gravure de mode ? s’énerva-t-elle encore.

— Je ne fais que chercher… dit Smith calmement, sans prêter attention aux sautes d’humeur d’Anabella. Restons-en contact télépathique le temps que je trouve quelque chose »

Je dois dire, que les sautes d’humeur d’Anabella me réchauffèrent le cœur et témoignèrent de l’énergie qui restait encore en elle. La peur l’étreignait toujours mais elle luttait à sa façon. Quant à moi, je gardais un semblant de sourire qui de toute façon ne devait pas être bien convainquant puisqu’elle lisait en moi par lien télépathique ainsi que par la pression phénoménale de mon pouls qui s’emballait. Nous vîmes l’une de ces parois de plexiglas qui fermait l’entrée d’un tunnel à l’extérieur.

« Adi, on passe sous un tunnel ! ». Je regardai Anabella, elle me regarda aussi. Puis un rire retentit, sans doute nerveux, car cette phrase nous rappela chez nous.

« Ah c’est pas vrai, s’exclama Adi.

— Quoi ?

— La communication va être coupée... »

Jusqu’ici, nous n’avions pas compris l’intérêt de ces parois de plexiglas qui disparaissaient et réapparaissaient à volonté. Il semblait que ce système était utilisé pour couper toute forme de communication télépathique. Pour être très honnête, et bien que ce ne fut pas du tout le moment d’y penser, je jugeai à cet instant qu’une bonne paroi à l’ancienne munie d’un revêtement adéquat aurait sans doute fait l’affaire. Anabella me regarda, je voulus lire dans ses yeux et interpréter son message, usant de l’ancienne méthode de nos aïeux. Mais finalement, je reçu directement un message télépathique de sa part « C’est à ça que tu penses en ce moment imbécile ? ». En réalité, ce fut plus une espèce de bouillie confuse d’insultes, j’ai simplement fait l’effort de reconstituer une phrase structurée de sa part. Je me reconcentrai sur notre problème, à savoir que nous étions emmenés quelque part de manifestement isolé et qu’Adi était alarmé par ce qu’il jugeait pouvoir se passer dans ce centre. Je me pris alors à penser qu’Adi était un peu paranoïaque et que c’était peut-être donner trop de crédit à son jugement que de nous inquiéter de la suite de notre séjour. Je ne levai pas la tête mais sentis, une fois de plus, le jugement sans appel d’Anabella. Elle avait cette fois les deux mains placées sur son ventre, en signe d’anxiété, ou de protection.

Peut-être fut-ce le moment de la rassurer. D’attraper sa main pour lui signifier que j’étais là pour elle, et aussi pour notre petit en formation depuis plusieurs mois. « Touche moi et je te pète les dents ! » entendis-je. Cette saleté de communication télépathique commençait sévèrement à me fatiguer !

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