Chapitre 19 : Renaissance

7 minutes de lecture

Anabella et moi fûmes emmenés dans un centre appelé Centre de Réintégration Citoyenne. On nous expliqua que comme nous n’étions pas des clones, nous n’avions pas bénéficié de « l’élevage ». Par conséquent, il fallait définir quelle était la place qui nous convenait le mieux dans la société et nous former à la tenir. A notre arrivée là-bas, nous vîmes des centaines de clones pour la première fois. Il est bête à dire que tous se ressemblaient, mais ce fut terriblement impressionnant de voir des hommes et des femmes circuler et se croiser comme des familles de centuplés. Des médecins et spécialistes en tous genres vinrent nous ausculter et prélever de notre sang. Ils semblaient tous décontenancés par une expérience aussi inédite que d’étudier deux non clones dont les gènes sont complètement aléatoires. Alors que j’essayais de positiver, Anabella ne décrochait pas un mot. Elle était toujours furieuse d’avoir été bernée. Je craignais qu’elle ne tente des choses improbables comme une évasion par exemple. Etant donnée la difficulté de leur tâche, les dirigeants du centre décidèrent de nous inscrire à un cours général en attendant qu’un programme approprié nous soit trouvé d’ici quelques mois. De plus on nous installa chirurgicalement un petit appareil appelé amplificateur. Cet appareil permettait, via un contrôle simple derrière l’oreille, de communiquer par téléphone, ou plutôt par télépathie, de naviguer sur une espèce de base de données du type d’internet, mais cette base de données était tellement brouillonne et remplie de milliards d’informations mal rangées qu’il était compliqué de trouver ce qu’on y cherchait. On y trouvait plutôt ce que d’autres voulaient bien qu’on y trouve. Cet appareil permettait également de recevoir des programmes d’information, publicitaires, de divertissements etc, avec ou sans visuel, directement dans notre cerveau. Si nous avons d’abord été réticents à l’idée de se faire implanter ce genre de technologie, on nous a rapidement fait comprendre qu’il était handicapant de ne pas en avoir, voire même, que nous n’avions pas réellement le choix. Ce fut un changement incroyable pour nous, comme si une nouvelle dimension, enfin encore une dimension de plus, s’ouvrait à nous. Nous étions devenus plus que des humains, ou autre chose. Nous étions en contact avec le monde, tout le temps. Tout n’était pas forcément très intéressant et beaucoup de publicités venaient nous parasiter au point où nous préférions, la majorité du temps, ne pas utiliser la fonction de réception générale. « Goûtez à la nouvelle formule MétaSweet ! Hop j’avale un MétaSweet et il prend immédiatement le goût que je préfère ! Testez la nouvelle formule de MétaSweet encore plus précise, encore meilleure, encore plus Métaaaaaaaaaa… »

Anabella et moi décidâmes néanmoins de rester télépathiquement en contact. Au bout de quelques jours, je m’étais habitué à la présence de l’appareil, après trois ou quatre semaines je commençais à sentir une sensation étrange d’être complètement dans la tête d’Anabella. Elle aussi eut cette sensation. Elle redouta de devoir rester ainsi, de peur d’avoir des pensées parasites qu’elle n’aurait pas voulu que j’entende. Je ne sais pas comment fonctionne cette technologie mais les pensées inconscientes qui arrivent constamment de façon incontrrôlables sont bloquées car elles ne doivent pas tout à fait avoir la même fréquence d’onde cérébrale. Anabella et moi entamâmes notre nouvel apprentissage, l’un dans la tête de l’autre. Anabella fut surprise du peu d’importance accordé à l’enseignement de l’histoire. Elle du s’instruire elle-même en lisant des livres. Enfin ce qui remplace les livres de papier, à savoir de tout petits tubes de quelques méga octets de données consultables télépathiquement. Cette technologie télépathique était vraiment incroyable et permettait de nombreuses avancées. Je fus surpris de voir que des disques durs n’étaient pas encore implantés dans les cerveaux humains, pour que le contenu de ces livres soit immédiatement téléchargé dans la mémoire. Les recherches d’Anabella m’apprendront plus tard que certains matériaux étaient devenus rares. L’utilisation des amplificateurs télépathiques permis d’ailleurs d’économiser la fabrication de millions d’écrans.

Alors que je tentai vainement de convaincre les éleveurs que mes connaissances mathématiques pouvaient être utiles, Anabella, studieuse, lisait à la bibliothèque. Elle fut fascinée par l’âge d’or des hommes, l’ère des robots. Les progrès en termes de robotique et d’intelligence artificielle furent fulgurant à la fin du vingt-deuxième siècle. Les applications furent nombreuses et leur nombre explosa au vingt-troisième siècle. Les différentes usines de production allégèrent le travail humain grâce à des machines automatiques, plus performantes, et qui étaient dotées de jugement et de capacités de prise de décision pour faire l’intégralité du travail. Des robots techniciens étaient programmés pour diagnostiquer et réparer la quasi-totalité des problèmes techniques que les premières machines de production pouvaient rencontrer. Le mot d’ordre était de réduire la charge portée par les hommes, ce qui avait induit de gros soulèvements protestataires de notre temps. D’autres robots humanoïdes étaient utilisés pour des besoins ménagers, et même pour satisfaire des besoins sexuels. Cette époque fut appelée l’âge d’or des Hommes car les richesses produites permettaient à l’ensemble de l’humanité de travailler beaucoup moins.

Durant sa lecture, Anabella se sentit dérangée par un clone qui la regardait avec insistance. C’était un mâle bien sûr. « Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? Encore un frustré de la bite qui me dévisage, pensa-t-elle. Le monde n’a finalement pas tant changé que ça, les hommes restent des hommes. Toujours aussi cons et inutiles. » Elle savait que je l’entendais mais je sentis, dans les sentiments qu’elle m’envoyait, qu’elle sur-jouait volontairement son exaspération pour me taquiner. Elle reprit sa lecture pour découvrir que l’oisiveté finit par faire tourner en bourrique l’espèce humaine. Le constat est que moins nous sommes occupés et plus nous consommons n’importe quoi et souvent. Que ce soit du matériel pour des loisirs, de la nourriture, des transports pour satisfaire de nouvelles passions etc. Le consumérisme avait également atteint son paroxysme pour le plus grand bonheur des grandes entreprises et la population mondiale avait atteint un plateau de 11 milliards d’individus. La production de nourriture n’était plus du tout suffisante et dans tous les pays du monde, la décision fut prise de limiter les naissances. C’est dans le courant du vingt-troisième siècle et jusqu’au tout début du vingt-quatrième que toutes les nations du monde se sont unies en un état unique divisé en six continents. L’âge des machines atteignit alors ses limites car l’épuisement des ressources non renouvelables, majoritairement les métaux, rendit la production et le remplacement des machines difficile voire impossible. Ironiquement, les Hommes durent se remettre au travail pour remplacer les machines. Plusieurs programmes spatiaux ont permis de chercher du minerai sur d’autres planètes ou comètes mais ces programmes n’étaient pas suffisamment rentables pour qu’il fût raisonnable de continuer d’utiliser des machines quotidiennement. Les machines vieillissantes devinrent moins performantes. Certaines, d’excellentes qualités fonctionnent encore de nos jours et une valeur très importante leur est accordée. D’une façon générale, tous les métaux ont une valeur importante. C’est la raison pour laquelle le transhumanisme n’a pas été tellement développé.

L’homme qui regardait Anabella était toujours là. Il se leva sans la lâcher des yeux. « Bordel, Ameer, je crois qu’il va venir me parler ce gros lourd ». Il fit quelques pas pour s’approcher d’elle quand on entendit un éleveur appeler : « AdCS187 – Smith ? ». Il sembla que le clone en question fut concerné. « Smith de la chambre trois cent quarante-sept ». Anabella le vit partir avec l’éleveur. « Ouf, sauvée par le gong. ».

Elle alla continuer sa lecture dans un coin moins exposé.

La biologiste et généticienne Norma R.Shelton révolutionna l’ère des robots. L’économiste Ethan Mc Nora avait formulé l’idée que l’épuisement des ressources rendrait l’utilisation des robots caduque et que seule une main d’œuvre organique était suffisamment renouvelable pour être viable et rentable. Le problème était que la charge très importante portée par les machines, et permettant une production phénoménale dans tous les domaines, était difficile à remplacer par une main d’œuvre humaine. Norma R Shelton s’appuya sur sa thèse pour entamer des recherches sur la gestation d’humains artificiels. Ces humains seraient fabriqués en respectant l’isolement de gènes utiles pour qu’à chaque tâche, les travailleurs humains soient le mieux optimisé possible. Des données statistiques furent recueillies pour évaluer les performances des employés dans tous les domaines et déterminer les meilleurs gènes. L’ampleur fut telle qu’une automatisation du recueil et du traitement de ces données fut nécessaire. Ainsi les plus grands biologistes travaillèrent à concevoir des algorithmes d’amélioration continue pour que les robots qui traitaient les données statistiques conçoivent des sélections de gènes toujours plus adaptées aux besoins. Tout d’abord, on remplaça la main d’œuvre et progressivement, des commandes furent faites pour remplacer les dirigeants et managers. Le besoin croissant de clones et la présence inutile d’humains « de souche » amorcèrent des problèmes de chômage. En effet, les humains de souche, peu optimisés, manquaient de performance et étaient délaissés par les entreprises qui leur préféraient des ressources « sur mesure ». Étant donné que le poids financier de ces créations humaines reposait sur les entreprises, celles-ci réclamèrent qu’un contrôle des naissances soit mis en place. Petit à petit la proportion d’humains de souche diminua, notamment parce que les algorithmes de choix des gènes, qui travaillaient de façon autonome sélectionnèrent des combinaisons générant des clones stériles. Le manque de référencement de l’époque, et le mélange des populations d’humains de souches avec les celles d’humains transgéniques aboutit en quelques décennies à une stérilisation totale de l’humanité. La population humaine étant devenue entièrement transgénique, elle était exclusivement composée d’employés commandés par les entreprises pour leurs besoins. Il sembla normal que celles-ci aient le contrôle de leurs employés. Le gouvernement de l’Etat mondial fut donc progressivement dirigé par les présidents d’entreprises, tout d’abord sous forme d’actionnariat, puis finalement directement. L’assemblée gouvernementale fut renommée en « Consortium ». Le Consortium n’est pas élu, les meilleurs dirigeants possibles sont définis par les algorithmes, eux-même programmés par les anciens humains de l’ère des robots…

« Tu entends ça Ameer ? il n’y a plus du tout d’humains comme toi et moi ! »

L’heure du midi approchait et Anabella stoppa sa lecture pour me rejoindre au réfectoire.

« Je suis Jared Myers, le maire d’Egality City. Qu’avez-vous prévu pour vous détendre ce dimanche ? Pourquoi ne pas venir faire un tour au nouveau zoo d’Egality City pour y voir des flamants-caméléons ? A moins que vous ne préfériez passer une bonne journée de shopping aux Galleries Luxon Store ? L’accès à tout, pour tout le monde ! C’est ainsi qu’on conçoit l’égalité dans notre ville ! »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Bakum_babo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0