Chapitre 14 : La version d’Ameer

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Peu de temps après avoir quitté la pièce, Connor revint, sans Anabella cette fois. Je la cherchai des yeux quand Connor s’assit en face de moi et interrompit tout de suite mon interrogation « Votre collègue nous rejoindra plus tard, je souhaitais avoir un entretien avec chacun d’entre vous seuls à seuls. Vous n’y voyez pas d’inconvénient ?

— Non non, bien sûr. Si je peux répondre à quelques questions, je le ferai avec plaisir. Le problème c’est que…

— Vous ne vous souvenez plus de rien, n’est-ce pas ? m’interrompit-il à nouveau.

— Euh, et bien non. J’imagine qu’Anabella a dû vous en parler.

— Oui en effet, c’est bien ce qu’elle a dit. Comment avez-vous perdu la mémoire déjà ? »

L’interrogatoire était à peine commencé que j’étais pris de sueurs. Je me suis senti comme lorsque j’étais écolier et que mon instituteur m’interrogeait sur une leçon que je n’avais même pas lue. Sauf qu’en cet instant, j’ai regretté de ne pas être devant mon instituteur… Il ne fallait pas que je prenne trop de temps pour réfléchir à une réponse, il fallait que ça vienne vite. Il fallait que je sois à la hauteur d’Anabella. J’inventai donc quelque chose de flou.

« Je ne me souviens pas précisément de ce qui nous a mis dans cet état, mais je me souviens avoir été très secoué. J’ai perdu connaissance quelques temps, peut être plusieurs heures et je me suis réveillé flottant hors de ma cabine dans un état nauséeux et avec un mal de crâne incroyable. » Je m’apprêtais à ajouter des détails pour être crédible, quelque chose comme « Anabella était encore inconsciente, je suis allé la voir », mais j’avais tellement peur qu’elle eût dit quelque chose de contradictoire que j’ai préféré me taire. Ma gestuelle corporelle devait sans doute trahir un malaise assez intense. Connor reprit ses questions : « Vous rappelez vous quel modèle êtes-vous, Ameer ? »

— Excusez-moi ?

— Oui, votre modèle, Ameer, vous rappelez vous ce que c’est ? »

Je senti mon visage chauffer, bouillir. Il ne fallait pas qu’il le vît alors je cherchais à le cacher en regardant légèrement vers le bas. Ce n’était pas suffisant pour complètement cacher ma rougeur. Je commençai à gesticuler comme le pire des menteurs que le futur ait connu.

« Détendez-vous Ameer, je vous sens crispé. Dites-moi tout ce que vous savez et tout ira bien.

— Oui en effet, je ne suis pas tout à fait à mon aise, plaidai-je, jouant la carte de la franchise. Vous savez nous avons eu très peur. Imaginez-vous, vous vous réveillez dans un vaisseau spatial, vous ne savez pas ou vous êtes ni ce que vous faites là. Vous ne vous souvenez plus qui vous êtes. Puis on vous pose des questions et vous ne savez pas répondre. Je suis un peu décontenancé par tout ça. »

Ce fut mon meilleur argument. Celui que je voulais garder pour plus tard. La carte joker qui aurait pu me permettre de respirer un peu.

« Je vous présente mes excuses pour cette sollicitation. Croyez bien que je m’efforce de terminer au plus vite. Faites de votre mieux, ce sera très bien. Vous avez donc perdu la mémoire suite à un choc dont vous ne vous souvenez pas l’origine. Une chose m’interpelle, vous avez décliné l’identité de votre vaisseau lors du premier contact radio, était-ce avant ou après votre perte de mémoire ? »

Sa courtoisie de façade cachait un homme déterminé à me faire cracher le morceau. J’avais annoncé que j’avais perdu connaissance et m’étais réveillé au milieu de nulle part. Avoir perdu connaissance après mon premier contact radio n’avait pas de sens, cela aurait rendu le second contact confus et incohérent. Il me fallait répondre quelque chose, je tentai de prendre de l’assurance.

« Oh c’était bien avant, nous étions bien plus loin de la Terre quand nous avons perdu connaissance. Nous avons dû trouver le nom du vaisseau sur le tableau de bord, le nom de Vernes III gamma est inscrit sur les écrans de contrôle. Heureusement que nous avons au moins eu cette information, ajoutai-je en feignant la décontraction.

— Oui, en effet. Les vaisseaux non identifiés ne sont pas toujours les bienvenus. Mais comme vous le voyez, nous vous avons tout de même secourus. Je ne sais pas si je vous l’ai dit mais Vernes III gamma est totalement inconnu de mes équipes. »

Je ne répondis rien à cette remarque. Un simple mouvement horizontal de la tête indiqua que je n’étais pas au courant. Il reprit « Avez-vous une idée d’où peut provenir votre vaisseau cher Ameer ? Sans doute du même endroit que cet accent étrange que vous avez. Votre collègue Anabella m’a dit que vous veniez du continent un c’est bien ça ? »

Le continent un ? Qu’est-ce que c’était que ça ? Anabella aurait pris un tel risque ? Il fut possible qu’elle eût entendu un indice lui laissant penser que les continents étaient numérotés. Ne sachant pas quel numéro donner, et suivant la bonne logique, il était normal qu’il y en ait au minimum un. Le moins risqué fut donc de dire qu’elle venait du continent un. Je tentai de tempérer le propos. « Euh, oui nous venons du continent un, mais je ne sais pas si notre vaisseau vient de là-bas. Je ne me souviens de rien sur l’origine de la mission.

— Je vois, répondit-il l’air presque imperceptiblement agacé. Au fait, vous ne m’avez toujours pas dit quel est votre modèle ? »

Je ne comprenais pas ses histoires de modèle, mon modèle de quoi ? « Tout ce que je sais, c’est que le vaisseau s’appelle Vernes III, mais je ne connais pas son modèle. Je ne suis pas capable de citer un quelconque modèle de vaisseau, je ne pense pas que ce soit ma formation.

— Votre modèle de vaisseau… Bien allons à l’essentiel. De quoi vous souvenez vous ? Dites-moi n’importe quoi. Vous vous souvenez du continent un n’est-ce pas ? Alors parlez-moi du continent un.

— Ecoutez, monsieur…

— SpGe1000 – Connor

— …SPG Emile-Connor. Mes souvenirs remontent à ma petite enfance, je ne suis pas sûr de bien vous aider en vous parlant de mes parents.

— Je crois qu’au contraire, cela m’aiderait beaucoup que vous me parliez de vos parents. Vraiment ! »

L’étau se resserrait progressivement. Ma capacité d’improvisation atteignait ses limites. En fait, j’étais déjà hors des limites depuis la première question. Le blocage me pendait au nez, impossible de trouver quelque chose à répondre. Quelques bribes d’idées se mettaient lentement en forme dans ma tête. Grande ville, petite ville ? J’optai pour une petite ville, pour qu’il ne puisse pas connaître son nom. Les écoles existaient-elles toujours comme maintenant ? J’allais dire qu’ils avaient fait mon éducation. Au pire je serais passé pour un marginal, mais cela aurait été crédible. Des frères et sœurs ? Non pas de frères et sœurs pour éviter les questions. Je commençai à parler « Et bien j’ai …

— Ne vous donnez pas cette peine aujourd’hui. Vous me l’avez dit, vous êtes fatigué et choqué. Je vais vous laisser vous reposer et rejoindre votre collègue. Navré pour cet accueil protocolaire. Nous allons vous trouver une loge confortable.

— Non, ne vous inquiétez pas, vous ne faites que votre travail. Merci pour votre accueil, pour le repas et merci de ne pas nous avoir laissés tous seuls là-haut.

— Je vous en prie. Veuillez suivre Gordon, je vous reverrai très rapidement. Prenez le temps de vous reposer.

— Excusez-moi Monsieur SGP…

— Appelez-moi général, ce sera plus simple pour vous je crois.

— Oui, général, j’aurais espéré que nous pourrions sortir, peut être que nous avons de la famille qui nous attend ?

— Vous comme moi savez bien que ce n’est pas le cas, monsieur Saliba. Nous ne pouvons pas encore vous laisser sortir. Allez avec Gordon.

Il quitta la pièce. Gordon entra sans parler, du haut de son mètre quatre-vingt-dix et avec son arme pendant à une lanière, je n’eus pas eu le cœur à essayer de le convaincre de la crédibilité de mes propos. Et puis, je devais retrouver Anabella. J’ai donc traversé la paroi, accompagné de Gordon, muet comme une tombe. Nous sortîmes du bâtiment principal. Dehors, Gordon m’a escorté jusque dans une cabine en forme d’œuf. Il n’eut pas besoin de parler pour que je comprenne que je devais entrer dedans. J’entrai sans broncher, confiant, comme si je n’avais rien à me reprocher. Les reflets de lumière, sur la visière teintée de son casque rendaient les yeux de Gordon difficilement visibles. Cependant j’eus la sensation qu’il me fixait d’une façon inhabituellement insistante. Au bout de quelques secondes, il détourna le regard et fit demi-tour. L’œuf commença à léviter. Je ne voyais pourtant pas de câble pour le tenir. Au sol, certaines dalles étaient différentes des autres sur une largeur comparable à celle de l’œuf. Un revêtement métallique bleuté traçait un chemin sur le parvis extérieur. La cabine se mit à suivre ce chemin, tout en prenant de l’altitude. Malgré la situation, je ne pus faire autrement que de profiter de cet instant de découverte. En prenant de la hauteur, j’eus le spectacle d’une vue surréaliste sur ce nouveau monde. La silhouette d’une ville gigantesque rayonnait en contrejour à l’horizon, et semblait fusionner avec le ciel. Des grattes ciels immensément plus hauts que ceux de New York étaient dominés par d’autres structures aux formes florales, comme des plates-formes qui semblaient flotter au-dessus de la ville, maintenues par des piliers de verre, et qui formaient un toit fleuri aux plus hautes terrasses. A l’extérieur de la ville, pas un mètre carré de champ ne restait vierge. Des machines volantes aspergeaient les cultures en continu et des milliers d’Hommes grouillaient comme des fourmis à l’ombre de ces immenses oiseaux de fer, retournant inlassablement la terre. La lumière du soleil couchant traversait des immeubles de verre et formait, à travers ces prismes, un étalage de teintes aériennes qui plongeaient les ombres des travailleurs dans un bain de couleurs onirique. Ce joli moment prit fin après quelques instants, au moment où ma cabine volante termina sa course. Elle me déposa sur la terrasse d’un bâtiment, à une cinquantaine de mètres de hauteur. Sur place Gordon était là pour m’escorter. Je fus bluffé par la rapidité avec laquelle il avait atteint ce point avant moi. « Gordon ? Vous auriez pu monter avec moi ! » Il me regarda l’air surpris et ne répondit pas. Il passa son bras dans la projection lumineuse d’un petit détecteur encastrée dans le sol. Devant nous, il y avait deux portes. Des portes que je qualifierais de « classiques », qui ressemblent à celles que j’avais l’habitude d’ouvrir de mon temps. La porte de droite s’ouvrit. Il me fit entrer, directement depuis la terrasse, dans une chambre qui ressemblait à un petit appartement. Derrière moi, Il repartit dans l’œuf par lequel j’étais arrivé. Je ne pris pas le temps d’inspecter l’intérieur, je fis immédiatement demi-tour sur la terrasse pour voir si Anabella était derrière l’autre porte. A l’instant où je remis le pied sur la terrasse, la porte d’à côté s’ouvrit. Anabella était là. Elle sauta à mon cou pour m’embrasser.

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