CHAPITRE 29 : Le Nouveau Monde

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« Räeztakotedlu ii okaoYlsreve ii rae »

Quelle langue étrange ! Cela faisait une demi-éternité que ces êtres me parlaient sans que je ne comprenne un mot de ce qu’ils disaient. J’étais passé de l’autre côté, là d’où on ne revient pas. Il me fallut un temps considérable pour que je parvienne à me dire que j’étais en train de penser, et que j’existais toujours, sous une autre forme flottante. Peut-être pas flottante, mais une forme sans masse. La Terre me semblait tellement lointaine, et mon passé irréel. La réalité, la vraie, n’avait pas de forme tangible, elle n’était faite que de notions, de savoir, d’idées. Seuls ces êtres, qui venaient régulièrement me parler m’étaient incompréhensibles. Je les sentais bienveillants. Je les laissais prononcer leurs mots qui berçaient la paix de mon existence, sans chercher à les comprendre.

« AtiletenooRïojoorudu 8 ». « Too taleR 8 Ylaboo Ge ». « Sebo sin Laenkorbezoo 1 drekupeeRë ».

Ils flottaient autour de moi. Pas comme moi je flottais, ils flottaient plus haut, ou plus loin. Ils avaient un état supérieur de conscience, ils n’étaient pas dans le bien être paisible et léthargique dans lequel j’étais. Ils disparaissaient, revenaient comme bon leur semblait. Parfois ils émettaient ces sont étranges, d’autre fois, malgré leur absence de forme, leur absence de couleur, comme pour tout le reste de cet au-delà d’ailleurs, je sentais leur présence muette. Puis, au bout d’un certain temps, si le temps avait encore un sens, la volonté de les comprendre tournait dans ma tête. Il me fallait me familiariser avec cet environnement.

Allais-je rester ici pour l’éternité ? Était-ce un lieu transitoire avant un ailleurs ? Était-ce plutôt une sorte de période pré-mortem au-delà de laquelle il n’y avait plus rien ? Allais-je devenir un de ces êtres aux formes et à la langue étrange ? J’essayai de m’élever moi aussi, comme eux. Je fis un effort spirituel qui n’eut aucun effet, puis un effort physique.

« JekroäkiYlseRaëVeï ». Ils parlèrent encore. Je fis un effort supplémentaire pour m’élever. « YlsapuuYsursekood » Je sentis alors un contact, mon premier contact avec eux. Une sensation étrange sur mon bras me fit entrer un peu plus dans leur monde, je devenais progressivement un peu comme eux, par volonté. Je les comprenais mieux.

« VeysurLuiJepen se kil emerj ». Leurs paroles n’étaient pas parfaitement claires mais elles prenaient sens. Ils veillaient sur moi. Je devais continuer mes efforts. Je pris une grande respiration, comme si je faisais pénétrer cet univers en moi, pour m’aider à fusionner avec lui. Puis une nouvelle fois, je poussais. Je pris alors conscience d’un appui physique, sous mon dos. Cet appui n’existait pas jusqu’alors. Je l’avais fait apparaître par la force de mon esprit. Mes jambes et bras étaient là à nouveau, peut être des ailes également. Je gigotais les omoplates ainsi que les genoux. Ils me touchèrent encore, ils avaient des mains, des mains chaudes. « Il se réveille ! »

C’est alors que j’ouvris les yeux, pour voir enfin le monde.

« Hé ! Vous êtes réveillés ? ». Un homme me parlait avec un langage étrange, tout était très lumineux, je ne le vis pas tout de suite. « Vous avez dormi longtemps vous savez, vous avez manqué d’y rester grâce aux exploits de Hicks ». Il s’agissait d’un très vieil homme. Il était assis à côté de moi dans une pièce plutôt délabrée. Ses cheveux étaient blancs, sa barbe aussi était blanche. Sa peau était couverte de dizaines de petites tâches et était extrêmement ridée. La luminosité fut, d’un coup, moins violente comme si l’on avait éclipsé le soleil au moment où j’en eus besoin. J’observai dans l’autre direction pour apercevoir une montagne, silhouette qui m’était familière de par sa taille et de par la barbe hirsute qu’elle portait. Une brise de panique commença à envahir mes poumons.

« Ne vous inquiétez pas dit l’homme, Hicks est un très gentil gars, et serviable. Malheureusement son passé et la situation l’ont rendu hostile envers les gens de la ville, vous en avez fait les frais. Dit-il en rigolant.

— Iaesse…

— Ne parlez pas encore. Nous allons vous apporter de l’eau. Je vois que Hicks vous gêne. Hicks laisse nous, c’est mieux. Demanda-t-il. Je ne veux pas trop vous fatiguer. Vous êtes encore faible. Je reviendrai vous voir plus tard, dormez. »

Je n’étais donc pas mort, et n’avais pas encore mérité de me reposer ailleurs. C’était une occasion de venir en aide à Ameer et Anabella que j’avais laissé derrière moi. Sans moi, personne ne viendrait les aider. Cette simple auto suggestion fut suffisante pour me décider à recouvrer vite mes forces, à ne pas regretter mon repos. Je me sentis plus vivant que jamais, reconnaissant d’avoir une seconde chance. C’est ainsi qu’en quelques jours, je retrouvais mes forces.

J’étais debout pour la première fois depuis un certain temps à en juger par la longueur de ma barbe. J’étais resté allongé sur un matelas de paille posé au sol. La pièce qui m’avait accueillie poussiéreuse et les murs bien abîmés. Il n’y avait aucune peinture, aucun revêtement au sol, ni fenêtre ni volets, simplement un drap cloué sur l’ouverture murale en guise de moustiquaire.

« Vous êtes levé à ce que je vois. Je suis rassuré que vous alliez mieux. Je n’aurais pas aimé que vous ayez été tué.

— Bonjour. Vous êtes la personne qui a veillé sur moi ?

— Oui, sourit-il. Je suis Miroslav Voronhof, appelez-moi Miroslav.

— Votre façon de parler est …

— Russe, compléta-t-il, une fois de plus en rigolant.

— Vous êtes …

— Je viens du passé, dit-il une fois de plus à ma place, comme s’il lisait le contenu de ma tête. »

Je vérifiai que mon amplificateur était fermé, il l’était. C’était incroyable, un autre Homme venu du passé se tenait là devant moi, frêlement appuyé sur une canne. Il trouvait l’énergie de rire à chaque parole alors qu’il semblait ne pas avoir la force de s’assoir sans aide. Il reprit.

« Je vois aisément que je ne suis pas la première personne du passé que vous connaissez.

— Non en effet. Je suis tout de même surpris par votre rencontre, ce n’est pas une chose courante, bien que j’aie l’impression que depuis quelque temps c’est la saison des Hommes venus du passé.

— Ahahaha, rit-il en coiffant sa courte barbe blanche avec sa main libre. Je le savais ! Lors de votre altercation avec Hicks, vous avez prononcé le nom d’Ameer et Anabella. Ce ne sont pas des noms courants par ici ! Je pense même qu’ils n’existent pas du tout. Cela fait quarante ans qu’à tout hasard, je cherche à les retrouver, eux et quelques autres.

— Vous les connaissez ?

— Oh je les connais oui, et soyez en heureux cher homme de la ville, car dans le cas contraire vous seriez mort ! »

Il m’expliqua qui il était. Qu’il fut un « diplomate » et qu’il avait changé de voie pour devenir médecin, ce que je ne compris pas malgré ses explications, qu’il avait participé au programme Vernes III au vingt-deuxième siècle et qu’il avait voyagé à bord du vaisseau bêta. Son vaisseau était programmé pour être envoyé en l’an 2332, mais un décalage de trajectoire dans son programme l’a fait arriver ici il y a quarante ans. Sa coéquipière et lui eurent des soucis de radio et ne purent contacter une base terrestre quand ils étaient dans l’espace. Ils tombèrent dans l’océan pacifique un jour de tempête et dérivèrent sur une île. Il est fort probable qu’une chute d’objet non identifié ait été détectée mais les recherches ont dû être abandonnées rapidement puisqu’un corps tombant dans le pacifique en plein tempête est assez compliqué à retrouver, surtout s’il n’a pas pu être identifié par signal radio auparavant. Miroslav et Katsuki restèrent prisonniers plusieurs semaines de leur île jusqu’à ce qu’un bateau de commerce les repère et les récupère. Sur place, ils ont compris qu’ils étaient arrivés bien trop loin dans le temps, que la société était composée d’humains génétiquement fabriqués et qu’il était préférable qu’ils ne se déclarent pas. Ils partirent à la recherche d’une base de leur programme située en « Alaska ». Je crus comprendre qu’il s’agissait d’un territoire, loin au nord du continent. Ils la trouvèrent et constatèrent qu’elle était aussi désertique que lors de leur départ. Aucun système de retour, aucun message, pas de vaisseau. Une pile atomique qui s’y trouvait n’alimentait au mieux que quelques ordinateurs vides et inutiles. Ce fut une expédition éreintante qui laissa Katsuki dans un état de dépression profond. Ils entreprirent un long voyage vers notre région au climat plus propice, sans se déclarer à Egality City, la plus grande ville du monde et tentèrent de vivre avec les Egarés. Puis Miroslav fit des recherches pendant plusieurs années pour retrouver des traces d’Alpha et Gamma. Il n’en trouva pas mais supposa que si l’un ou l’autre arrivait à la même époque que lui, il aurait des chances de les croiser parmi les égarés à un moment ou un autre. C’est en prononçant les noms d’Anabella et Ameer que je me suis sauvé de la broche.

« Vous avez ébruité les noms des participants aux projet Vernes III autour de vous pendant quarante ans ?

— Presque 40 ans oui, sourit-t-il encore.

— Etes-vous, le chef des Egarés ?

— Oh non, pas leur chef. Disons qu’avec Katsuki, nous leur avons apporté pas mal de chose alors ils font ce que je leur dis parce qu’ils le veulent bien.

— Elle est avec vous ?

— Katsuki ? Oh non, elle nous a laissé il y a plus de 10 ans. Les conditions ne sont pas… optimales ici, hésita-t-il. Je ne vous ai pas demandé votre nom, pardonnez-moi.

— Oh pardon, je ne me suis pas présenté, on m’appelle Adi, je suis un AdC…

— Ici cela n’a aucune importance. « Adi » ça ira très bien. Vous sentez vous de marcher un petit peu Adi ? »

Il me fit sortir de la pièce. Le petit bâtiment dans lequel il habitait n’avait qu’une seule autre pièce. A l’origine, la maison était sans doute plus grande mais des effondrements successifs avait progressivement réduit la taille du bâtiment. La seconde pièce était trouée au plafond et je vis un amas de cendres juste en dessous. Miroslav s’était aménagé une couche près du feu. Posée contre le mur, il y avait une casserole cabossée et du bois sec. Nous sortîmes.

Hicks était dehors. Miroslav s’est approché de lui. Je me suis arrêté net. Lorsque Miroslav arriva à son niveau, je fus frappé par la taille microscopique du vieillard à côté du géant, par le contraste de force physique entre eux deux. Puis Hicks posa sa main sur le dos de Miroslav, sa main prenait presque toute la surface de son dos. Ce fut une vision plutôt attendrissante au regard de la violence avec laquelle j’avais découvert Hicks. Je filai les rejoindre.

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