Chapitre 24 : Mes excuses

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La nuit, mon intervention malvenue en exercice de protocole tournait en rond dans ma tête et m’empêcha de dormir. Je réfléchis à aller présenter des excuses à l’éleveur mais aucun prétexte que je fus capable de trouver n’aurait empêché de m’enfoncer encore plus. Un déviant ayant des problèmes de compréhension, ou des problèmes de rapidités ou de quoi que ce soit de ce genre peut se rattraper avec de l’entraînement. Un déviant qui a des opinions dissidentes me semble bien plus compliqué à soigner…

Le médecin vint me voir une fois de plus. Je me tins prêt à me défendre.

« Bonjour AdCS187-Smith, me salua-t-il avec une mine basse. Je viens vous voir pour prendre un peu de vos nouvelles.

— Tout va bien docteur.

— Oh vraiment ? répondit-il incrédule. J’ai eu vent de ce qu’il s’est passé lors de l’exercice de protocole. Je m’inquiète sérieusement pour vous, vous semblez atteint de plus qu’une simple fatigue. »

Il était désormais clair qu’il venait pour me prendre. Je tentai de le raisonner, en faisant appel à sa bonne intelligence.

« Ici tout le monde est contre moi !

— Qui ça « tout le monde » ?

— Tous ! Les éleveurs, ils racontent n’importe quoi.

— Les éleveurs ne font qu’appliquer leur rôle, rien de plus. Et ils souhaitent que vous vous rétablissiez. Et moi je ne suis pas contre vous.

— Si, vous êtes là pour me prendre. Vous croyiez que je ne vois rien mais je suis lucide !

— Arrêtez, ne pensez pas cela, jusqu’ici tout se passait très bien. Vous avez dérapé quelques jours, vous n’êtes pas le premier.

— Bien sûr et je ne suis pas le premier que vous venez prendre. Vous croyiez que je n’ai pas remarqué la couleur bizarre qu’avait la nourriture dans le plateau que vous m’avez fait monter ?

— Il faut vous rassurer Smith. Il faut vous détendre, vous devenez paranoïaque. Vous devez stopper tout de suite votre comportement divergent. Vous ne pourrez pas rentrer dans le droit chemin avec de telles opinions. C’est exaspérant pour les éleveurs de former une opinion dissidente à la réinsertion. »

Il confirma mes craintes. Il était impossible de me rectifier, je n’avais pas les symptômes habituels des déviants. J’étais plus sérieusement atteint. Je tentai d’en savoir plus.

« Vous pouvez faire quelque chose pour moi ?

— Et bien, Smith, je ne sais pas. C’est pour cela que nous devons savoir si ces idées sont profondément ancrées en vous. »

J’eus si peur, à cet instant, que je vis s’exaucer, devant mes yeux, mes craintes des derniers jours. J’envisageai ma propre mort de la façon la plus concrète possible, comme si le couteau était déjà sous mon cou, que je sentais la froideur de la lame et qu’un simple geste, partant d’une volonté instantanée de mon bourreau ferait couler ma gorge tel un sablier du destin me laissant quelques dernières pensées avant l’heure de couper le fil. Telle une image pré-mortem, j’entendis sa dernière parole encore et encore « …savoir si ces idées sont profondément ancrées en vous… », « ...ancrées en vous … » C’est à ce moment que je jouai ma dernière carte.

« Non non, je n’avais jamais eu d’idées comme celles-là avant. Ce sont les deux humains de souche qui m’ont expliqué tout ça. Ils étaient si convainquant ! Ils avaient un discours nouveau et je les ai écoutés, mais maintenant je sais qu’ils disent n’importe quoi ! Quand ils étaient là c’était tentant de les écouter parler de leur monde, d’écouter leur façon bizarre de penser, leur façon bizarre de parler. Mais maintenant qu’ils ne sont plus là, je sens que tout ce qu’ils ont dit s’éloigne petit à petit, je reprends un mode de pensée sain, j’ai juste été un peu perturbé. Vous savez j’étais heureux moi jusque-là, je faisais mon boulot correctement. Je veux reprendre ma vie d’avant, comme les autres. »

Cette fois j’avais basculé dans une mesquinerie qui me rendrait moche à jamais, mais qui sauverait peut-être ma vie, au détriment de mes amis qui étaient sans doute déjà morts. D’un point de vue purement pragmatique, j’avais fait le bon choix.

« Je vois, dit le docteur. Je me doutais que la présence des humains de souche perturberait le service. Il est vrai que vous avez passé du temps avec eux. Je dois vous laisser maintenant, détendez-vous autant que possible et vous êtes dispensé de programme jusqu’à nouvel ordre.

— Oui docteur, merci. »

Sur ces dernières paroles, je me sentis un peu rassuré. L’exécution n’était pas pour tout de suite. Je soufflai quelques secondes pour me rendre compte que je n’avais fait que confirmer ses hypothèses. J’étais un déviant perverti par une force d’opinion non-contrôlée. La pire des espèces. Cet enfoiré m’avait tiré les vers du nez. J’étais pris au piège !

« Coucou Adi, entendis-je d’un coup. » C’était Valentine, je ne l’avais pas entendu entrer.

« Ce n’est pas dans vos habitudes de ne pas frapper, vous m’avez fait peur !

— Oh voyez-vous ça il a eu peur le petit bout de chou ! Tu as besoin que Valentine s’occupe de toi ? Détend toi Adi, détend toi. »

Elle s’était approchée de moi et sorti un stylo de sa blouse. Elle s’assit sur le lit, à côté de moi et me colla ses mamelles laiteuses sous le menton. Les phéromones ne tardèrent pas à réveiller ma libido. Puis elle prit mon bras et commença à dessiner dessus avec son stylo.

« Regardez-moi ça, comme il est important Smith ! Le tatouage du mérite, plus une, non deux, non trois étoiles ! Personne n’a jamais eu un signe distinctif aussi énorme ! »

Etouffé dans une douce masse ronde et délicatement parfumée, je bafouillai :« Ça s’enlève ton stylo ? » Elle lécha mon bras à l’endroit du dessin puis frotta un peu avec son pouce. Le dessin s’estompa légèrement. Elle répondit « Mais non les tatouages c’est pour la vie mon héro ! ». Puis, toujours entreprenante, elle saisit mon pyjama, là où il arriva parfois qu’il fut troué par l’usure. Cette fois, le pantalon était intact. Mais Valentine dû subir la mauvaise surprise de voir que ma frayeur avec le Médecin avait légèrement trempé le dit pantalon ainsi que tout ce qui était plus ou moins absorbant dans les alentours.

Elle prit sans doute sur elle pour répondre à la surprise « Ce n’est pas grave, on va nettoyer tout ça, je reviens ». Elle essuya sa main sur sa blouse et sortit. Je fus victime d’un ascenseur émotionnel d’une amplitude assez rare, passant d’une frayeur de mort à une excitation sexuelle inattendue. Je ne maîtrisais rien de ce qui se passait, rien de ma vie, rien de ma réhabilitation. Les Eleveurs me menaient à la baguette, le médecin aussi. Et Valentine…Etait-elle aussi l’instrument d’un système qui ne tolérait pas de défaillance ? Etant donné ma discussion avec le médecin, mon altercation avec l’éleveur, mes hurlements de la veille et mon isolement, j’étais sans doute le pestiféré le plus redouté de toute l’aile. Ils attendaient pour agir. Ils savaient que je n’avais pas touché au plateau et cette fois ils m’envoyaient quelque chose que j’allais consommer à coup sûr. Non ! Il n’était pas question que je touche à l’infirmière pour qu’elle m’endorme, qu’elle m’assomme ou je ne sais quoi. Ce satané médecin m’envoyait ce qui ressemblait plus à une dernière volonté qu’à un simple moment de détente.

Valentine revint en poussant un nouveau lit et munie d’un seau et d’une éponge. Cette fois, elle ne portait qu’une culotte sous sa blouse ouverte. Elle s’avança vers moi avec une démarche féminine exagérée. Elle retira mes vêtements sans que je l’en empêche et passa son éponge sur mes jambes, puis sur mon sexe. Elle me fit passer sur l’autre lit. J’étais paralysé. J’avais décidé de ne pas céder, de ne plus consommer la nourriture du centre. Lorsqu’elle retira la dernière dentelle qui lui couvrait le corps posant le fin tissu sur mon buste, tellement léger, tellement fragile qu’il me ligota l’esprit de liens solides, s’assurant de pouvoir passer à table sans être dérangée.

D’un mouvement de jambe elle passa sur moi et répandit son parfum enivrant. Ce fut un ultime test, concocté savamment par un univers malin qui était contre moi, comme tout le reste. Comme Ulysse fuyant l’appel des sirènes, je fermai les yeux. L’épreuve fut un peu plus compliquée que celle d’Ulysse. Me priver d’un seul de mes sens fut loin d’être suffisant. Il me fallait reprendre le contrôle. J’ouvris les yeux pour affronter mon destin. Je détournai le regard de sa poitrine dansante pour inspecter l’intérieur de sa blouse et y déceler quelques seringues. Je ne vis que le stylo, pas de seringue. J’inspectais par-dessus son visage rougissant pour voir si quelque chose était caché dans sa chevelure. Je ne vis rien non plus. L’angoisse commença à s’emballer en moi. J’étais en train d’échouer au test. Je ne réfléchissais pas assez vite, pas assez bien. Ils allaient gagner ! Le médecin démoniaque danserait bientôt sur ma dépouille. Elle serra ses cuisses bouillantes, comme pour m’empêcher de m’en aller. C’était le moment où elle allait agir ! C’était évident, l’instant propice pour m’asséner un coup de poignard inattendu une fois ma vigilance parfaitement endormie. Je saisis le stylo dans sa blouse et l’enfonçai profondément dans sa jugulaire, puis immédiatement, je basculai vers l’avant et lui maintins la bouche pour qu’elle ne crie pas. Serrant mes phalanges et repliant mes doigts, je la frappais à la gorge, prenant un soin particulier à écraser sa trachée pour qu’aucun son ne sorte. Je pleurais de devoir agir de la sorte, de démolir une telle beauté, de souiller une peinture de maître. Je meurtrissais mon âme à chaque coup que je lui portais, ivre de la peur dans laquelle je baignais seul et sans espoir d’aide.

Je compris qu’elle était en train de mourir quand le stylo sifflotant d’air et de sang me félicita « Bravo Adi, tu as réussi le test ! ».

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