Chapitre 17 : Et la mémoire revint

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Le lendemain matin, comme prévu, un Gordon vint nous chercher pour nous amener devant Connor.

Le bureau de Connor n’était pas ce qu’on peut imaginer du bureau d’un général. Parfaitement sobre, il s’agissait d’une pièce sans fenêtres, éclairée principalement par les lueurs des différentes gestionnaires holographiques. Au milieu se trouvait une carte centrale en trois dimensions, un hologramme une fois de plus, qui représentait notre système solaire. Des centaines de points semblaient montrer les zones dans lesquelles des missions étaient en cours. Les murs n’étaient pas faits de cette espèce de plexiglas mais de briques peintes. L’entrée était une porte traditionnelle. A l’entrée, un petit robot monté sur des jambes mécaniques vint nous ouvrir. Il avait une tête, un bras mécanique, un second bras qui semblait cassé ou défaillant et une voix digitale qui nous demanda de nous assoir. La voix était faiblarde et la prononciation assez peu distincte.

La voix de Connor retentit du fond de la pièce, peu éclairée. « Ah ahah, ne faites pas attention à ce tas de ferraille, sa batterie est pratiquement morte. Je m’y suis attaché mais je crois que bientôt je devrai me passer de lui. Approchez, assoyez-vous. » Anabella et moi fîmes ce qu’on nous demandât et prîmes place sur deux sièges.

« Dites-moi, de nouveaux souvenirs sont-ils apparus dans votre mémoire cette nuit ?

— Pour ma part c’est toujours très flou, répondit Anabella. En discutant avec Ameer, j’ai un vague souvenir que nous nous soyons approchés d’un trou noir.

— D’après mes connaissances, complétai-je, si c’est le cas nous avons sans doute utilisé une bombe à distorsions pour traverser une partie de l’espace. Je pense que c’est ce qui a dû causer notre perte de mémoire.

— Vos réponses sont de plus en plus précises dit le général, je ne suis pas de votre avis vous faites des progrès, vous recouvrez petit à petit la mémoire ! Laissez-moi vous aider un peu. »

Le ton léger qu’il employait me mit mal à l’aise. Il donnait l’impression de déjà tout savoir. Il continua : « J’ai fait quelques recherches, ou plutôt devrais-je dire, quelques fouilles archéologiques. C’est incroyable ce que les technologies actuelles permettent de retrouver dans des archives même majoritairement détruites. Je suis remonté jusqu’au projet « Vernes », car voyez-vous, le type de vaisseau que vous avez utilisé est finalement extrêmement peu courant. Comme vous l’avez indiqué très justement monsieur Saliba… c’est bien votre nom n’est-ce pas ? » Je ne répondis pas. « … Parfait ! Comme vous l’indiquiez très justement, votre vaisseau était équipé de lanceurs pour des bombes à distorsion. L’objectif de votre mission était donc de voyager loin dans l’espace. Un autre lanceur sur le devant semble indiquer qu’un autre type de bombe équipait le vaisseau. Ce dossier en papier devant moi, indique qu’il s’agissait d’une bombe à amplification de soixante-sept gigatonnes initiales. Une telle puissance mettrait en péril n’importe quelle étoile. Il était prévu dès le départ que vous vous approcheriez d’un trou noir. Je continue ? » Je regardai Anabella qui sembla figée. Ni elle ni moi n’avons protesté. « Il est fait mention de plusieurs vaisseaux : Vernes, Vernes II, Vernes III alpha, Vernes III bêta et Vernes III gamma …

— Ça va vous avez gagné, l’interrompis-je. Je ne suis pas amnésique.

— Je sais, répondit Connor.

— Nous sommes l’équipage de Vernes III gamma. Nous venons de l’an 2132 et nous avons été envoyé dans le futur, tout comme les équipages de Vernes III alpha et bêta à des époques différentes, notamment pour trouver des solutions à une crise de communautarisme qui ronge les sociétés de notre époque.

— Est-ce tout ? interrogea-t-il.

— Oui c’est tout, dit Anabella qui sortit d’un coup de son silence. C’est aussi une mission d’exploration car nous sommes parmi les premiers voyageurs dans le temps. A l’exception d’une personne avant nous dont nous ignorons l’identité.

— Entre nous, vous trouvez que c’est une raison valable pour entreprendre un projet aussi énorme ? En effet il est fait mention de trois équipages envoyés dans le futur dans les archives. L’histoire parle effectivement d’une grosse crise d’effondrement du système au vingt-deuxième siècle, qui s’est traduite par la naissance de nombreuses communautés autonomes qui échappèrent à l’autorité des gouvernements. La perte totale de contrôle fut une catastrophe pour votre économie. La raison de cet effondrement était que le consumérisme non contrôlé a conduit à une augmentation globale et durable des besoins. La quantité de travail nécessaire à contenter chaque individu, ou à lui proposer un choix de consommation adéquat devint très importante. Ceci cumulé à un libéralisme qui imposait, dans chaque domaine, une guerre permanente avec la concurrence fut l’origine de charges de travail insupportables réparties sur tous les secteurs de production. Des groupes anti système souhaitèrent revenir à un niveau de vie inférieur, de gré ou de force, pour pouvoir tenir des cadences plus acceptables. La charge énorme restante sur le reste de la population devint donc croissante au fur et à mesure que la main d’œuvre sortait du système.

— Et comment cela s’est-il réglé ? lui demandai-je fou d’impatience.

— Et bien par l’ère des robots, nous répondit-il en souriant. Votre société a comblé son besoin de production par des avancées technologiques importantes. Une production massive de robots pour toutes les applications a été entamée jusqu’à ce que la quasi-totalité des tâches de production soient exécutés par des machines, un peu comme celle qui vous a ouvert la porte et qui date du début du vingt-quatrième siècle. Autant dire une antiquité, un modèle de collection. Les Hommes traversèrent une crise de chômage importante et durent se réorganiser dans des spécialités techniques différentes. Mais je n’ai pas le temps de vous faire un cours d’histoire maintenant, vous aurez tout le temps nécessaire pour rattraper le temps perdu. Ou en étions-nous déjà ? Ah oui, votre problème d’anarchie s’est finalement réglé et je ne suis pas sûr que l’organisation qui vous a envoyé ici se souciait réellement de cette crise mineure pour leur quotidien.

— C’est bien le projet qui nous a été présenté pourtant, dit Anabella.

— Bien, dit Connor, l’œil sur un appareil informatique disposé sur sa droite. Il semblerait que vous ne mentiez pas. Ce petit programme qui vient tout juste de m’être installé est très bien. Il n’a que très peu d’utilité dans notre monde actuel vous savez ? Il est rare d’avoir besoin de détecter des mensonges. Alors je vais vous dire quel est le véritable objectif de votre mission ».

Anabella et moi, à plusieurs reprises, avions eu l’occasion d’échanger sur ce sujet sans jamais prendre la peine que la conversation n’aboutît. Il est vrai que nous avions tout d’abord été méfiants, moi particulièrement vis-à-vis de l’armée. J’essayai de me souvenir de ce qui avait pu me convaincre de partir et je me rappelai que leurs flatteries rondement dispersées ainsi que la présence de la belle italienne n’y étaient pas pour rien. La question n’était pas de savoir si j’avais des regrets, mais de savoir pourquoi nous avions réellement été envoyés ici. Je crois que l’aspect découverte scientifique, premiers explorateurs, pionniers, fut une raison bien suffisante me concernant, mais l’armée ne dépense pas des milliards et des milliards de dollars sans avoir au moins une petite idée derrière la tête. Quelque part, je crois que je me foutais des réelles motivations de l’armée. Tout cela était tellement loin dans le passé, un passé effacé, que cela n’avait plus d’importance. Ce qui importait, c’était notre avenir à Anabella et moi-même quelle que soit la réussite ou l’échec de notre mission.

« Vous deviez récupérer des informations sur des disques durs n’est-ce pas ?

— Oui, toutes sortes de données historiques, météorologiques, spatiales etc. collectées directement par un flux d’informations de divers satellites, s’empressa de répondre Anabella.

— Voici l’un des disques que vous cherchez, dit Connor en posant un énorme pavé de hardware informatique devant lui. Mission accomplie ! Je suis sûr que vous ne pensiez pas que ce serait si simple ! Nous avons eu de sévères problèmes à récupérer des données altérées depuis des siècles. J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas tout à fait arrivés à la bonne époque. Voyons ensemble ce qu’il contient. »

Un autre robot arriva du fond de la pièce, une espèce d’unité centrale sur roue, un R2D2 en plus carré et beaucoup moins intelligent. Un plateau sortit de sa coque et Connor plaça le disque dur dessus en orientant la connectique vers l’intérieur de l’unité centrale. Le petit ordinateur mobile intégra des broches à la connectique du disque dur et projeta une image planaire sur le mur, comme un bon vieux rétroprojecteur. Un ensemble de dossiers informatiques s’affichait textuellement sur un système d’exploitation archaïque, tel que j’en connaissais de mon temps. Il s’agissait d’un système d’exploitation sans interface graphique, du type des tous premiers OS. Une version sans doute développée par l’armée et plus sécurisée. Connor commanda au robot d’ouvrir quelques dossiers. Le contenu était codé numériquement et ne semblait pas avoir de sens. Puis Connor dit « Afficher les dossiers cachés ». Une demande de mot de passe s’afficha dans un onglet. Connor dit alors « ouvrir le contenu du dossier ». Le robot s’exécuta et ouvrit le contenu du dossier sans taper ou rechercher le moindre mot de passe.

Connor prit la parole une fois de plus tandis que nous restions muets, il n’était plus question de tenter quoi que ce fût car il en savait visiblement plus que nous. « Les données réellement importantes sont contenues dans ces archives. Le programme Vernes a continué à tourner plusieurs siècles durant lesquels toutes les technologies d’armement les plus fines ont été envoyées sur ces disques. Des lasers à très haute précision, des robots soldats humanoïdes autonomes, des programmes d’intelligence artificielle, des nanotechnologies aux applications diverses adaptées à l’espionnage, j’en passe. Ce que voulait votre organisation, c’était prendre une avance technologique de plusieurs siècles pour avoir un avantage militaire et stratégique conséquent, irrattrapable même.

— Nous n’étions pas au courant de ça, répondit Anabella. Nous avons caché nos réelles motivations car nous pensions que la simple volonté de changer notre futur, votre présent donc, aurait pu vous effrayer.

— Cela n’a aucune importance mademoiselle Lucchesi, il n’est pas possible, à ma connaissance, de revenir dans le passé. Cela n’a jamais été fait et cela ne se fera possiblement jamais. »

Depuis notre arrivée dans cette époque, j’avais au fond le sentiment que nous ne reviendrions pas. Une fois le pied posé dans cette nouvelle ère, j’ai ressenti que notre monde, ainsi que ses habitants, dans le passé, étaient morts et bel et bien disparus. Quelle est la raison qui m’avait poussé à accepter la mission dans ce cas ? Sans doute que j’ai inconsciemment fui ma vie morose, que j’ai saisi la chance d’un nouveau départ. Anabella ne semblait pas avoir grand-chose à perdre elle non plus. Pendant que je me posais des questions sur ma vie d’avant et mes motivations, Anabella et Connor continuaient leur échange.

« Vous vous trompez, peut-être que cela n’a pas encore été inventé, mais nous avons déjà envoyé une personne dans le futur, et qui en est revenue.

— Nous avons cru à cette histoire parce qu’on l’a bien voulu Anabella, répondis-je. C’était des conneries, c’est pour ça qu’on n’a pas pu rencontrer le type ! »

Elle me regarda muette, les yeux écarquillés, comme si j’avais tout manigancé, comme si j’étais passé de l’autre côté.

« Le dossier Vernes, dit Connor, mentionne bien des recherches sur ce sujet, mais il n’est fait mention d’aucun voyageur étant revenu dans le passé. Il n’a jamais été question que vous reveniez. Les recherches dans ce domaine dépassent un peu mes compétences, RJ105 a résumé les théories de l’époque pour moi. »

Le robot unité centrale, visiblement bien plus performant que je ne le crus au premier abord, enclencha un mode audio accompagné d’extraits de documents et illustration décodées directement des archives. Une voix synthétique ressemblant à celle d’une liseuse automatique pour non-voyants commença à exposer le projet.

« Au cours du vingt-et-unième siècle, un groupe de scientifiques publia des articles concernant l’existence d’un univers jumeau. Cet univers jumeau porterait l’empreinte de tous les événements se déroulant dans notre univers. Il s’agirait en quelque sorte d’un univers mémoriel « disque dur » sauvegardant constamment le nôtre. A ses débuts la théorie parut farfelue mais les scientifiques en question avaient fait des publications très crédibles dans d’autres domaines. La piste fut donc creusée pour réussir à mettre cet univers en évidence. La communauté scientifique fit des expériences avec l’aide de médiums, capables avec une haute fiabilité, de décrire des événements passés sans en avoir connaissance. Il s’est avéré que ces médiums avaient une zone du cerveau près de l’hypophyse particulièrement développée. Cette zone est émettrice d’ondes cérébrales que nous utilisons aujourd’hui, via nos casques amplificateurs, pour communiquer par télépathie. Ces ondes étant particulièrement denses et intenses chez ces personnes, elles étaient capables de ressentir leurs perturbations par des phénomènes presque indétectables. Elles pouvaient être perturbées par les ondes cérébrales d’autres personnes, même non médiums, à proximité, par des surpressions dues au vent, au bruit, etc. Les recherches des causes de ces phénomènes furent abandonnées. La réelle capacité des médiums à déceler des éléments passés invisibles ne fut jamais démontrée mais les expériences mirent en évidence que nous étions capables, pour peu que notre sensibilité soit suffisante, de ressentir les perturbations de nos propres ondes émises, et donc par déduction, celles émises par d’autres. Au début du vingt-deuxième siècle, l’armée reprit les recherches pour fabriquer un détecteur partiellement organique, ayant une structure similaire à celles des cerveaux humains et partiellement électromécanique. De premiers modèles rudimentaires ont permis de recréer des signaux électriques générés en fonction des perturbations des ondes cérébrales émises par le détecteur. En isolant parfaitement le détecteur de toute perturbation humaine, de nombreux signaux ont pu être enregistrés, notamment dans des lieux clés, identifiés comme étant chargés d’histoire. La conclusion fut qu’il était possible de mécaniquement relire l’histoire par communication avec cet univers jumeau. Aujourd’hui nous savons que les enregistrements ne provenaient pas d’ondes générés par des lieux mais par les cerveaux des scientifiques qui avaient connaissance de faits historiques et qui émettaient des pensées en ce sens. Le projet est resté secret jusqu’au début de l’ère des robots. L’armée des Nations Unies s’est approprié ce sujet avec une priorité immense et parvint à formuler des équations qui décrivaient cet univers invisible et non baryonique. Les équations en question n’étaient pas suffisamment abouties et laissaient penser, faisant une quasi-unanimité auprès des scientifiques travaillant sur ce projet, que le temps s’écoulait dans un sens inverse au nôtre dans cet univers jumeau. Cette nouvelle théorie était un moyen d’expliquer les expériences de Feynman au vingtième siècle. Les physiciens de l’époque étaient fascinés par l’expérience des doubles fentes d’Young en mécanique quantique. D’autres expériences en découlant, notamment celle de la gomme quantique semblaient montrer que certaines particules subatomiques recevaient des informations provenant du futur. L’information en question était « Est ce qu’un dispositif de détection est présent sur ma trajectoire ?». En fonction de la réponse à cette question, elles se comportaient soit comme une onde, soit comme une particule. L’univers jumeau était une théorie parfaite pour expliquer cette expérience. Le projet Vernes fut basé sur cette théorie. Il n’a jamais été question de ramener les voyageurs du futur vers le passé mais de coder des informations venant du futur pour qu’elles soient lisibles dans le passé via des détecteurs à modulation d’ondes cérébrales. Nous savons désormais qu’un facteur « -1 » de l’équation du temps dans l’univers jumeau avait été introduit de façon empirique pour expliquer les observations quantiques. Il s’agissait en réalité d’une erreur qui a perduré de nombreuses décennies. Le temps s’écoule dans le même sens dans les deux univers. Quant aux expériences quantiques, elles ne montraient qu’une seule chose, que la nature des particules est indéterminée jusqu’à ce qu’une interaction la force à se définir. La loi de « causalité » expliquant qu’un effet ne peut pas avoir lieu avant sa cause n’a jamais été remise en question. Aucune capacité réelle de médiumnité n’a jamais été mise en évidence. Néanmoins les recherches de l’époque ont permis de développer nos communicateurs télépathiques actuels, les décodeurs de pensée utilisés par les services de polices ainsi que les rétro caméras. Fin de la présentation. Souhaitez-vous réécouter ?

— Merci RJ 105 ça ira. Mise en veille. Voilà vous savez tout, dit Connor. Je n’ai aucune raison de vous considérer comme une menace. Croyez que je suis désolé de ce qui vous arrive, et de votre situation. Je pense qu’il vous faudra un peu de temps pour l’accepter.

La vérité était dite, nous étions bloqués ici, dans le futur. Je sentis Anabella fébrile et peu encline à accepter un geste de réconfort de ma part. Elle serra les poings et grogna « Tous des abrutis ! », le regard perdu quelque part autour de ses genoux. Quant à moi, j’attendis juste que les événements se déroulent, sans mon intervention. Connor nous dit adieu suite à cette présentation : « Veuillez m’excuser de ne pas vous raccompagner, je suis beaucoup sorti du cadre de mes fonctions depuis votre arrivée. Vous allez sortir de la base et l’on vous conduira dans un endroit adapté pour que vous intégriez notre société. Bon courage à vous deux. »

Notre arrivée sur Terre fut mouvementée. Notre avancée vers l’inconnu ne faisait que commencer. Toutefois, je ne pus que constater une chose, mon manque de foi en la plus grande des choses de ce monde, celle qui surpasse tout le reste, celle qui guide nos vies et nous enseigne la voie : L’incompétence !

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