Chapitre 1 : La montée des conflits

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« Mesdames, messieurs, bonsoir, les élections présidentielles américaines ont désigné la candidate Démocrate comme nouvelle présidente des Etats-Unis. C’est donc Hélène Lewis qui débutera son mandat dès mardi pour une durée de quatre ans. Son slogan « La croissance pour le peuple » est d’ores et déjà acclamé par ses partisans dans les rues de Washington. Son adversaire des Nouveaux Républicains, Steven Fox, a fait part de sa déception tout en remerciant les votants Nouveaux Républicains de l’avoir soutenu. Sa dernière déclaration fait déjà polémique sur les réseaux sociaux qui le qualifient de « mauvais perdant ». Dans celle-ci il dénonce les « mensonges » de la nouvelle présidente Lewis, expliquant l’impossibilité économique de faire revenir la croissance sur un schéma purement social et conclut je cite « Rendez-vous dans quatre ans, si l’Amérique est toujours debout », des propos jugés peu patriotes et qui, dans un contexte de montée de l’anarchisme… »

Je fus atterré par la vision d’une histoire qui se déroulait devant mes yeux et qui n’en finissait pas de tourner en rond. « La croissance », personne ne semblait remettre en cause cette nécessité. L’humanité persévérait sur un chemin épineux. Quant à moi, le désintérêt me gagnait d’année en année. Je croisai les doigts pour que le reste du monde ne suive pas le modèle américain. Quoi que non, je ne pris même pas la peine de croiser les doigts. La croissance et la technologie vont de pair, et je crois bien que la technologie décide de notre futur pour nous. Les Hommes n’ont aucun contrôle sur ce qu’ils deviennent, démocrates, républicains, écologistes, communistes, religieux, survivalistes, hippies, végétariens, esthéticiens, philatélistes, fétichistes du fromage de chèvre, air guitaristes ou autres, tous deviennent les instruments de nos instruments.

Chaque découverte induit un développement de notre civilisation. La roue aurait pu permettre à nos ancêtres de moins se fatiguer en transportant des denrées plus facilement. Cela a sans doute été le cas mais principalement, la roue a permis de transporter plus de matières premières. De même que plus tard, les chemins de fer, qui ont d'abord facilité le transport, ont surtout permis de développer des activités commerciales qui étaient impensables jusqu'alors. Aux débuts d'internet, la lenteur des réseaux imposait de prendre plusieurs minutes pour consulter un mail. L'amélioration des connexions aurait dû nous permettre d'économiser plus de temps mais finalement, de nouvelles possibilités alors inconcevables avec une connexion lente, ont été développées : téléchargements, journaux, télévision, streaming etc. Nous passons beaucoup plus de temps sur internet depuis l'augmentation de la rapidité des connexions. Il ne s'agit pas là d'un jugement mais d'un constat que l'humanité n'utilise pas les outils qu'elle crée pour se faciliter la tâche mais plutôt pour développer ses activités. Au lieu de réduire notre dépense d'énergie pour produire la même chose, nous utilisons nos outils pour créer plus avec la même quantité de travail.

Dans un monde fini, plus les technologies se développent, plus la production et la consommation s’accélèrent, tout comme notre déclin. Les gouvernements s'enchainent et pourtant personne ne semble vouloir stopper cela. Nos ancêtres travaillaient pour survivre, pour manger et se chauffer. Et bien que les technologies eussent pu nous permettre de ne plus, ou presque plus travailler, nous avons choisi la voie du développement, de la croissance. Les Hommes sont de plus en plus nombreux et doivent continuer de travailler pour des entreprises, motrices de croissance et de découvertes...

« Je reçois maintenant le docteur Jerry Flint, analyste politique, et sociologue à l’université d’Helsinki. Bonjour docteur.

— Bonjour, répondit sobrement le vieil homme bien habillé pour l’occasion de son passage sur le réseau.

— Docteur vous avez écrit un livre « La fin d’une ère » dans lequel vous expliquez comment s’est faite la montée des conflits actuels dans presque toutes les régions du monde et qui font penser à une véritable guerre civile mondiale. Pour vous c’est la fin d’une ère ? Que préconisez-vous pour mettre fin à cette crise ?

— Et bien écoutez, les livres d'histoire mentionnent souvent l'accélération du développement humain au cours du vingtième siècle. Cette accélération s'est maintenue au vingt-et-unième siècle et même intensifiée depuis le début du vingt-deuxième. Ce développement excessivement rapide a surtout induit un changement des besoins. De nombreuses tâches ont été automatisées. Ces tâches automatisées demandent une énergie importante, plus importante que si elles étaient réalisées par la main de l’homme. Désormais le travail consiste principalement à produire de l'énergie en quantité astronomique pour faire fonctionner les industries. La quantité de travail humaine requise pour répondre à cet appel de productivité est considérable et dépasse ce que nous, les Hommes, sommes capables de fournir.

— Vous pensez que nous nous développons trop rapidement ?

— Au début du vingtième siècle, c’était le temps où les Hommes devaient s’épuiser à la mine toute la sainte journée. Et encore, à cette époque, bien souvent, seuls les hommes du foyer travaillaient. Au vingt-et-unième siècle, il faut bien le dire, la technologie ainsi que des progrès sociaux avaient permis une production plus importante pour une quantité de travail fournie constante ce qui extirpa la condition humaine de sa misère, au moins pour les pays les plus développés. Au vingt-deuxième siècle, cet équilibre a été rompu, le travail humain à fournir a considérablement augmenté pour pouvoir suivre une cadence de développement sans précédent. Ce constat se fait dans tous les pays du monde puisque la mondialisation a eu tendance à uniformiser les cultures. Rendez-vous compte que le temps de travail moyen est d'environ douze heures par jour en Europe, je dis bien moyen, alors qu’il y a un siècle la législation n’autorisait même pas d’atteindre cette durée de façon exceptionnelle. Il est normal qu’un ras le bol s’installe et que des rébellions et mouvements anarchistes éclatent partout sur le globe.

— Monsieur Flint, vous pensez que les gens travaillent trop, pourtant le chômage est toujours très présent. N’est-ce pas plutôt un problème de répartition du travail ?

— Il y a un autre problème qui n’arrange rien. Le développement trop rapide et l’évolution des technologies induisent une modification des requis de compétences dans les différents métiers. Ce changement de besoin de compétences est lui aussi très rapide. Aujourd’hui, un travailleur qui se forme sur une activité voit l’intégralité de son métier disparaître en cinq ans. Ce n’est même pas qu’il a été remplacé par une machine, c’est que le besoin n’existe plus et que son métier a disparu. Par le passé, l'évolution des technologies, des besoins, de la consommation, étaient suffisamment lente pour que les requis, en termes de compétences et de métiers, varient sur une échelle de temps supérieure à une génération. Le programme des écoles, des études supérieures et les spécialisations pouvaient s'adapter aux nouvelles demandes. Or désormais, les besoins changent à une vitesse telle qu'en quelques années les formations diplômantes deviennent obsolètes et les compétences des travailleurs inadaptées. Voilà la source de la hausse drastique du chômage ne faisant qu'accroitre les mouvements de rébellion. Bien sûr les entreprises les plus flexibles ont trouvé les moyens d'automatiser les tâches autant que possible, et tiennent des cadences qui imposent à leurs concurrents de suivre le mouvement. Donc, le développement continue de s’accroître pour faire face aux nouveaux besoins d'automatisation, le chômage s’accroît également car la diversité des compétences disparaît. Notre société entre dans un cercle vicieux d'homogénéisation des tâches et d’obsolescence compétences tout en demandant toujours plus de travail aux employés. C’est inacceptable et c’est la raison pour laquelle on observe des morceaux de population qui se regroupent en tribus et qui tentent de vivre en autarcie pour fuir le système. Le problème c’est que cet exemple semble avoir du succès et l’économie mondiale en pâtit sévèrement.

— Très bien merci docteur Flint pour cet éclairage, nous allons maintenant … »

J’éteignis mon viewer. Est-ce vraiment nécessaire de prendre un air aussi sérieux quand on passe dans un viewcast politique ? Ce qui était paradoxal mais malheureusement très commun, c’est que malgré l’opinion que je portais sur notre monde, et ceci avec un détachement certain, je participais à cette course aux technologies. Sous couvert de curiosité scientifique, je ne faisais que répondre aux besoins de ma société. Je suis Ameer Saliba, ancien chercheur en mathématiques fondamentales au CNRS et j'ai gravement contribué à alimenter la folie humaine.

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