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Le salon jaune flamboyait à la lumière du soleil matinal.

Les domestiques avaient dépendu les lourds rideaux pour un grand nettoyage de printemps. Cela aurait dû être fait plus tôt, mais l’hiver avait traîné plus longtemps que prévu, et maintenant, c’était comme si on passait directement à l’été.

Les grandes fenêtres nues étaient ouvertes sur un immense parc encadré d’un côté par une série d’ateliers, de l’autre par une longue serre.

Perpendiculaire à ces constructions, la gigantesque demeure qui servait de lieu de vie à une trentaine de personnes : des chercheurs, des domestiques et quelques aventuriers revenus de longs voyages exotiques d’où ils avaient rapporté des artefacts qu’ils comptaient étudier à l’Institut.

En échange, ils en assuraient la sécurité.

L’Institut était aussi un lieu d’accueil des visiteurs lors de quelques rares expositions.

Celles qui étaient autorisées par le Conseil National des Chercheurs Légaux, le CNCL. À ce titre, tous les documents, tous les protocoles, toutes les expérimentations, tous les résultats et toutes les publications étaient scrupuleusement vérifiées par ces messieurs à moustache cirée, chapeau melon et redingote noire.

Ils ne s’annonçaient jamais avant une inspection. Ils arrivaient comme une nuée de sauterelles, sans égard pour la quiétude des lieux, scrutant, fouillant, analysant, et parfois saccageant tout ce qui leur tombait sous la main, comme s’ils avaient eu vent de quelque chose.

Quelque chose comme une recherche interdite.

Les recherches interdites ne manquaient pas. Des inventeurs, chercheurs et scientifiques de toutes sortes emplissaient les prisons, les cimetières et les fosses communes au nom de la stabilité sociale et politique. Ils avaient payé le prix de leur inventivité, et plus encore celui d’avoir bravé l’interdiction, édictées par le CNCL de poursuivre, leurs études.

Dans le parc, deux jardiniers passaient la tondeuse mécanique.

L’odeur de l’herbe coupée parvenait jusqu’aux narines de l’homme assis dans un fauteuil du salon jaune.

Il n’arrivait pas à profiter de la sérénité de sa maison. Sa nervosité transparaissait dans le mouvement de ses doigts qu’il ne cessait de tordre et dans sa façon d’être assis, prêt à bondir au moindre signal dans la direction de la jeune femme allongée sur le canapé en face de lui.

Elle reposait couchée sur le dos, la tête posée sur un coussin de velours jaune qui faisait ressortir ses cheveux mi-longs d’un noir bleuté. Elle était menue, la peau très claire.

Une sorte de casque muni d’électrodes reliées à un appareil de mesure des ondes cervicales couvrait le sommet de son crâne. Si elle donnait l’impression de ne pas respirer, le moniteur, lui, indiquait une certaine activité cérébrale.

Combien de fois ses beaux yeux en forme d’amande s’étaient-ils ouverts ?

Des yeux aux pupilles argentées, presque transparentes.

Il l’avait appelée Sixtine.

Il n’avait pas eu à trop chercher.

Cette fois, il espérait qu’elle serait la bonne. Celle qui pourrait arrêter le monstre. À la regarder, dans sa tenue de cuir d’un marron qui tirait vers le rouge sang, telle une de ces aventurières, guerrières et chasseresses de monstres mythiques, qui pullulaient autour des grandes villes d’Europe centrale, il se disait que c’était enfin possible. Elle avait accumulé tant d’expérience au cours de ses vies passées.

On lui avait donné beaucoup de noms à travers les âges et les cultes. Il leur avait toujours préféré celui d’Ari. Ari comme Aristote, Aristagoras, Arion, Aristarque, Ariel, ou Aristée quelques-unes des figures sous lesquelles il s'était fait connaître.

Il avait vécu la vie des uns, et avait été le compagnon de guerre ou de paix, d’infortune ou de fortune, des autres. Il les avait inspirés parfois.

Il avait toujours eu ce visage émacié, parcouru de taches de rousseur, ces cheveux blonds tirant vers le roux, ces yeux d’un bleu délavé.

Il portait un costume trois pièces dont la veste reposait sur le dossier de son fauteuil. Même si ce n’était pas l’effet recherché, cela lui donnait une élégance certaine accentuée par sa prestance naturelle.

Il surveillait la jeune femme comme un inspecteur de Scotland Yard l’aurait fait des joyaux de la reine Victoria si on les avait sortis de la Tour de Londres, ou comme un père inquiet aurait surveillé sa fille chérie luttant contre la mort.

D’une certaine manière, c’était le cas.

Un frémissement uniquement perceptible par les êtres de sa nature troubla son environnement.

Il se redressa vivement et, instinctivement, il déploya ses grandes ailes translucides jusqu’alors invisibles.

Un réflexe de défense naturel.

Il les fit disparaître aussitôt. Elles ne lui étaient d’aucune utilité en lieu clos.

Et puis, révéler sa véritable nature relevait autant de la prétention – Voyez ce que je suis, pauvres humains – que de l’arrogance – Contemplez votre mort – et ce n’était pas ce qu’il souhaitait.

D’une part, il n’était pas certain que les intrus soient humains, encore moins qu’il pourrait les vaincre. Il y avait tellement de créatures en ce monde. D’autre part, il ne désirait pas attirer l’attention sur lui de qui que ce soit pouvant le rappeler à l’ordre. Il appréciait trop son indépendance. Enfin, il doutait que l’on s’introduise dans sa maison sans en connaître les risques.

Il boita jusqu’au moniteur et prit un petit coffret qui se trouvait juste à côté. Il en sortit une seringue à trois réservoirs, chacun doté d’une aiguille dorée. Il les planta dans le bras gauche de la jeune femme et lui injecta les trois solutions liquides d’une rapide pression.

Dans un premier temps, il ne se passa rien.

*

Une vingtaine d’agents des Forces Spéciales du CNCL prenait en silence possession de la bâtisse mètre par mètre, une pièce après l’autre.

Les rares êtres vivants qu’ils rencontraient étaient réduits au silence. Les humains étaient bâillonnés, puis endormis.

L’arrière-garde s’occuperait de les évacuer et de les préparer pour un interrogatoire.

Les animaux, un chat et deux chiens, étaient abattus.

Une petite créature échappa malgré tout à leur vigilance.

Qui aurait eu l’idée de lever la tête en direction des poutres du plafond ?

Quand bien même, elle aurait été confondue avec le bois.

Excepté l’absence de poils, de chair et d’os, elle avait tout d’un félin.

Elle se glissa, d’une poutre à l’autre, jusqu’au sommet de l’escalier qui menait au deuxième étage.

*

Dans un second temps, la jeune femme se redressa comme un diable sorti de sa boite.

Il lui fallut quelques secondes pour se situer dans l’espace et s’orienter.

Elle était assise sur un canapé dans une pièce très lumineuse.

Elle mit trois ou quatre autres à s’habituer à son environnement, analysant chaque élément jusqu’à ce qu’un visage y fasse obstacle.

Le visage d’Ari.

Elle sourit.

Il lui ôta délicatement le casque qu’elle avait encore sur la tête.

Elle capta de l’inquiétude dans son regard, presque de la peur. Ses lèvres remuaient. Il devait lui parler.

Elle régla ses capteurs auditifs.

— Il faut que tu m’écoutes. Nous avons très peu de temps.

Elle plongea son regard dans celui d’Ari comme pour lier ses pensées aux siennes. Elle pencha légèrement la tête sur le côté et sourit. Ce qu’elle ressentait pour lui était…

Elle avait envie de l’embrasser, de sentir l’odeur de sa peau, de la goûter.

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