9 Une étoile (partie 2)

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Un creux soucieux marquait la peau inaltérée de Jeremy, il avançait rapidement dans le couloir aux teintes rouges sang et or. Sa colère l’avait écarté de ses bonnes manières, soigner une blessée sous son toit, même si elle l’avait agacé, restait un de ses devoirs.

Sheryl se tenait debout, le dos droit, elle observait le ciel dépourvu de soleil. Jeremy remarquait la tasse de thé où demeuraient les restes d’un breuvage précédemment consommé. Il remarquait aussi la fiole cristalline, presque vide, qui contenait la « drogue » calmante qu’il incorporait au médicament, un dérivé de l’opium pure, une vraie merveille, très rare. Il ne lui fallait pas longtemps pour comprendre que sa star s’était bien plantée dans les dosages de sa potion de soin. À cette heure avancée de la nuit, elle devait être dans un autre monde où toute peine l’avait quittée. Il avait essayé de minimiser l’utilisation de l’opium au maximum, craignant l’accoutumance de Sheryl, voir pire, la dépendance.

– Sheryl, peux-tu m’entendre ? s’enquit le diable en s’approchant de la silhouette muette de l’humaine. Tu as bu beaucoup de médication aujourd’hui, je suis tellement désolé de ne pas être venu te la préparer à temps.

Délicatement, il invitait Sheryl à quitter la fenêtre. Ses yeux semblaient vides, cela frappa Lucifer qui reconnut l’immensité de la connaissance du Divin. Cette fille était sa projection humaine, rien de plus, cependant il ne pouvait s’empêcher de penser à son Père en sa présence. Pourquoi ce regard avait-il l’air si triste, sans existence ou souffrance ? Qui était-elle ?

Le diable ne connaissait pas Sheryl, et pour la première fois, entrevoyait l’intensité de sa douleur éteinte, cachée, toute la vérité d’un seul être aussi étrange et attirant que cette jeune femme aux cheveux si noirs. Dans son inconscience de l’instant, elle posait sa main sur la poitrine de Lucifer, les yeux toujours tournés vers la nuit.

– Je l’entends encore, sa voix pâteuse tentait de retrouver un éclat acceptable loin de son ton mort. Il vient, c’est le son de ses sabots qui arrivent pour m’emporter !

L’évocation des sabots figeait le diable dans son élan pour coucher sa protégée. Elle l’avait vu ce soir-là. Et elle se mettait à crier.

– C’est toi ! Jeremy vous…c’est toi ! Tu as des cornes !

Un éclair déchirait le ciel, Lucifer aperçu son reflet démoniaque dans la vitre. Sheryl attrapait une de ses deux cornes avec force, l’amenant près de la fenêtre, la foudre grondait toujours. Ses mains agrippaient son visage veineux, ses yeux verts étincelaient bizarrement et l’humaine tremblait malgré la violence de ses gestes.

– Regarde-toi ! Qu’est-ce que tu es ?!

Plus rien n’avait de sens, son esprit se brisait encore un peu plus, il était trop tard. L’humaine hurlait dans ses oreilles, la pluie commençait à battre les carreaux de verre devant lui. Fallait-il se débarrasser d’elle ? Dieu savait-il déjà qu’il avait gagné ? Depuis quand le pari s’était soldé par son échec ? Pourquoi l’enfer ne venait pas à lui ?!

Une angoisse le secouait, son monde qu’il avait tant haï venait de s’écrouler. Il ne pouvait fuir nulle part, même sauter de cette fenêtre, qui lui dévoilait son visage brouillé de larmes sanglantes, n’était pas la porte de sortie de cet enfer sur Terre.

– Comment je peux continuer de t’aimer avec ces cornes… ?

Il se tournait vers elle.

– Qu’est-ce que tu viens de dire ?

Sheryl défaisait son emprise, s’effondrant au creux de son épaule en pleures. Lucifer relevait son visage, ses yeux n’avaient pas changé mais son expression de souffrance infinie et partagée entre eux, il se sentait accepté dans la compréhension mutuelle de leurs propres démons. Vulnérable était le mot juste.

– Tu es blessée toi aussi. Tu as mal.

– Tu es le monstre venu me chercher pour mes crimes. Ne me fait pas de mal, je t’en prie…

– Ne m’aime donc tu pas Sheryl ? Est-ce là ton crime ?

– Mais qui es-tu ? souffla-t-elle à bout. Pourquoi mon cœur me tue ?

– Le mien aussi.

– Sommes-nous morts par amour ?

C’en était trop pour Lucifer, il avait la désagréable impression que quelque chose n’allait pas, que tout cela n’était pas réel. Une mortelle venait de découvrir qu’il était le diable, un être né dans le Paradis, dont l’apparence profondément repoussante n’inspirait qu’au mal incarné. Cette même humaine qui confesse son amour pour lui dans le même temps ? Était-ce une farce de Dieu ? Ou bien était-ce l’enfer ?

Une idée lui venait en tête, quand son regard accrocha les flacons utilisés par Sheryl. Elle n’était pas dans son état normal, la drogue agissait sur elle, lui procurant des hallucinations ! Comme l’enfer ne venait pas de s’ouvrir sous ses pieds pour l’y engloutir pour toujours, alors il n’était peut-être pas trop tard pour arranger ça. Son plan pouvait encore réussir si le temps se mettait de son côté.

Il attrapait prestement Sheryl quand la conscience lui échappait pour la laisser inerte dans les bras du démon. Un sentiment étrange envahissait son cœur, avec une saveur de regret, mais aussi, d’excitation.

Ce soir-là, tandis que sa belle dormait à poings fermés, il demeurait près d’elle, écrivant frénétiquement une nouvelle tragédie qui la ferait monter au sommet du monde, pour le faire chuter.

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