9 Une étoile (partie 1)

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Michelle avait été écartée. La malheureuse ne supportait plus la présence de Sheryl, son jeu s’en voyait amoindri. Durant les répétitions, il n’était pas rare qu’elle perde le fil de son texte et se mettre à crier sur son ennemie jurée, soulevant une vague de contestations de la part de l’assemblée des artistes. Lucifer avait alors décidé de la renvoyer, pour maintenir l’équilibre du groupe qui avait tous pris la défense de Sheryl. Jeremy avait placé Michelle dans un asile, versant une rente mensuelle pour qu’elle ne manque de rien, le temps qu’elle reprenne ses esprits. Comment la grande actrice avait-elle pu tomber si bas à cause d’une querelle d’une minute avec Sheryl ? C’était parfaitement incompréhensible, de plus que la non remise en cause de sa protégée devenait suspecte, la beauté n’excusait pas son comportement violent, même inconscient.

Il l’avait alors invitée à rester après les répétitions pour nettoyer la scène et les coulisses, malgré que ses blessures ne soient pas encore totalement guéries. « L’exercice de tes bras ne peut que leur faire du bien, avança Jeremy en lui tendant un balai et un vieux chiffon, tu commenceras par balayer le sol et ensuite applique le produit avec le chiffon. La prochaine fois, je t’apprendrais à cirer les planches. »

Sheryl frottait avec zèle la scène, consciente qu’elle devait faire ses preuves pour se rattraper du bazar qu’elle avait engendré, l’actrice principale avait été renvoyée par sa faute, tout se voyait retardé. Elle ne pouvait que leur offrir un lieu de travail propre pour le lendemain matin.

– J’annonce que Sheryl sera le rôle principal féminin.

Sitôt la nouvelle tombée, des cris de joie fusaient « À notre nouvelle étoile montante ! », tous étaient unis dans ce moment de bonheur partagé, de savoir la pièce sauvée par celle qui l’avait mise en péril, « une magnifique future star » disaient-ils. Au milieu du chahut, l’objet des célébrations n’en revenait pas, Jeremy la punissait pour ses actions pour ensuite lui donner le premier rôle ? Pouvait-il seulement avoir foi en ses capacités d’actrice ?

– Jeremy, vous êtes certain que je puisse prendre ce rôle ? Je n’ai jamais pratiqué le théâtre et la danse me convenait très bien, je vous assure…

– En effet, si tu penses comme cela alors tu ne conviendras pas pour jouer l’héroïne du drame, je n’ai pas envie de gâcher les représentations avec quelqu’un qui se tient si peu en estime, trancha Jeremy le regard soudainement sévère et glacé qui pinçait le cœur de sa belle douteuse.

La réunion prenait fin ici, il avait fait appeler Sheryl en dernier pour annoncer sa décision finale d’en faire le rôle principal, mais visiblement agacé par la réaction de cette dernière, il quittait la pièce sans un mot de plus pour aller s’enfermer dans son bureau pour le reste de la journée. Le diable n’aimait pas qu’on conteste ses décisions, surtout pas une chance qu’il offrait à celle qu’il désirait comprendre, celle qui hantait dangereusement ses pensées. Une fois prisonnière du théâtre, sous l’emprise du jeu et les acclamations du public, elle ne le quitterait pas, car elle ne le pourrait pas. Pourtant ce n’était pas un cadeau empoisonné, elle possédait quelque chose de particulier, de féerique, l’expression des corps ne lui sciait que trop bien. Un pouvoir ensorcelant jetait les humains à ses pieds, l’avoir comme actrice ne pouvait qu’être bénéfique pour ses affaires de surcroit. Il repensait à ses yeux cristallins, à la danse de l’eau indomptable qui se reflétait infiniment en eux, cela le mettait encore plus en colère, Dieu portaient exactement les mêmes.

Le Paradis lui manquait plus qu’il ne voulait se l’avouer, son inclination pour Sheryl n’était pas le fruit défendu du hasard, son essence angélique l’attrait, comme Ethan l’avait saisi jadis. Un jour, il trouverait la faille chez elle, permettant à son esprit de se libérer des chaînes discrètes qu’elle s’amusait à resserrer en lui. Il voulait la briser. Détruire les fragments divins dans ses iris bleutés, nuire à sa beauté fatale. Lucifer demeura dans ses quartiers privés, réfléchissant au meilleur moyen de parvenir à ses fins, reprenant la route tracée de la vengeance céleste qu’il avait engagé contre le Créateur, prenant une mortelle pour cible principale.

Il ne pouvait pas rester fâché bien longtemps, Sheryl savait qu’elle aurait dû accepter la proposition plus que généreuse de Jeremy, elle devait se décider à assumer qu’il l’avait choisie, croire en son jugement et avancer d’un pas assuré vers la scène. Elle espérait que son bienfaiteur viendrait la voir pour lui préparer son traitement, ce serait l’occasion pour eux de discuter posément de la pièce. Mais il ne se montrait pas.

La douleur de ses bras la lançait déjà depuis le matin, cette journée éprouvante n’avait rien arrangé pour ses nerfs et la nuit s’était déjà bien positionnée dans le ciel abyssal. N’y tenant plus, elle s’avança vers les fioles, Sheryl connaissait l’ordre de préparation du médicament sous forme d’infusion, sans oublier la cuillère et demi de miel qui allégeait l’amertume parfaitement repoussante.

Une fois le mélange achevé, elle le consommait d’un trait. Peu importe que les dosages n’étaient pas exacts, elle voulait faire taire les brûlures que le ménage de la veille avait laissé comme impression sur ses plaies. Si elle pouvait préparer ce médicament seule, alors elle n’avait plus besoin de Jeremy, cette petite prise d’indépendance lui faisait plaisir, bien que le reste n’existait pas sans lui. Elle pensa à son avenir, pouvait-elle devenir apothicaire ? Une femme de science, cette idée lui plaisait beaucoup bien que ce projet restait du domaine de la fantaisie, puis elle ne possédait rien pour ouvrir son entreprise. Encore elle se rappelait que Jeremy l’avait inconsciemment poussée à pratiquer l’art de création de médicaments, d’ailleurs lui aussi gardait de belles plaies sur ses mains, elle se demanda s’il avait gardé la crème qu’elle lui avait préparé, peut-être n’en avait-il pas eu l’utilité du tout. Ses tortures mentales à l’encontre de Jeremy énervaient Sheryl, brûlante de lui dire ses quatre vérités le lendemain. L’expression « qu’il aille au diable » aurait été de circonstance, mais aucun humain n’avait connaissance que le malin portait ce nom à cette époque-là, mais elle n’en pensait pas moins.

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