5 De la Vie (partie 1)

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Des mois, des années se suivaient sans jamais désirer se croiser, le temps de la Vie ne pouvait pas se restaurer de lui-même, laissant Jeremy sans âge, anomalie céleste cachée dans son humanité. Son père lui avait spécialement confectionné un cadeau pour sa nouvelle vie sur Terre, présent que le diable n’avait pu comprendre que bien des années après sa chute : le temps n’impactait pas son enveloppe charnelle. Ce coup-bas de la part de Dieu ne pouvait signifier qu’une chose, Il n’avait aucunement l’intention de réintégrer Lucifer au Paradis, là se dessinait l’étendue de l’amour du Créateur pour son ange, la trahison.

Mais ce que le diable ignorait, était que son Père n’avait aucune emprise sur son éternelle jeunesse humaine, Il n’en avait pas même encore eu rumeur dans les Cieux. Ce défaut céleste très visible pour les mortels n’était dû qu’à Lucifer, il était le seul fautif de son mal. Son pouvoir lui échappait par bien des aspects, notamment celui-là, alors il était tout naturel pour lui de blâmer le gardien de son destin d’ange déchu.

Depuis qu’il était devenu Jeremy Ophal, beau jeune homme fringuant et distingué, son quotidien opulent résistait aux affres de la souffrance, il préférait se terrer dans son nouveau personnage que se souvenir du Paradis, puis venait la haine du passé.

Son théâtre était devenu la pierre angulaire de son univers, après l’avoir remis sur pied, Lucifer avait commencé à se pencher sur l’écriture de nombreuses pièces originales, dont la plupart avaient fait un tabac dans le monde des mortels, notamment La Vie aux belles, son plus ancien succès. Son secret jusqu’alors préservé de l’intelligence de l’Homme, n’avait pas manqué de transparaître sur certains aspects dignes des meilleurs romans que nous offrait l’esprit humain. Un homme bien trop beau, parfait, angéliquement passionnant et sage par-dessus le marché, avec cette petite ombre dans l’âme pour achever de lui donner une saveur excise. Il était l’impossible, le désir, le rêve et un cauchemar que personne ne pouvait saisir pleinement sous peine de le condamner à l’enfer. La réalité étant, qu’il était bien seul.

Ainsi donc, Jeremy ne pouvait vieillir, ou du moins ne savait pas comment faire et se voyait contraint de cesser de se pavaner dans le beau monde sous l’apparence d’un noble, bien trop suspicieusement riche. Les femmes et les hommes écoutaient avec intérêt les rumeurs qui couraient sur « le roi des ombres », nom dont même le diable ignorait la provenance. En voulant s’éloigner de la société et se cacher des regards indiscrets à sa condition, il n’avait fait qu’attiser la curiosité de ses pairs, sa popularité grimpait en flèche pour lui rapporter toujours plus d’argent par la fréquentation importante de son théâtre, autant en profiter le plus possible, c’était humain après-tout.

Seulement, quelque chose lui manquait toujours dans cet univers dont les règles ne se résumaient pas simplement à vouloir être appliquées, il fallait lutter et faire preuve d’ingéniosité pour parvenir à devenir quelqu’un, pas simplement un humain de passage sur Terre, rapidement enterré et oublié. Ainsi, Lucifer s’appliquait à exposer le contraire, il était déjà quelqu’un, nulle besoin de faire une quelconque différence, les gens ne le voyait pas, ils l’adulaient pour son humanité fausse et superficielle, la lutte ne faisait pas partie de sa vie publique, le reste se parait de souffrances, d’une chute depuis le Ciel. Pour combler un manque cruel de ses origines angéliques, le diable se rendait au cœur de la nuit la plus noire, sous sa forme la plus répugnante, dépourvu de pureté, une carcasse décharnement puissante, aux ailes veineusement hideuses et aux pattes animalières dont les sabots faisaient tinter le sol d’un son inutilement sinistre. Poc…Poc…Poc…Poc

Seul dans le monde des ombres que les humains préfèrent ignorer, Jeremy se dévoilait sans crainte, dissimulant son horrible facette, accueillie joyeusement par les ténèbres douces et pleines d’acceptation. Si humain devait l’avoir vu, elles le couvriraient avant que son visage ne soit reconnu et que sa malédiction soit prononcée, ce soir encore les portes de l’enfer ne s’ouvriraient pas.

Avec ses deux mains, n’usant pas de ses aptitudes angéliques, il travaillait la vieille pierre, la modelant à l’image de son esprit. Sa haine froide devenait serpents, acculant la magnificence de nymphes reflétant l’image du Créateur, élevant leur chant silencieux dans les abîmes de la folie de leur créateur diabolique. Le chaos, la violence, le désespoir animaient la bâtisse endormie, s’abreuvant du sang versé des mains du diable, dont la douleur ne pouvait recouvrir la blessure de son âme damnée.

Foutaises.

Souffrance il y avait, souffrance demeurerait, mais la haine furieusement courroucée maudissait les Cieux, les mains saignaient abondamment, s’envolant dans les airs, allant teinter le Paradis de rouge. La pierre traversera les années pour ne jamais cesser de lui chuchoter doucement à quel point la vengeance sera salvatrice. Souviens-toi de ce que ton Père t’a fait, rappelle-toi la solitude et le froid, n’oublie pas que tu l’as profondément aimé et comment il te l’a rendu.

Son plan enchaînait son cœur tremblant de rancœur, Dieu n’obtiendrait rien de ce que le pacte pouvait lui apporter, il devait gagner dans tous les cas, mais le Créateur ne pouvait comprendre que Lucifer s’était déjà résigné depuis des lunes, de sa déchéance, non Dieu demeurait aveuglé par l’amour, tandis que son ange de lumière fermait les yeux pour les remplir de larmes sanguinolentes de haine.

Si l’enfer devait prendre vie, alors que l’humanité toute entière tombe dedans avec lui. De cette folie qui brisait lentement l’esprit de Lucifer, personne ne pouvait savoir que ce que le diable murmurait les condamnerait tous, Dieu y compris.

Rien ne pouvait sauver l’ange déchu de lui-même, alors que ses pas avançaient sur le sol enneigé, que le son des sabots du bouc gâchait le silence glacial de la nuit. Ses ustensiles de sculpteur en main, il se rendait tranquillement jusqu’aux tréfonds de l’excès humain, son merveilleux théâtre, trônant en maître dans la rue des Adieux.

Quand soudain, il croisa la route d’une jeune femme allongée dans la neige aux portes de son enfer.

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