3 Déchu (partie 1)

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Sentir son essence céleste se transformer en geôle de chair, faisait résonner ce sentiment de déchirement en Lucifer. L’abandon.

Il tombait littéralement des Cieux, sa maison, qui disparaissait de sa vue à mesure où la Terre s’approchait pour l’accueillir en son sein. La lumière du Père s’essoufflait pour venir se faire pâlement remplacer par l’astre solaire, plus rien de divin ne trouvait grâce au regard maintenant humain de Lucifer, pas même le ciel infini qui défilait autour de lui.

L’ange de lumière qu’il incarnait se brisait, ce corps astral se voyait privé de lui-même sans pouvoir déployer ses splendides ailes, non au lieu de cela un cœur dérangeait sa poitrine, l’air entrait en lui avec un effort insoutenable. Respirer ! Cette sensation non consentie qui le soumettait à elle, devoir inhaler et voir son abdomen se soulever paresseusement, devoir effectuer cette routine avec ses poumons l’accablait d’une amertume froide et douloureuse. La liberté légère de son ancien corps céleste s’imposait à son esprit, comment avait-il pu l’oublier à ce point ? Une enveloppe charnelle dépourvut d’humanité, d’organes, de mouvement superflu, sans avoir à subir l’attraction de la gravité, l’extase, l’humanité ne pouvait pas ressentir ou être cette extase, la Vie l’abolissait d’elle-même.

La perte de soi, l’existence entière effacée en un claquement de doigts pour ne laisser qu’un sentiment de vide d’une atroce intensité. Ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre, cela n’avait plus aucune importance, la douleur qu’infligeait cette blessure marquait pour toujours un esprit, la marque de la Bête.

Bientôt son essence céleste serait absorbée par l’humain qu’il allait devenir. Lucifer aveuglé par ses souffrances exacerbées, maudissait silencieusement la Création en implorant son Père de l’anéantir complètement, la douce mélodie de l’oubli faisait battre son cœur avec vigueur. N’être plus rien, nulle part, était le premier souhait humain du diable. La marque de la Bête torturait les pensées des Hommes, inconscients qu’ils s’infligeaient ce mal d’eux-mêmes, tandis qu’ils se complaignaient de ce malheur pour pouvoir accuser autrui de ces torts, et l’ange déchu expérimentait pleinement cette facette qu’il haïssait pourtant de la Vie, la facilité du mal que devait servir le diable. Sacrifier son fils pour affranchir l’humanité du joug de l’ange de lumière, cela mettait Lucifer dans une colère glaciale, celle qui nourrissait les plus noirs desseins de l’âme.

Le diable marchait sur la Terre.

Le temps défilait rapidement, ce principe de décrépitude perpétuelle n’égayait en rien l’humeur déjà massacrante de Lucifer, il pouvait observer ses cheveux blonds s’allonger depuis son crâne, ses ongles le griffer au fur et à mesure de leur croissance pour finir par se casser malencontreusement. Ses yeux verts qui, autrefois capables de percevoir l’infinité des couleurs, ne pouvaient que faiblement contempler les quelques restes que Dieu avait laissé sur la planète bleue, ainsi le diable trouvait refuge dans les ténèbres pour oublier la perte de ces magnificences passées.

Le nouvel homme errait sans but dans les allées tortueuses du labyrinthe de la Vie, ses débuts dans le monde avaient été accompagnés d’une léthargie morale dénuée de sens, si bien que l’ex ange ne tardait pas à devenir le fantôme de la ville qui avait accueilli sa naissance humaine.

Son éveil prenait effet en douceur, le diable voulait connaître l’étendue de ses pouvoirs et si sa forme mortelle pouvait les cristalliser depuis sa volonté. Une joie immense envahissait Lucifer quand par une nuit trop sombre, il fit s’écarter les nuages pour permettre à la lune de briller sereinement, le premier miracle du diable parmi les Hommes.

Jamais encore, il n’avait parlé à la Création de son Père, ni même eu la volonté de le faire, cependant la fuite perpétuelle de ces gens ne pouvait pas durer jusqu’à ce que Dieu le rappelle à Lui, et le suicide signerait impitoyablement son enfermement éternel en Enfer, alors le diable commença à s’intéresser aux humains. Et jamais le diable désirait se faire voir d’eux, il n’était pas encore prêt pour cette nouvelle facette de sa vie.

Ethan McBarden, voilà le nom de celui qui attirait la curiosité de Lucifer les premiers temps de son éveil. L’homme menait une vie pleine, possédait une bonne fortune et avait une apparence agréable, cela ne manqua pas d’émouvoir l’ange qu’un si joli faciès réside sur la Terre, Dieu les avaient bien modelés à son image pensait-il à contrecœur, car ils ne le méritaient pas tant. Mais Ethan, dieu, Ethan, quelle était cette splendeur novatrice qui obsédait le diable, dont la raison n’avait de cesse de maudire intérieurement le plaisir qu’il retirait de l’observation zélée de cet homme.

Ses traits finement sculptés pour souligner ce visage androgyne d’un regard saisissant aussi noir que l’ombre elle-même, sa bouche pouvait sourire d’une intéressante manière selon un panel d’émotions, dont la favorite de Lucifer restait la cruauté, un rictus des plus malsains, jamais il n’avait pu contempler chose pareille aux Cieux. Sa peau laiteuse tranchait avec des cheveux tout aussi noirs que ses yeux mystérieux, l’ensemble posé sur un corps svelte où la beauté s’harmonisait à merveille et prenait sa source.

Le diable avait rencontré cet humain de bonheur lors d’une nuit banale. La lune peinait à se remplir pour ne dévoiler qu’une infime partie de ses charmes, l’air restait désespérément sec. Lucifer se postait sur les toits, gargouille mouvante dont les ailes autrefois immaculées ressemblaient à de la chair calcinée, mordue de veines frémissantes et dont l’ossature n’avait rien d’accueillante. Il ne savait que penser de sa nouvelle forme céleste, cadeau de son Père, plus rien ne rappelait sa magnificence passée, voici comment Dieu avait imaginé les démons, des êtres repoussants où la lumière du Ciel se fanait.

Ses préoccupations démoniaques en tête, Lucifer avait donc rencontré Ethan McBarden, fils d’un marchand fortuné, qui ne rougissait pas de son statut sans noblesse, car il faisait bon rappeler qu’il était plus riche qu’un duc et probablement l’une des premières fortunes du continent après la famille royale. Les yeux de l’ange avaient capturé ce jeune homme lorsqu’il se rendait en visite dans une vieille bâtisse, avec pour projet de l’acheter à bon prix. Les humains pouvaient simplement posséder ce qu’ils voulaient, pour cela l’argent rentrait dans une savante équation appelée « le pouvoir ». Lucifer sentait quelque chose d’étrange dans la contemplation d’Ethan, l’humain possédait quelque chose d’angélique, comme de l’eau limpide dans laquelle s’abandonnait la confiance, il semblait trop parfait.

D’expérience, le diable savait que la Création ne pouvait être perfection, Dieu ne le permettrait pas. Il lui tardait de découvrir quels vices couvraient d’aberrations le doux visage d’Ethan, ainsi il entreprit de suivre cet humain lumineux dans les profondeurs de sa vie bien ordonnée, jusqu’aux confins de l’horreur.

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