Prologue

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 Il faisait noir à ne pas distinguer le bout de mes doigts. À ne pas voir les mèches qui pendouillaient le long de mon nez. J'étais là, hors du temps, à tenter de crier « à l'aide » mais aucun son ne sortait de ma bouche, comme si quelqu'un m'avait dérobé mes cordes vocales. Je me sentais enfermée dans un espace étroit, prise au piège comme le serait un oiseau dans une cage. Mes paupières refusaient de me laisser voir le monde dans lequel j'étais. Pourtant, je sentais le vide m'entourer. J'éprouvais un grand besoin de partir, de sortir de cet endroit qui m'étouffait. J'avais besoin de prendre mon envol.

Au bout d'un certain temps, je commençai à me sentir plus légère, à ne plus avoir cette chaîne qui me reliait, moi et ma cage. C'est alors que la voix d'une enfant me stoppa dans mon ascension.

  • Ne pars pas. Nous t'attendons Leïna, sanglota la fillette.
  • Qui es-tu ? m'inquiétai-je.

Elle me prit dans ses bras. Sa peau était glaciale.

  • Nous n'avions pas prévu cela, alors ils m'ont demandé de venir te chercher. Tu ne dois pas partir, nous n'avons pas terminé le projet Cerbère, me supplia la petite fille.
  • De quoi parles-tu ? Quel est ton nom ?
  • Peu importe, ce n'est pas ce qui te fera sortir de ce lieu. Suis-moi.

Elle attrapa ma main et me guida pour me descendre de l'estrade où je me trouvais. Elle placa son autre main au creux de mes reins pour me pousser dans la bonne direction. Cela me rassurai.

  • Tu n'as rien à craindre, tu sais au fond de toi ce que tu dois faire, s'écria-t-elle, de la gaieté dans la voix. Nous l'avons appris ensemble, tu ne t'en souviens pas ?
  • Je devrais ? la questionnai-je apeuré.
  • N'oublie pas, tu es maître de ton corps et de tes pensées. Tu trouveras seule la réponse à tes questions, si tu prends la peine de t'écouter.

La froideur de son corps s'effaça peu à peu et je compris très vite qu'elle venait de partir. Que voulait-elle dire par « Nous l'avons appris ensemble » ? Sur ses conseils, je me concentrai pour ordonner à celles qui bloquaient ma vue de s'ouvrir. Mes paupières cédèrent. C'est alors que je distinguai tout autour de moi des lettres lumineuses gravées sur des menhirs. Elles m'entouraient en cercle, laissant échappées sur mon visage une lumière bleutée : V-I-C-I-S-V-E-R-S-U-S.

  • Vicis Versus ? me questionnai-je.

Une petite pyramide bleu à l'envers apparue soudainement sous mes yeux, en une fraction de seconde. Comme si, dans cet endroit mystérieux, mes désirs devenaient réalités. Elle diffusait devant moi, une infime source de lumière. Je compris immédiatement où ces mots voulaient en venir. Du latin, Vicis signifiait l'ordre et la position et Versus, inverse. Grâce à ces deux mots, tout était devenu plus clair.

  • La position a été inversée ! lâchai-je avec soulagement. Se pourrait-il que la pyramide soit un interrupteur ? Peut-être qu'il suffirait de retourner la pyramide dans le bon sens pour obtenir l'effet inverse... De la pénombre à la lumière.

Sur ces mots, je me mis à l'action en portant la lourde sculpture en pierre translucide. Cependant, il était impossible de la tourner. Elle restait accrochée à je ne sais quelle force qui l'a maintenait en l'air. Une brise glaciale caressa ma joue apportant avec elle un écho de chuchotis : "N'oublie pas, tu es maître de ton corps". Je pris quelques minutes pour réfléchir. Je devais retourner cet étrange objet sans pour autant le manipuler. J'avais commencer par répéter naÏvement "Visis Versus" une nouvelle fois sans grand espoir. J'avais aussi tenté de fermer les yeux et d'imaginer la pyramide se retourner, mais rien n'y faisait.

Subitement, un hurlement de loup derrière moi me fit sortir de mes pensées. Je me retournai pétrifié, les jambes flageollantes. Au fur et à mesure de mon détour, des bruits mécaniques retentirent autour de moi. L'ambiance bleutée qui s'était installée dans la pénombre augmenta petit à petit de luminosité, jusqu'à atteindre une blancheur extrême. Je fus agréablement éblouie par le paysage qui se révéla immédiatement à moi. La neige n'était pas de la même couleur lorsque je l'avais connue. Elle était mille fois plus blanche, mille fois plus scintillante au soleil, comme si un seul flocon renfermait des milliards d'étoiles.

Le silence régnait. Il n'y avait aucun bruit. Ni le chant des oiseaux qui me réveillait le matin, ni même le souffle du vent. Je décidai de m'asseoir pour profiter de ce moment qui faisait disparaître toute l'anxiété accumulée auparavant. J'étais enfin sereine.

Un lac me séparait des seuls arbres du paysage. Au loin, j'aperçus un cerf s'approcher de l'immense étendue d'eau. Il abaissa sa tête et but quelques gorgées. Il était majestueux. Ses cornes étaient aussi grandes que les branches d'un chêne.

Il ne me voyait pas. Ou peut être qu'il ne me prêtait pas attention. J'avais l'air de faire partie du décor, comme-ci ma présence ne lui était pas étrangère. Au final, nous cohabitions avec respect. Ni lui, ni moi n'avions de privilèges par rapport à l'autre, aucune hiérarchie. Nous vivions, voilà tout.

  • Rejoins-nous, siffla la voix d'un homme.

Je me retournai en sursautant : elle ne m'était pas inconnue.

  • Suis ce que tu as toujours connu, murmura un vieil homme à mon oreille.

J'essayais d'apercevoir leur visage, mais je devais m'y résoudre : ce n'était pas réel. Pourtant, mon for intérieur me poussait vers l'eau, cela devenait vital. Je me levai en prenant soin de ne pas abîmer ma longue robe blanche. Etrangement, mes pieds n'étaient pas brûlés par le froid de la neige. Je ne sentais rien d'autre que la connexion entre la Terre et moi.

J'approchais de plus en plus du lac. Le cerf s'était arrêté de boire, il me fixait. Plusieurs oiseaux avaient entre temps pris place sur ses bois.

J'aperçus mon reflet avant de me sentir littéralement poussée dans l'eau. Je plongeai la tête la première dans une eau si glaciale que je ne sentais plus mon corps. Le temps semblait se ralentir et des bribes de phrases me parvenaient pendant que je m'engouffrais dans les profondeurs du lac.

L'Atlantide est controlée.

Fais attention à toi Leïna, tu ne sais pas quelle force tu affrontes.

Tu es un danger pour notre communauté...

Je suis obligé.

Nous ne pouvons plus rien pour toi.

Lorsque mon dernier soupir dans cette eau glaciale se libéra de ma bouche, j'ouvris les yeux. Une voix sifflotait dans mes oreilles :

  • Bonjour et bienvenue à l'infirmerie du Quartier Supérieur. Je suis Sonata, médecin et psychiatre chargé de vous rassurer durant votre processus de réveil. Vous avez été pris en charge par le personnel de la Couronne, ne vous inquiétez pas, vous êtes entre de bonnes mains. Pour informer l'équipe de soins de votre retour parmi nous, veuillez taper 1 sur la télécommande située à votre droite. La vidéo de présentation est maintenant terminée. Bonjour et bienvenue à l'infirmerie du Quartier Supérieur...

Bip.

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