Noïthéimos

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 Le dîner passé, je m'étais préparée un bain chaud en mélangeant de l'eau brûlante avec deux ou trois seaux d'eau glaciale. La vapeur se déposait délicatement sur la vitre de la baignoire qui protégeait le mur en terre, de l'humidité. Je rentrai difficilement dans l'eau, encore un peu chaude. J'attrapai le pic à cheveux sur une caisse de vin qui nous servait de meuble de rangement. Je les relevai en petit chignon et passai au centre de celui-ci, le bâtonnet d'un geste décidé. Comme à leurs habitudes, mes mèches les plus courtes se libérèrent, odulant de plus belle face à l'abondante vapeur dégagée dans la pièce.

La salle de bain était petite et assez minimaliste. Il y avait au plafond une grande fenêtre ouverte pour laisser échapper la vapeur chaude, si bien que je pus contempler mon reflet dans le miroir sans buée. J'imaginais les traits de mes parents à travers les miens. De jolis yeux en amandes aux iris bleus-grises, un nez retroussé et fin, la bouche qui faisait la moue lorsque je détendais mes lèvres pulpeuses et un petit grain de beauté sur ma pommette gauche. J'avais beau approcher de la vingtaine, mon visage était encore juvénile, sans traces laissée par l'adolescence. C'était sûrement grâce aux cosmétiques maisons que me préparait Mama Thésia. Elle notait toutes ses petites potions magiques dans un vieux carnet et moi, j'étais son cobaye. Qu'est-ce-que je l'aimais !

 Et puis, il y avait cette chose. Sans comprendre pourquoi, j'avais toujours détesté cette particularité qui nous distinguait des terriens. A travers ma peau, je pouvais péniblement distinguer un petit cristal bleu qui s'était logé au creux de mon front. Comme à chaque fois, j'essayai de nouveau de le décoller, et sans grande surprise il ne bougea pas d'un poil. Au lieu de cela, une plaque rouge s'était formée tout autour. Ma peau me brûlait à n'en plus pouvoir et face à mes gémissements, Mama Thésia rentra dans la pièce.

  • Arrête dont de pleurnicher, fais moi voir ça, dit-elle en s'agenouillant.

Je lui montrai du bout du doigt l'objet de mes souffrances. D'un simple coup d'oeil, elle s'exclama :

  • Idiote ! gloussa t-elle. Ne tripote plus jamais ton Äjna !
  • Mon quoi ? haussai-je les sourcils.

Je mouillai mon front avec l'eau du bain en espérant effacer la douleur, en vain.

  • Le Chakra du Troisième Oeil. Celui qui voit tout. Il renferme ta mémoire, tes pensées, ta vie en général.

Dans ses yeux, je pouvais lire son inquiétude même si elle essayait de ne rien me montrer. Elle l'examina tout en continuant :

  • Leïna, ne me dis pas que tu n'avais jamais remarqué sa présence avant ?, appréhenda-t-elle.
  • Si ! Bien sûre que si. Seulement, tu ne m'avais jamais expliqué son utilité, ni même dit son nom.
  • Ca m'étonnerais venant de moi !
  • Alors, je n'ai pas du faire très attention lorsque tu m'en parlais, souriais-je.

Elle fit les gros yeux, tout en retirant ses doigts de mon front. Je m'enfonçai dans l'eau mousseuse avant d'ajouter :

  • Pourquoi alors je ne vois pas le tien ?

Elle rit.

  • Il te reflète. C'est un peu comme ton âme, tu comprends ?

J'acquiesçai d'un signe de tête.

  • L'âme n'est pas perceptible par ceux qui t'entoure. Alors je ne vais pas voir ton Ajna. Ni même le sentir si je le touche, mais je sais qu'il est présent.
  • J'ai compris Mama. Merci.

Elle soupira un petit sourire aux lèvres. Mais il s'effaça très rapidement.

  • Leïna, j'ai quelque chose à t'annoncer.

Je me relevai doucement mesurant le ton qu'elle avait employé. C'était important. Et Mama Thésia ne rigolait pas avec ces choses-là.

  • Lorsque je t'ai trouvé au pas de ma porte, tu n'étais pas totalement seule, bégaya t-elle.

Elle avait baissé les yeux.

  • Comme je te l'ai toujours dit ma chérie, ton papa et ta maman t'ont déposée ici, avec ta peluche et ta couverture. Mais je t'ai longtemps dissimulé ceci.

Elle se leva, disparut quelques instants avant de revenir avec une boîte à la main. Elle me tendit le petit coffre en bois sculpté et le secoua sous mes yeux pour m'inciter à le prendre dans mes mains.

  • C'est ton gardien d'âme. Je pensais que ne pas te le donner te ferais rester un peu plus longtemps avec moi. Mais je dois m'y résoudre : tu grandis et tes questions en font de même. Il est tant que tu prennes ton envol.

Je ne savais pas quoi faire avec ce boîtier dans mes mains mousseuses. Je me perdais dans le regard de Mama Thésia. Il me suppliait de la pardonner.

  • Mon gardien d'âme ?, la questionnai-je.
  • C'est assez long à expliquer ma puce. En résumé, il te protègera d'une manière que tu découvriras de toi même. Ouvre et on en discutera toutes les deux demain, une tasse de chocolat chaud à la main, révassait-elle tandis qu'elle se léchait les lèvres.
  • Je n'arrives pas à comprendre pourquoi maintenant...balbutai-je
  • Tu t'éveilles, me dit-elle en jetant un coup d'oeil à mon Ajnä. Il est tant maintenant.

Elle me désigna le coffre du doigt, impatiente que je découvre ce qu'elle avait sans doute eu dû mal à me cacher pendant toutes ces années. Je m'exécutai sans poser d'autres questions, sous la demande de Mama Thésia qui s'était assis sur un tabouret en bois à proximité de la baignoire. Le boîtier renfermait une petite carte en or au dessus d'un collier en lacet. Je soulevai celle-ci. Une pierre bleu ovale brillait comme un reflet au fond de l'eau.

Mes mains étaient moites. Je regardais avec précision l'écriture précipitée d'un de mes parents. Le cœur battant à en sortir de ma poitrine, je finis par lire, la voix tremblante.

  • Nous te demandons pardon Leïna...

Il t'arrive peut-être de nous en vouloir. Tu as souffert ou peut-être bien que tu souffres encore. Tu dois te dire que nous t'avons abandonné lâchement. Et c'est ce que l'on a fait. Nous avons été lâches de ne pas te protéger d'une autre façon que celle-ci. Et même si nous en avions longuement discuté, il était préférable que cela se passe ainsi.

Dès ta naissance, tu as dû être confrontée au regard des autres et pour ta sécurité, nous t'avons laissé ici. Dans un foyer qui t'apportera tout ce dont tu auras besoin. Un foyer dans lequel nous savons que tu pourras t'épanouir et grandir en toute sérénité. Un foyer de confiance.

Nous sommes conscients que ce que nous faisons ce soir te suivras toute ta vie. Tu auras peut-être peur d'aller vers les autres et d'être abandonnée une nouvelle fois. Tu te sentiras de trop. Tu te diras que tu déranges. C'est ton droit. C'est logique. Mais ne te juges pas aussi durement. Tu as le droit d'exister. Tu as le droit d'être aimé.

Le gouffre que tu t'es créé se comblera un jour, la confiance que tu n'as jamais eu en toi et les autres reviendra. Et à ce moment-là, ne t'excuse pas d'être toi.

À très vite.

Noïthéimos,

Tes parents

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