XXIV. Plage

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  Le feu se mourrait dans l'âtre. Les derniers crépitements accompagnaient les expirations essoufflée de Cyrille, alors qu'elle serrait contre elle le corps tiède de Cassandre, tout juste tombée de fatigue dans ses bras. Enveloppée avec elle, à même le sol, dans la couverture, elle contemplait la douce agonie de leur propre bûcher.

– Je t'emmènerai voir la mer, murmura Cassandre, à demi ensommeillée.

– Ça ne presse pas. On a toutes les marées qu'on veut ici...

Elle passa tendrement la main entre les cuisses trempées de la belle endormie.

– Hmf...

Cyrille lâcha un rire et lui embrassa le front, avant de se blottir contre elle en fermant les paupières.

Cyrille était une plage ; une vaste plage de sable dense. C'est ce dont rêvait Cassandre.

Elle était la mer, allant et venant contre le rivage dans un mouvement voluptueux, tentant de l'engloutir sans jamais pouvoir le posséder tout entier. Elle ne pouvait qu'attendre la marée haute, moment fatidique où enfin elle l'enroberait jusqu'à la digue.

Elle était la mer, indécise, incapable se décider soit à embrasser la plage pour ne plus former qu'une, soit à se retirer, creusant entre elles la distance de larges bâches vaseuses.

Elle était la mer, entêtée, qui sans cesse revenait à la charge pour caresser le sable qui toujours l'absorbait – éternelle refoulée d'une lutte primaire.

Cyrille, au-devant, s'étendait comme une plage, impassible face aux assauts répétés de ses vagues salées ; indifférente lorsqu'elle se retirait au large. Elle érigeait entre elles des châteaux aussitôt érodés : une muraille de poussière derrière laquelle se replier qui, chaque soir défoncée par la houle, se relevait le lendemain même.

Cassandre avait beau promener son écume stagnante sur les flancs de ses dunes, emporter sauvagement ses fortifications ; elle avait beau tenter de la sonder, de se confondre en elle jusqu'à devenir limon, jamais elle ne perçait les mystères de Cyrille.

Ainsi était la plage : statique et changeante à la fois ; impassible alors même que sans cesse son visage se métamorphosait. Les grains de sables balayés formaient de nouvelles dunes, ailleurs, tandis que des fosses se creusaient là où la veille encore on s'asseyait sans crainte.

Cassandre en avait conscience, ses marées quotidiennes modelaient la figure de cette côte chérie. Toutefois, elle n'était pas la seule à balafrer cette plage des stigmates fugitifs. Le moindre coup de vent soulevait au loin des bandes de sable jusqu'alors immuables, déterrait des secrets enfouis depuis des temps immémoriaux. La moindre forme de vie, de passage, marquait son corps quartzeux d’empreintes qui demeureraient, jusqu'à ce que que la mer vînt les panser de son èbe apaisante.

Coupable, la mer l'était. Elle n'avait de cesse d'essayer d'imposer au rivage la forme de ses propres ondulations. Pourtant, ce même rivage ne la blessait-il pas suffisamment en retour ? Tantôt ses flots se fendaient sur un éclat de verre jailli des tréfonds, tantôt ses eaux s'embourbaient dans le cul d'un sac plastique.

Nul n'avait de pitié, dans la sempiternelle bataille du fluide contre le dur. Nulle, de toute évidence, ne pouvait capituler.

Cassandre s'éveilla soudainement et chercha à tâtons le corps de Cyrille auprès d'elle. Du bout des doigts, elle frôla ses cheveux et laissa échapper un soupir soulagé. Son amante se tourna vers elle et entrouvrit des yeux encore pleins de fatigue.

– Ça va ?

– Un cauchemar, je crois. J'ai cru que tu t'étais encore tirée.

– Rassure-toi, je ne vais nulle part.

– Tu me le promets ?

– C'est promis.

Cyrille attira doucement Cassandre vers elle, de sorte que cette dernière vînt se blottir contre sa poitrine. Tandis qu'elle refermait les yeux, pressée de se replonger dans le sommeil, son cœur battait malgré elle à un rythme effréné. L'avion branlant de ses émotions traversait une nouvelle zone de turbulences et son cockpit tremblait, de peur, craignant qu'un orage pût frapper.

Cassandre le sentit, et pourtant elle brisa le silence plutôt que de laisser la tension s'y dissoudre :

– Cyrille ?

Un instant, la jeune femme feignit de dormir. Mais sa belle insista.

– J'ai besoin de savoir...

– Dis-moi ce qui te tracasse.

– Tu serais prête à changer, par amour pour moi ?

– Évidemment. J'ai déjà changé, pour toi.

À cause de toi, songeait-elle. Elle savait toutefois que toute vérité n'est pas bonne à dire, aussi se garda-t-elle de partager cette pensée.

– Jusqu'où tu serais prête à changer ?

– Quelle question ! Jusqu'où il faudra.

Mais si tu m'aimes, ce devrait être telle que je suis, n'est-ce pas ? Elle serra un peu plus fort Cassandre contre elle, sans savoir si elle cherchait alors à la rassurer ou à se consoler elle-même.

– Allez, rendors-toi. On a tout le temps devant nous.

Au bout d'une bonne dizaine de minutes, Cyrille s'assoupit enfin. Elle rêva que Cassandre et elle habitaient un autre monde : un monde où, car elle n'avait jamais renié ses sentiments et ne l'avait, par conséquent, jamais blessée, elles coulaient des jours heureux ; où la rancœur ne prenait pas sans cesse le pas sur l'amour ; où elles œuvraient à leur bonheur dans un climat de confiance mutuelle. Après quelques heures de douce rêverie, pourtant, elle s'éveilla en sursaut, comme on s'extrait d'un cauchemar. Aussitôt eut-elle ouvert les yeux que son visage fut submergé de pleurs – le remord diluvien qui fouettait sa conscience.

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