XXIII. Cheminée

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  Elle remuait frénétiquement le tisonnier dans la cheminée de la chambre 104, tentant de raviver les flammes qui, fragiles, ployaient sous les assauts de quelques courants d'air. Cassandre allait et venait, claquant tantôt la porte, tantôt laissant le battant grand ouvert. Cyrille peinait à entretenir le feu qui devait les garder à l'abri de la fraîcheur nocturne, mais elle résista à l'envie de rechigner. Si malmener une porte et une poignée de braises pouvait aider à atténuer la fureur de Cassandre, mieux valait la laisser déchaîner son courroux.

– Tout va bien, Cyri ?

Paul venait d'entrer dans la chambre, les bras chargés de trois grosses bûches. Il les déposa près du foyer et s'accroupit près d'elle.

– Cassandre a l'air énervée. Tout va bien, entre vous ?

– Ça peut difficilement empirer.

– Ça a l'air d'être une sacrée histoire !

Le regard inquisiteur du jeune homme l'obligea à se livrer. Elle soupira.

– J'ai failli la tuer, il y a huit ans. Mais ça, elle ne s'en souvenait pas, parce qu'elle a perdu la mémoire sur le coup, par ma faute. C'est assez romanesque pour toi ?

– Oh, ça pourrait être plus tordu que ça... Imagine, si entre temps, tu avais eu un gosse pas désiré. Ou mieux, si tu n'avais jamais parlé de tout ça à ton cousin qui se plie en quatre pour vous aider, ta fille et toi.

Cyrille tourna le visage vers lui et haussa les sourcils. Paul choisissait toujours l'humour, pour atténuer la pesanteur des aveux difficiles. Pourtant, quoi qu'il feignît de s'amuser de la situation, elle décelait dans son regard un soupçon de reproche. À mesure qu'elle sondait sa figure, l'expression de Paul se faisait plus grave. Son ton était absolument solennel lorsqu'il se décida à livrer le fond de sa pensée :

– Sérieusement, Cyrille... Il y en a eu, des filles à qui tu as fait perdre la tête. Mais là, franchement, tu n'y es pas allée de main morte !

Elle ne put s'empêcher de rire, alors même que son cousin tournait son tragique destin en puéril jeu de mots. Elle le gratifia d'une grande frappe sur le crâne.

– T'es vraiment con !

En retour, il passa fraternellement un bras autour de ses épaules et lui ébouriffa les cheveux.

– Tu te souviens, quand on était petits ? On devait devenir un duo comique ! Pas des putains de dépressifs ... Allez, ne te laisse pas abattre !

En quittant la chambre, Paul croisa, une fois de plus, Cassandre qui rentrait.

– Merci, pour le plâtre.

– De rien.

Il n'avait pas le droit d'en dire plus. Il ne pouvait blâmer la jeune amnésique pour témoigner une telle rancune à celle qui l'avait estropiée. Il ne pouvait l'implorer de faire preuve de pitié envers cette âme fragile, laissée trop longtemps à la dérive. Néanmoins, il choisissait naturellement le camp de sa cousine et amie de toujours. L'idée que Cassandre pût exercer sur son cœur une emprise si destructrice le dérangeait profondément.

Le fer froid de la poignée ranima la douleur des écorchures sur ses mains lorsque, au bout du compte, la jeune femme se décida à clore tranquillement la porte pour aller s'asseoir auprès de Cyrille, devant le brasier flambant.

– Paul emmène Alix voir le bûcher ? demanda-t-elle.

L'autre, demeurée penchée sur le foyer à titiller la cendre et le bois roussi, hocha la tête.

– Ouais. Les enfants adorent ça, les mises à mort.

– Et nous, qu'est-ce qu'on fait ?

– On brûle de l'intérieur...

En effet, Cassandre sentait une certaine ardeur l'enflammer. La colère qui s'était mêlée à son amour l'avait métamorphosé en une passion bouillante. Elle passa une main sous la joue de Cyrille et tourna son visage vers elle pour presser fougueusement ses lèvres contre les siennes. Le bourreau repenti répondit sans lutter au baiser endiablé de son ancienne victime, la prenant par la taille pour l'attirer contre elle. Sa langue venait caressait les dents dorées de Cassandre, comme pour lui susurrer, encore, de muettes excuses. Toutefois, rien ne semblait en mesure d'apaiser la belle qui, furieusement, saisit Cyrille par les cheveux et la fit basculer, dos au plancher devant le foyer crépitant.

La main de Cassandre serrait les mèches dans la nuque de son amante et dirigeait sa figure, rendue au bout de ses doigts à l'état de marionnette. D'abord, elle l'attirait vers elle, forçant la friction de leurs papilles. Soudain, elle tirait son crâne en arrière pour mieux la rejeter, ornant au passage ses lèvres gercées d'une légère morsure.

Cyrille se laissait faire. Elle n'opposait à Cassandre que la résistance suffisante, afin que cette violence eût quelque saveur authentique. Elle jouait docilement le jeu de la bête prise au piège en recevant, sans donner l'air de les désirer, les agressions répétées de la bouche de sa bien-aimée. Elle la laissait crisper les ongles contre son cuir chevelu, feindre de la blesser ou de se lasser d'elle. Elle voyait, avec autant de plaisir que d'appréhension, comme l'illusion du contrôle faisait croître l'excitation de Cassandre. Ses mains abîmées glissaient sur la gorge de Cyrille, exerçaient soigneusement leur pression sur sa trachée, juste assez longtemps pour lui procurer la sensation de l'étouffement. Cette dernière accueillait avec ferveur l'oppression salvatrice qui la laverait de ses péchés d'antan.

Dans la pénombre de la chambre, à la lueur du feu, se peignait l'étrange tableau de deux corps dénudés, accrochés l'un à l'autre comme les anneaux d'une même chaîne et pourtant repoussés tel deux vents contraires. La valse enivrante d'une attirance répulsive – ou l'inverse, tout autant – les charriaient corps et âmes dans une houle poisseuse.

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