XV. Citrouille

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  La cuisine embaumait du parfum sucré de la citrouille. À table, Cassandre et Alix sculptaient les imposantes courges. Paul récupérait la chair orangée et, armé d'un terrifiant couteau acéré, la tranchait en menus morceaux. Cyrille la transvasait alors dans sa marmite pour la réduire en soupe.

La fillette chantonnait une comptine que lui avait apprise son tonton. Sa mère concentrait toute son attention sur le crépitement des flammes et les faibles explosions des bulles veloutées, tentant de faire fi de l'abominable refrain.

J'habite une maison citrouille. Rapetipeton, le soleil est rond...

J'aime les grenouilles, et la pluie qui mouille, entonna alors Cassandre.

Et Paul de donner un coup de coude à sa cousine.

Et l'omelette aux hannetons !

– Beurk ! s'écria l'enfant. C'est pas bon les hannetons !

– Continue de chanter, souffla Cyrille, et c'est ce que tu auras au souper !

En se tournant pour ronchonner, elle entrevit son amante et sa fille qui découpaient ensemble les potirons. Étonnement, la gamine était douée. Elle traçait d'étrange arabesques, comme des fleurs entremêlées, dans la chair du légume. La jeune femme, quant à elle, entamait d'affubler une quatrième courge d'une face ridicule. Les citrouilles de Cassandre faisaient la grimace, les gros yeux ou un sourire béat. L'une d'elles, les lèvres tombantes, pleurait ses propres pépins. C'était à se demander laquelle des deux artistes en herbe était l'enfant !

Les mains plongées dans le jus visqueux, l'amnésique sentait ressurgir en elle de vagues sensations, sortes de déjà-vécus. C'était une certitude, elle avait déjà entaillé le visage rugueux d'une courge pour lui élargir le sourire.

« Je vais te découper les yeux, face de citrouille ! ». Où avait-elle entendu ça ? Impossible de se souvenir.

Les fibres suintantes se collaient dessous ses ongles. Tout en enfonçant les doigts dans le crâne percé du potiron pour le vider de ce qui y restait de cervelle, contrainte de forcer le passage pour venir à bout de filaments récalcitrants, la jeune femme se mit sans le vouloir à admirer avec amour celle qui, aux fourneaux, pestait incontrôlablement contre son potages.

– Merde, encore des grumeaux...

– Tiens, en voilà d'autres !

Alors que son cousin versait dans la marmite un énième monticule de gravas citrouillesques, Cyrille, qui sentait peser sur elle un regard indiscret, se retourna pour rencontrer le sourire nigaud de sa bien-aimée, en train de palper lascivement un légume.

Parce qu'elle était arrivée à cours de lentilles de contact, Cassandre portait de nouveau ses lunettes. Cyrille aimait la façon dont les épaisses montures marron venaient souligner le bleu pâle de ses iris, comme les branches nues d'un arbre auraient voilé au loin l'étendue d'un lac givré.

– Bon, eh bien je vais chercher des bougies ! lança Paul.

Cyrille sortit de sa transe en sursaut, soucieuse que son cousin eût à tenir la chandelle. Elle agita les mains pour protester.

– Non, ce n'est pas... Nous ne sommes pas...

– Pour les citrouilles, l'interrompit Paul. Des bougies pour les citrouilles !

La jeune femme se figea et comprit, trop tard : le « nous » était lâché.

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