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Un capharnaüm régnait dans le QG. Des papiers partout sur l’ilot central, des tableaux remplis de Veledas et des cartons en vrac sur le sol. Jules avait l’impression de mettre les pieds dans sa propre chambre avant sa rencontre avec Alice. Un grand nettoyage s’imposait.

Le jeune homme posa sa veste sur le dossier d’une chaise-haute. Il resta appuyer un instant contre le mur et se laissa porter par ce silence l’apaisait. Il avait réussi à trouver et arrêter le véritable coupable du meurtre d’Alexian. Lucas serait libéré d’ici peu et la vie reprendrait son cours, bien que les mémoires n’oublieraient pas de si tôt tous ces événements.

Un bouton rouge clignotait sur le boitier du téléphone, probablement un message sur le répondeur. Jules saisit l’appareil et pressa la touche pré-enregistrée. Une boite automatique lui signala un appel en absence le jour même à dix-huit heures vingt. Il reconnut immédiatement Betty.

« Bonjour, je vous contacte pour vous prévenir que nous avons fini de décrypter les informations sur la clef. Diane a trouvé des dizaines de fichiers impliquant Dimitri Balkichvski dans des activités illégales comme le trafic de drogue. Il semblerait aussi que le fils de Dimitri ne soit pas mort et qu’il ait organisé une vengeance avec sa soeur. Ils se nomment Alexandr et Olga Balkichvski. Tenez-nous au courant de vos avancés s’il vous plaît. »

Le répondeur proposa de conserver le message ou de le supprimer. Jules appuya sur le trois pour l’effacer.

Une petite boîte noire trônait sur la petite table du salon, accompagné d’un mot de Marie. À sa lecture, le juriste eut un sourire aux lèvres. Cette fille pensait à tout, un véritable sens d’anticipation et de l’organisation. Elle avait récupéré la clef USB une fois la mission de Diane terminée pour garder le contrôle de l’affaire et ne pas mettre d’autres personnes en danger.

Il saisit l’objet entre ses doigts et l’observa. Malgré sa petite taille, ce support pouvait causer des dommages d’une grande importance. Il ne devait pas tomber entre de mauvaises mains. Le remettre à Dimitri était à la fois une bonne solution, mais aussi fermer la porte à toutes poursuites.

Jules composa le numéro de Balkichvski et s’assit dans le canapé.

- Monsieur Jules, quel plaisir de vous entendre. Dites-moi tout.

Le ton de sa voix était un peu plus détendu, mais la tristesse n’avait pas quitté l’homme d’affaires.

- Votre fille a été arrêtée, le cauchemar est terminé, si j’ose dire.

- Une bonne nouvelle…

- J’ai aussi la clef USB en ma possession avec toutes les informations compromettantes à votre égard.

- Vous êtes un homme remarquable. J’aurais aimé avoir un fils comme vous. Concernant la clef, j’espère que notre accord tient toujours.

- Bien entendu, je n’ai qu’une parole.

Ils fixèrent rendez-vous à deux heures du matin sur les quais de Seine, à hauteur de la cathédrale de Notre-Dame-de-Paris. Jules devait venir seul, mais qui aurait bien pu l’accompagner ? Babacar était à l’hôpital, Alice avec sa famille et Marie ne répondait pas, sûrement épuisée. Le lieutenant Dupuis devait crouler sous les papiers administratifs et ne serait d’aucune aide.

Le frigidaire était plein et le jeune homme se prépara un oeuf sur le plat avec des pâtes au gruyère. Un steak bien saignant sur son lit de feuille de salade pour accompagner le tout et il engloutit son repas.

Il s’attaqua ensuite aux différentes piles de papiers. Les feuilles s’accumulaient près de la déchiqueteuse qui fonctionnait à plein régime. Quelques boulettes volaient à travers la pièce pour échouer près de la grande poubelle à l’entrée de la bâtisse. Les documents importants prenaient place dans un grand carton que Jules placerai à l’abri dans le coffre fort une fois installé.

Devant lui, la clef USB livrait en boucle son contenu décrypté sur l’écran d’ordinateur. Devait-il en faire une copie ou bien laisser s’envoler toutes ces preuves et clore définitivement cette affaire ? Sa raison balançait d’un côté puis de l’autre, sans jamais s’arrêter. Il préféra détourner le regard, le temps de se décider.

Son téléphone vibra. Un numéro qu’il ne connaissait pas.

- Yo mon poulet ! Alors raconte-moi la fin !

- Bounty, ça fait plaisir d’entendre ta petite voix. Je t’ai abandonné dans un sale état.

- T’inquiète, j’ai de jolies infirmières pour panser cette douloureuse blessure que tu m’as infligée au coeur, ricana-t-il. Balance la sauce, mec !

Jules lui raconta chaque détail, de l’arrivée à l’aéroport jusqu’aux derniers échanges avec Olga dans le fourgon de la gendarmerie. Babacar écoutait avec une attention sans faille, des réactions à tout nouveau rebondissement que lui contait le juriste.

Ils continuèrent d’échanger un bon quart d’heure avant que l’aide-soignante ne sonne le couvre feu.

- Mais c’est un truc de ouf, Croquette ! On s’est frotté à des dealers de drogue, des psychopathes russkofs et on n’est même pas mort. Putain, mais le délire pour draguer des meufs, j’te raconte même pas.

- Vas-y doucement quand même, je connais ta capacité à en rajouter un peu partout.

- Toi aussi, quitte là-bas. Je suis le maestro du mot.

- Allez, je vais terminer de ranger le QG, puis je file à mon rendez-vous avec Dimitri. Je passerai te prendre vers treize heures demain, le temps que tu exprimes ton talent de séducteur.

Le Sénégalais raccrocha après un énième éclat de rire.

Le temps était passé plus vite que ne l’aurait aimé Jules, l’horloge affichait une heure et demie du matin. Il pressa le bouton « entré » sur le clavier et la copie démarra. Il en profita pour se préparer et sortir les poubelles qu’il stocka pour le brûler le lendemain.

Il y eut un long bip dans le hangar et une voix masculine annonça « le processus était achevé ». Le jeune homme plaça dans son carton le double des informations de la clef USB et rangea l’original dans sa poche. Mieux valait-il assurer ses arrières, le risque zéro n’existait pas. Les clefs de la Porsche de Piotr en main, il verrouilla le sanctuaire et fila vers Paris.

Le périphérique ne ralentissait pas, mais bon nombre de voitures circulaient à cette heure tardive. Jules n’avait pas l’habitude des véhicules avec plus de quatre chevaux sous le capot. Il évita deux accidents de peu et opta pour une conduite bien plus lente.

Garé dans une rue adjacente, il fit le reste du trajet à pied. Le pas léger, le coeur rassuré, il se présenta sur les quais et repéra au loin Dimitri et son éternel garde du corps. Les gaillards russes lui firent un signe de la main et il s’avança, toujours avec prudence.

- Très ponctuel monsieur Jules, même après une journée aussi mouvementée, et je ne compte pas celles d’avant. Vous continuez de m’impressionner.

- C’est trop d’honneurs que je ne mérite pas.

- Il est modeste en plus le gamin, Piotr. Allons marcher un peu si vous le voulez bien.

Le juriste passa devant l’homme de main de Dimitri. Il en profita pour lui remettre les clefs de sa voiture et lui serra la main pour le remercier de la précieuse aide qu’il lui avait fournie quelques heures plutôt.

Bakichvski et Jules marchèrent très peu de temps. Le plus âgé s’approcha du bord de l’eau et observa son reflet troublé par le courant de la Seine. En retrait, le second triturait la clef USB dans sa poche, il ne voulait pas entamer la conversation.

Le Russe finit par s’asseoir sur un banc en pierre.

- Vous auriez pu m’achever, pourquoi agir ainsi ?

- Vous et moi sommes partageons un point commun, savez-vous lequel ?

- Nous avons des convictions monsieur Jules, et nous nous y tenons jusqu’au bout, peu importe les obstacles sur le chemin. Nos croyances pourraient soulever des montagnes d’ennemis.

- C’est exact, mais bien plus encore.

Les deux s’échangèrent un sourire. Jules s’approcha de Dimitri pour lui faire face et voir son visage. Il voulait voir le côté humain de cet homme, être certain que ses larmes n’avaient pas été du chiqué. Il avait besoin de se rassurer sur son choix.

L’homme d’affaire sortit de sa poche une flasque de vodka pure et avala une longue gorgée. Il tendit le récipient au juriste qui accepta l’invitation et s’abreuva. Son visage se déforma lorsque le liquide enflamma son oesophage. Balkichvski ne put se retenir de rire.

Ils échangèrent quelques anecdotes sur leur parcours respectif avant que le jeune homme ne revienne à l’objet de leur rencontre.

- Vous avez lourdement payé vos erreurs, reprit-il. Je pense que ces blessures resteront gravées en vous à jamais. Pour moi, vous avez perdu l’essentiel, la plus belle des choses que l’on puisse avoir ici bas : une famille.

- Je le sais très bien. Mais comment aurais-je pu savoir que mon petit Sacha avait survécu ? Pour le reste, je plaide coupable. Je ne peux que demander le pardon au tout puissant pour avoir abandonné Ékatérina et Olga.

- Voici la clef qui comporte tous les documents sur vos activités illicites. Vous y trouverez aussi toutes les informations concernant la vengeance orchestrée par vos enfants.

Le juriste présenta à contre coeur la clef USB à Dimitri. Son rythme cardiaque s’emballa légèrement devant l’absence de réaction de son vis-à-vis. Lui aurait-il tendu une nouvelle fois un piège pour l’éliminer ? L’idée traversa l’esprit du jeune homme. Mais…

- Je vous remercie une fois de plus monsieur Jules, répondit le gaillard en s’emparant de l’objet.

- Vous en ferez ce que bon vous semble.

- Pas de copie ?

- Aucune non, lui mentit-il.

Dimitri Balkichvski prit Jules dans ses bras et lui tapa trois fois le haut du dos. Un changement de comportement qui prit son interlocuteur au dépourvu, figé et sans voix. L’homme d’affaire russe s’éloigna le long du quai de Seine d’un pas pressé. Il s’apprêtait à gravir l’escalier pour monter dans sa voiture lorsqu’il entendit :

- J’espère ne plus vous croiser sur ma route.

- Il y a peu de chances mon ami, je me retire du jeu. J’ai rempli ma part du contrat, le reste ne me concerne plus. Je vous souhaite bien du courage à l’avenir.

Cette phrase était très intrigante. Que voulait-il dire par là ? Possédait-il une information qu’il lui avait sciemment cachée. Jules s’élança à toute vitesse pour rattraper Dimitri, mais à peine eut-il le temps d’arriver en haut des marches que la voiture noire avait déjà disparu.

Qu’il fut heureux en se glissant dans son lit. La couverture était chaude et son corps lui réclamait un long sommeil réparateur. Mais le juriste préféra allumer la télé et zappa un bon quart d’heure. Pas un programme qui en vaille la peine. L’attitude du million russe lui trottait encore en tête. Mille et une interrogations lui traversaient l’esprit, mais une seule le chiffonnait : de quel contrat Dimitri Balkichvski parlait-il ?

Une nouvelle question qui resterait sûrement sans réponse. Jules ferma les yeux et Morphée l’emporta au pays des rêves.

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