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Une vibration dans la poche de Jules lui signala l’entrée d’un appel sur son portable. Il s’équipa de son kit mains-libres et décrocha pour entendre la voix de Babacar entrecoupée de grésillements. Le volume augmenté, il distingua avec plus d’aisance les paroles de son compère.

- On monte au premier étage. Une fois arrivé, tu attends mon signal. On entre dans le couloir puis on débute la fouille de chaque pièce.

- À vos ordres, chef, rigola le juriste.

L’humour pour tenter de contrer le stress… Une vieille méthode sans aucune efficacité.

- On risque de tomber sur des truc chelous aussi, c’est un squat. J’espère que tu as les tripes bien accrochées parce que les gens ici, ils ont la tête complètement retournée. Pire que moi !

Le juriste ricana discrètement de plus belle et entama son ascension. Deux escaliers de dix marches grises permettaient de rallier le niveau supérieur. Son coeur battait anormalement, il sentait un mélange d’excitation de peur parcourir ses veines. Qu’allait-il découvrir au cours de cette expédition ? Son cerveau échafaudait des scénarios en continu. Il se perdait dans ses pensées, un mauvais signe.

Il s’infligea quelques tapes sur les joues pour se ressaisir. Dans son oreille, la voix de son camarade lui réclamait son positionnement pour coordonner leur entrée dans le couloir. Jules prit une grande inspiration et répondit :

- Je suis en place, prêt à franchir la… porte inexistante.

- Sûr ? T’es bizarre, gros, j’te jure.

- Oui, oui. Finissons-en.

Les deux homme investirent l’allée de béton où silence glacial beignet en maître. Une absence de vie telle que Bounty eut une hésitation à ouvrir la bâche placée devant l’entrée de l’appartement situé immédiatement à sa droite. Il sortit un cutter de sa poche arrière et fit glisser la lame hors de son étui. Une maigre protection. Son courage retrouvait, il pénétra dans le squelette de l’habitation.

Personne.

De retour dans le couloir, il essuya son front avec le revers de sa manche et fit signe à Jules. À son tour, le jeune homme fit irruption dans la carcasse d’un logement. Le vent soufflait avec vigueur, se faufilant dans chaque ouverture disponible. Le ciel se couvrait et la pluie ne tarderait pas à s’abattre sur la terre des mortels. L’endroit était vide.

Il regagna le corridor et les recherches s’enchainèrent au premier étage sans porter leurs fruits. Il en fut de même pour le deuxième étage où les hommes du chantier entreposaient du matériel de base. Babacar coupa un morceau de câble électrique qu’il roula et glissa dans sa poche.

Il avait découvert un cimetière de bouteilles de bière, des cartons imprégnés d’urine et des sacs de vêtements sales au possible. La misère humaine s’abritait n’importe où

Aux abords du troisième étage, un son de métal raisonna depuis le rez-de-chaussé. Le duo échangea un regard. Des ricanements d’adolescents se propagèrent.

- On va les défoncer, cria l’un.

- J’ai trop hâte, surenchérit un autre.

Tous éclatèrent de rire.

- Allez au boulot les gars, le Philippe est dans le merde, il est coincé au troisième, on doit l’aider à se casser d’ici avant que les deux bâtards le chopent.

L’information n’échappa guère à Jules qui s’engagea dans l’étage sans plus attendre. Il débarqua dans le premier logement sur sa droite et le fouilla de fond en comble. De son côté, Babacar cherchait aussi Philippe dans les appartements, sans mettre la main dessus.

Des chuchotements erraient dans le couloir toujours aussi vide. Jules marqua un temps d’arrêt et finit un signe à son ami. Ils se rapprochèrent lentement, les yeux rivés sur l’entrée de la pièce. Le juriste fit un premier pas. Il n’eut pas le temps de voir la barre de fer qu’il sentit un contact au niveau de sa tempe. Il s’écroula au sol, sonné.

Philippe tenta de forcer le passage, mais Babacar l’étreignit de ses deux bras pour le faire chuter au sol. Ils roulèrent sur plusieurs mètres. Le fugitif taper du plat de son pied l’épaule de son opposant sans parvenir à s’extirper. Il décida d’employer les grands moyens.

Ses deux mains agrippèrent le visage de Bounty puis ses pouces appuyèrent sur les yeux de sa victime. le Sénégalais résista aussi longtemps qu’il le pu. Il se débattit de toutes ses forces, mais la douleur fut plus forte que tout. Le Sénégalais libéra l’informaticien qui se releva, prêt à fuir.

Une ombre au sol l’engloutit. Il comprit qu’il était trop tard.

Jules lui sauta dessus avec la barre qui l’avait utilisé un instant plutôt. Le métal lui percuta le ventre. L’homme tomba à quatre pattes, le souffle coupé. Un second coup sur le dos et Philippe fut neutralisé.

- Ça va gros ?

- Putain, il m’a niqué mes yeux de beau gosse. On va lui faire cracher ce qu’il sait à ce con de merde.

- Ne t’inquiète pas pour ça Bab.

Au bout du couloir, plusieurs jeunes hurlaient leur soif de violence. Les deux amis n’avaient pas préparé un plan pour sortir de ce piège dans lequel il s’étaient jetés. Jules se retrancha dans une pièce avec Babacar et leur prise pieds et mains liés. Ils devaient absolument échapper à cette confrontation, ils n’avaient plus la force de se défendre.

Philippe émettait de petits gémissements, à peine audible, mais assez pour permettre au groupe d’énergumènes de les repérer.

L’un des adolescents pénétra dans la pièce. Il balaya la pièce sans remarquer le bout de la chaussure de Jules dépasser d’une palette de plaques d’isolant. Le jeune en profita pour se griller un petit joint. L’odeur du cannabis se propagea jusqu’à enfumer complètement la pièce.

Jules mit le col de son tee-shirt devant son nez pour éviter de tousser. Il devait rouge au teint alors que Babacar inspirait de grandes bouffés. Il affichait un sourire niais.

Le mégot jetait sur le sol, le gamin rejoignit son groupe pour poursuivre les fouilles. Dix minutes plus tard, la bande quittait le bâtiment bredouille. Ils s’éloignèrent pour retourner à leurs activités, déçus de ne pas avoir pu passer leurs nerfs sur quelqu’un.

- Très bien, on va réveiller notre ami Bounty.

- J’attendais ce moment avec grande impatience ! Seau d’eau ou une paire de bonnes grosses claques dans sa tête de con ?

- J’ai une légère préférence…

La main de Bounty gifla avec sévérité la joue droite de Philippe. Il n’en fallut pas plus pour que le captif ouvre les yeux. Il eut un mouvement de recul. La mâchoire serrée au possible, il analysait la situation et cherchait un moyen de reprendre sa cavale.

Jules s’installa tranquillement face à lui, prêt à en découdre une bonne fois pour toute. Il ne le laisserait pas respirer un seul instant, le harcèlerait de question jusqu’à obtenir satisfaction.

- Pourquoi as-tu fui lorsque tu m’as aperçu ? Je n’ai fait qu’apporter une clef USB à ta collègue.

- Je ne vous dirai rien.

- Ce n’est pas le genre de réponse que donnerait une personne innocente. Tu t’enfonces seul Philippe, ne comprends-tu pas la situation ?

L’homme laissa un sourire s’échapper.

- C’est vous qui n’avez pas la moindre idée de l’histoire qui se déroule sous vos yeux. Vous et votre ami courrez après une vérité que vous n’obtiendrez jamais, le petit Lucas est condamné d’avance si je ne vous livre pas la moindre information. Et je n’en ai pas l’intention. Essayez dont de me torturer, j’ai subi des choses bien pire dans mon adolescence.

L’adversaire était bien plus coriace qu’ils ne l’auraient imaginé. Sous son attitude frêle et fragile, Philippe cachait un homme meurtri pas les temps et les événements. Il n’avait pas peur du duo, Jules pouvait le lire dans son regard rempli de fierté et de détermination.

Fallait-il changer de stratégie ? Sûrement, mais laquelle adopter pour ne pas voir s’envoler toute chance de glaner un précieux élément pour enfin résoudre cette enquête ?

- Racontez-moi votre histoire si je suis tellement ignorant. Permettez-moi de comprendre vos motivations, proposa le juriste.

- Comme vous le souhaitez, vous perdez votre temps alors que la fin est proche. Votre échec sera retentissant.

Jules fronça les sourcils.

- Je croyais que la mort m’avait emporté… Mais un couple de personne m’a recueilli et m’a élevé, du moins un certain temps. Je n’ai pas supporté les violences que cet homme exerçait sur moi et cette brave femme. Je l’ai égorgé dans son sommeil une nuit, puis je suis parti pour la grande ville. Mais là aussi ma vie n’a été qu’un enfer.

- Très bien, mais quel est le lien avec la mort d’Alexian ?

- J’y viens… Vous les français, vous êtes d’une nature impatient, tout doit arriver tout de suite ou bien vous vous mettez à vous énerver.

- Il me vénère à faire le papa ce bouffon, je vais le taper de fou, s’emporta Babacar.

Jules lui posa la main sur l’épaule et l’invita à faire un pas en retrait.

- Nous t’écoutons.

- Bien. Alexian a pris le coeur de ma douce et tendre Betty. Elle et moi étions de proches confidents malgré les apparences. Et puis il est arrivé avec ses belles paroles, son charisme. Il a tout gâché ! Il m’a volé ma vie, et pas qu’une fois…

- Est-ce la seule raison ?

- Non Jules. Si la jalousie est mère de gestes irréfléchis, il existe des sentiments aux conséquences plus néfaste. Dimitri Balkichvski a fini de noircir mon coeur lorsque j’ai appris qu’il était le père biologique d’Alexian, qu’il l’aidait depuis sa plus tendre enfance. Je ne pouvais pas rester les bras croisés et me laisser entrainer une nouvelle fois vers le fond.

Le juriste réfléchissait, l’oreille attentive. Le récit de Philippe lui apportait des éléments après lesquels il avait couru depuis plusieurs jours. Tout s’éclaircissait enfin, ou presque.

- Chaque coup infligé à Alexian était une délivrance pour moi, reprit le prisonnier. Bien que dans un état second, j’ai ressenti en moi cette vague de bien être m’envahir. Aujourd’hui encore son simple souvenir me transcende.

- Vous êtes horrible…

- Je n’ai que faire de votre avis.

- Et quel rôle à jouer Diane ? votre complice.

- Ma complice ?

Le faux informaticien se tordit de rires. Ces deux rigolos n’avaient pas l’ombre d’une explication correcte. Il détenait les cartes en main pour permettre à sa binôme d’aller au bout de leur plan.

- Diane n’a servit qu’à nourrir ma haine, cette rage au fond de moins qui a faibli parfois. Elle a su me montrer la voie pour maintenir ma détermination. Un pion parmi tant d’autres.

- Je ne vous crois pas. Diane et vous avez tout orchestré. L’élimination d’Alexian vous profite à tous les deux, elle pour la promotion et vous pour reconquérir Betty. Mais pour Mâcon… Je ne comprends pas.

Babacar faisait les cent pas. Il semblait avoir compris une chose importante, mais Jules ne lui laissait pas la moindre ouverture pour intervenir.

- Parce que vous n’avez jamais su regardé plus loin de le bout de votre nez, lire entre les lignes. Lorsque j’ai retrouvé ma petite lumière, de nouveaux horizons se sont ouverts à moi. À nous. Votre vie peut basculer du jour au lendemain, une simple rencontre.

Sa prononciation des « r » avait changé, il les roulait à présent. Ce détail attira l’attention des deux camarades. Cette fois-ci, Bounty était sûr et certain de lui. Il avait percé le secret de Philippe et pianotait sur son portable avec excitation.

- J’ai besoin de plus de réponses Philippe ! cria Jules.

- Vous en trouverez dans ce vieil appartement que j’ai occupé à mon arrivé en France. S’il est toujours en un seul morceau, bien entendu. Je vous donnerai l’adresse avec le plus grand des plaisirs.

- Arrête avec tes phrases énigmatiques, sois clair au nom de Dieu !

Babacar s’empressa de saisir son ami pour l’écarter de Philippe. Il devait le calmer avant de partager sa découverte.

- Gros, tu m’écoutes ou pas ?

- Vas-y, balance-moi ton information que je retourne lui régler son compte à cet enfoiré.

- Je crois que ce mec est…

Il y eut un silence insoutenable. Babacar lui chuchota à l’oreille cette vérité qu’il n’aurait jamais pu imaginer.. Jules en fut glacé. Tous deux tournèrent la tête vers cet homme qui ne cessait de ricaner dans son coin, loin de se douter qu’ils ne voyaient de la partie émergé d’un iceberg de haine.

- Impossible… souffla Jules.

- Et pourtant… Ce mec est bien le fils mort de Dimitri… Alexandr Balkichvski.

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